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ci ou des enfants issus de son mariage. Par suite, il ne peut rien recevoir de son auteur à titre gratuit, et la libéralité dont il aurait été gratifié par son auteur ne pourrait recevoir son exécution au détriment du conjoint et des enfants issus du mariage (1). On ajoute encore une autre considération (2) si l'on permet à l'enfant de réclamer, au préjudice des personnes désignées en l'art. 337, l'exécution de la libéralité qui lui a été faite, on accorde à l'auteur de la reconnaissance un moyen indirect et bien simple d'éluder l'art. 337, qui alors deviendra lettre morte. A quoi bon priver l'enfant du droit de succéder à son père ou à sa mère, si celui-ci conserve la faculté de lui donner la part que la loi lui enlève (3)?

Nous pouvons faire à cette argumentation les réponses suivantes : Tout d'abord, l'art. 908 ne dit pas, comme on le lui fait dire, que l'enfant naturel ne peut rien recevoir au delà de ce qui lui est accordé à titre de succession; il dit qu'il ne peut rien recevoir au delà de ce qui lui est accordé «< au titre Des successions ». Or l'art. 337 est placé dans le titre De la paternité et de la filiation; il ne peut donc être combiné avec les art. 758 et 759 pour l'application de l'art. 908. Ce dernier texte se réfère uniquement aux art. 758 et 759, qui déterminent, d'une manière générale, les droits héréditaires des enfants naturels. On nous dit bien que l'art. 338 établit la liaison entre les dispositions du titre De la pa

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(1) Aubry et Rau, VI, § 568 quater, texte et nole 3; Demolombe, V, n. 475 in fine; Beudant, note, D., 78. 1. 401; Labbé, note, S., 79. 1.337. - Toulouse, 6 mai 1826, J. G., vo Paternité, n. 689. Poitiers, 4 ou 5 mai 1858, D., 59. 2. 122, S., 58. 2. 420. Nous ferons remarquer, dès à présent, que celte argumentation n'est plus absolument exacle depuis la loi du 25 mars 1896. La loi règle bien encore aujourd'hui la capacité des enfants naturels, en ce qui touche les donations qui leur sont faites par leurs auteurs, en tenant compte de la part qui leur est accordée au titre des Successions. Mais leur capacité de recevoir par testament est réglée par des principes tout à fait différents. Nous reproduisons néanmoins cette argumentation, telle que nous la trouvons dans les auteurs.

(2) Celle-ci peut être invoquée même depuis la loi du 25 mars 1896, qui lui a cependant, il faut bien le reconnaître, enlevé la plus grande partie de sa force. La loi permet actuellement de donner à l'enfant naturel, par testament, plus que sa part héréditaire (V. l'art. 908, al. 2).

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ternité et celles du titre Des successions, qui doivent, dès lors, être considérées comme constituant un seul système, dont toutes les parties sont solidaires entre elles. Mais est-il vraisemblable qu'en écrivant l'art. 337 les rédacteurs du code civil aient songé à la règle qui devait être établie dans l'art. 908, et qu'en édictant cette dernière règle, ils aient pensé à la combinaison qu'on pourrait en faire avec celle de l'art. 337? Cela nous parait bien peu probable. Dans le doute, il vaut mieux adopter, des diverses solutions possibles, celle qui, tout en respectant les principes généraux de la matière, compromet le moins gravement la situation de l'enfant naturel. Rien ne s'oppose à ce que l'on maintienne, dans la mesure que nous avons indiquée, la donation ou le legs fait à l'enfant naturel reconnu dans les conditions de l'art. 337. Ce texte décide simplement que la reconnaissance ne peut nuire au conjoint ni aux enfants nés du mariage; en d'autres termes, l'enfant ne peut se prévaloir contre eux des droits attachés à sa filiation. Or, dans l'hypothèse que nous envisageons, l'enfant n'invoque pas un droit dérivant de son état; il fait valoir un droit qu'il tient de la volonté de son auteur; il agit, non pas en qualité d'enfant naturel reconnu, mais bien en qualité de donataire ou de légataire; il se fonde sur une libéralité qui aurait tout aussi bien pu être faite à un étranger, ou que son auteur aurait pu lui faire valablement s'il ne l'avait pas reconnu. Donc l'art. 337 ne s'oppose aucunement à ce que la donation ou le legs reçoive son exécution. C'est ce qui a été décidé formellement par la cour de Nîmes et par la cour de cassation, dont les décisions ont, sur ce point, bouleversé complètement le système admis par la doctrine (').

B. Mais dans quelle mesure la donation ou le legs devra-til être maintenu? On a dit que l'enfant naturel doit être considéré comme un étranger. Dès lors, il pourra conserver le bénéfice de la libéralité à lui faite, non pas seulement dans les limites tracées par l'art. 908, mais jusqu'à concurrence de la quotité disponible ordinaire. Ce qui revient à dire que

[(') Nîmes, 6 juin 1877, D., 78. 1. 401. Cass., 28 mai 1878, D., 78. 1. 401, S., 79. 1. 337. Allemand, Du mariage, II, n. 851 in fine; Duranton, III, n. 253, note 1: Planiol, I, n. 1500.

l'art. 908 doit être complètement écarté. L'enfant naturel ne peut-il pas dire en effet à ses adversaires : « La reconnaissance dont j'ai été l'objet, ayant été faite dans les conditions déterminées par l'art. 337, doit être, à votre égard, considérée comme non avenue; ma situation, dans mes rapports avec vous, est donc la même que si je n'avais pas été reconnu; or, dans cette hypothèse, je pourrais conserver le don ou réclamer le legs qui m'a été fait, dans les limites de la quotié disponible»? Il ne parait pas juste que les adversaires de l'enfant puissent invoquer contre lui une reconnaissance qu'ils ne lui permettent pas d'invