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leur acte de naissance, car les déclarants ont rarement intérêt à déguiser la vérité. Il en est autrement lorsqu'il s'agit d'un enfant naturel (1).

Ainsi, les modes de preuve organisés par la loi pour la filiation légitime ne peuvent être employés pour faire la preuve de la filiation naturelle. La doctrine enseigne cependant et la solution qu'elle donne a été admise implicitement par un certain nombre d'arrêts - que l'acte de naissance prouve la filiation naturelle dans quelques cas exceptionnels. Il en est ainsi d'abord dans le cas où un enfant conçu ou né en mariage a été désavoué par le mari de sa mère. L'acte de naissance de cet enfant prouve sa filiation maternelle. De même, lorsqu'un mariage a été annulé par décision judiciaire (2), la filiation des enfants qui en sont issus peut, dans l'opinion générale, être prouvée par l'acte de naissance comme la filiation légitime (3). Il faut supposer, bien entendu, que le mariage n'a pas été déclaré putatif à raison de la bonne foi des époux ou de l'un d'eux. Car s'il avait été déclaré putatif, il aurait conféré aux enfants les avantages de la légitimité. Dans l'hypothèse que nous envisageons, la filiation de l'enfant, alors même qu'elle serait adultérine ou incestueuse, sera prouvée par l'acte de naissance à l'égard de sa mère, et il en résultera la preuve de sa filiation paternelle ('). On justifie ces solutions par les considérations suivantes. Le mariage, malgré la nullité dont il est frappé, a existé et a produit ses effets jusqu'au jugement qui en a prononcé l'annulation. L'annulation prononcée par la justice efface rétroactivement les effets juridiques que ce mariage a produits; mais elle ne peut porter atteinte aux faits accomplis. Il y a eu cohabitation de l'homme et de la

(1) V. cependant les auteurs et les arrêts cités, supra, n. 669, p. 650, note 1, B. (2) Sauf peut-être si le mariage est annulé à raison de l'impuberté du mari. Demolombe, III, n.346; Barel, op. cit., p. 103.

(3) Demolombe, III, n. 345; Aubry et Rau, V, § 459, texte et note 5; VI, § 567, p. 155; Baret, op. cit., p. 107; de Loynes, note D., 91. 2. 153, p. 156 et 157.

(*) Duranton, III, n. 195 in fine, 208; Duvergier sur Toullier, I, n. 967, note; Marcadé, art. 335, n. 3; Ducaurroy, Bonnier et Roustain, I, n. 486; Demante, II, n. 71 bis, IV; Aubry et Rau, Demolombe, loc. cit.; Baret, op. cit., p. 103. — Contra Valette sur Proudhon, II, p. 157. Cpr. C. civ. italien, art. 193.

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femme; la femme a été tenue envers l'homme du devoir de fidélité; elle a été tenue de résider avec lui, tant que le mariage n'a pas été annulé. Or, c'est précisément sur ces faits, qu'il est impossible d'effacer, que la loi base la force probante de l'acte de naissance et aussi la présomption de paternité de celui qui a vécu avec la mère en état de mariage.

La solution que nous venons d'indiquer repose en définitive sur cette idée que, lorsque l'enfant est né en état de légitimité, ne fût-il considéré comme légitime que provisoirement, l'acte de naissance conserve, quoi qu'il arrive, la force probante que la loi lui attribue et sert par conséquent à établir la filiation maternelle. Cette idée, quelqu'hasardée qu'elle paraisse à première vue, peut être justifiée à l'aide des textes. Supposons en effet un enfant qui est né sous le couvert de la présomption pater is est... Il est désavoué par le mari de sa mère, et le tribunal accueille la réclamation du mari. L'enfant n'est plus légitime, et cependant l'acte de naissance continuera à prouver sa filiation maternelle. Et, si l'on rapproche cet acte du jugement de désaveu, il en résultera que l'enfant est un enfant naturel simple ou même adultérin. Cette solution, que nous avons déjà indiquée à plusieurs reprises, s'impose nécessairement. L'inscription de l'enfant sous le nom de sa mère est, avons-nous dit, la condition essentielle de recevabilité de l'action en désaveu. C'est parce qu'il est prouvé par l'acte de naissance que cet enfant a pour mère telle femme mariée qu'il a pu être désavoué par le mari de celle-ci. Dès lors, il serait inadmissible que l'acte de naissance perdit sa force probante par l'effet du jugement de désaveu.

CHAPITRE III

DES EFFETS DE LA FILIATION NATURELLE (')

709. La parenté naturelle ne crée de lien qu'entre l'enfant d'une part, son père et sa mère d'autre part. Elle n'en crée

(1) L'on confond souvent les effets de la filiation avec ceux de la reconnaissance. Il importe cependant de les distinguer. La filiation est un des éléments de l'état

pas entre l'enfant et les parents de ses auteurs. La filiation naturelle produit donc des effets moins étendus que ceux qui sont attachés à la filiation légitime. L'enfant naturel, à la différence de l'enfant légitime, n'entre pas dans la famille de son père ou de sa mère (arg. art. 757). De là il résulte que la famille d'un enfant naturel est toujours fort restreinte : elle ne peut comprendre que ses descendants légitimes ou ses enfants naturels, et, en ligne ascendante, seulement son père et sa mère. L'enfant naturel n'a pas de parents collatéraux. Et toutefois la loi semble reconnaître l'existence d'un lien de parenté entre les enfants naturels qui ont le même père ou la même mère; elle les désigne sous le nom de frères naturels et établit entre eux, à ce titre, un droit réciproque de successibilité (art. 766) (1).

710. La filiation naturelle fait naître au profit de l'enfant certains droits, engendre à sa charge certaines obligations et le frappe de certaines incapacités (*). Voici quelques-uns de ces effets de la filiation:

1o L'enfant naturel a le droit de porter le nom de son père ou de sa mère, qui l'a reconnu. Si sa filiation est constatée à l'égard des deux, il portera le nom de son père (3).

2o Les père et mère d'un enfant naturel ont sur sa personne et sur ses biens quelques-uns des droits, et sont soumis à la plupart des obligations résultant de la puissance paternelle (art. 383).

3° L'enfant naturel ne peut se marier ou se donner en adoption, sans obtenir le consentement ou sans requérir le

des personnes. La reconnaissance est un mode de preuve de cet état. La confusion que nous signalons a été notamment commise par Laurent, IV, n. 20. Il nous dit que si la filiation naturelle ne crée de liens de parenté qu'entre l'enfant et l'auteur qui l'a reconnu, cela tient à ce que la reconnaissance est un aveu et que l'aveu est personnel. Ce raisonnement est vicieux. V. également Vigié, I, n. 564, 556.

(1) Le C. civ. allemand dispose dans son § 1705 : « L'enfant naturel, dans ses rapports avec la mère et les parents de la mère, a la position juridique d'enfant légitime ». A l'égard du père, l'enfant naturel n'a, au contraire, que des droits extrêmement restreints (§ 1708 s.).

(2) Cpr. C. civ. portugais, art. 129; espagnol, art. 134; néerlandais, art. 335. (3) V. cependant Laurent, IV, n. 124. Cpr. C. civ. italien, art. 185; allemand, $ 1706.

conseil de ses père et mère, suivant les distinctions établies. par la loi quand il s'agit d'un enfant légitime (art. 158 et 346).

4° La filiation naturelle engendre une obligation alimentaire réciproque entre l'enfant et ses auteurs.

5° Elle fait naître entre l'enfant et ses parents un droit. réciproque de successibilité (art. 758 s., 765).

L'art. 338 nous indique par anticipation que les droits de succession de l'enfant naturel sont moins étendus que ceux de l'enfant légitime. « L'enfant naturel reconnu ne pourra » réclamer les droits d'enfant légitime. Les droits des enfants » naturels seront réglés au titre Des Successions ». Ce n'est là qu'un article de renvoi. Le législateur a saisi la première occasion qui s'est offerte à lui pour annoncer qu'il ne voulait pas maintenir l'assimilation établie par les lois révolutionnaires entre les enfants naturels et les enfants légitimes.

6° L'enfant naturel est frappé de l'incapacité de recevoir à titre gratuit de ses père et mère, au delà de ce qui est permis par l'art. 908.

711. Il est bien évident que, pour qu'un enfant naturel puisse exercer les droits attachés à son état, ou pour qu'on puisse se prévaloir contre lui des obligations résultant de sa filiation, il faut que cette filiation soit légalement constatée, c'est-à-dire que l'enfant naturel soit reconnu. Il n'y a là rien de spécial à la filiation naturelle. Il en est de même en toute matière quelconque : Nul ne peut se prévaloir des droits qui lui appartiennent, s'il n'en a pas préalablement établi l'existence. C'est cette vérité élémentaire qu'expriment les divers textes qui, déterminant les droits et les obligations des enfants. naturels, spécifient que ces droits n'appartiennent et que ces obligations ne sont imposées qu'aux enfants naturels légalement reconnus. V. art. 158, 338, 383, 756. La loi n'a point voulu dire par là que c'est la reconnaissance qui fait naître ces droits ou engendre ces obligations. C'est la filiation ellemême qui en est la source. Mais encore faut-il qu'elle soit démontrée.

.. Peu importe d'ailleurs le mode par lequel la filiation naturelle a été constatée. Elle produit toujours les mêmes effets

à l'encontre et au profit de ceux à l'égard desquels elle a été établie.

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712. Il est un cas cependant où les effets de la filiation naturelle sont modifiés à raison des circonstances dans lesquelles a eu lieu la reconnaissance. C'est celui qui est visé par l'art. 337 ainsi conçu : « La reconnaissance faite pendant » le mariage, par l'un des époux, au profit d'un enfant natu»rel qu'il aurait eu, avant son mariage, d'un autre que de son époux, ne pourra nuire ni à celui-ci, ni aux enfants nés de » ce mariage. Néanmoins elle produira son effet après la » dissolution de ce mariage, s'il n'en reste pas d'enfants ». Un homme a un enfant naturel; il épouse une femme autre que la mère de cet enfant; puis il reconnaît celui-ci pendant le cours du mariage. Ou bien une femme, qui a un enfant naturel, épouse un homme autre que le père et reconnaît l'enfant pendant le mariage. La loi considère la reconnaissance faite dans ces conditions comme une violation de la foi promise. Elle ne l'interdit pas cependant, car l'enfant a le droit d'être reconnu, et c'est après tout pour son père ou sa mère un devoir de le reconnaître. Mais elle décide que la présence de l'enfant ainsi reconnu ne pourra nuire aux intérêts pécu-niaires du conjoint; et, pour que celui-ci ne soit pas indirectement lésé dans la personne de ses enfants, elle ajoute que les enfants du mariage ne pourront pas non plus se voir oppo-. ser les droits de l'enfant naturel (').

A prendre à la lettre les termes de l'art. 337, il semblerait que c'est la reconnaissance elle-même qui est, sinon frappée de nullité, du moins déclarée inefficace, à l'égard des personnes désignées par le texte. Mais remarquons qu'il s'agit en définitive des droits de l'enfant naturel. Or ces droits n'ont pas leur source dans la reconnaissance; ils découlent de la filiation elle-même, dont la reconnaissance constitue simple

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(') Bigot-Préameneu, Exposé des motifs (Locré, VI, p. 216); Duveyrier, Discours (Locré, VI, p. 325); Laurent, IV, n. 128. - Cpr. Marcadé, sur l'art. 337, n. 4; Demolombe, V, n. 460. Dans le même sens, C. civ. néerlandais, art. 340. Aux termes de l'art. 183 du C. civ. italien : « L'enfant naturel de l'un des époux, né >> avant le mariage et reconnu pendant le mariage, ne peut être introduit dans la >> maison commune sans le consentement de l'autre époux, à moins que ce dernier » n'ait déjà donné son adhésion à la reconnaissance ».

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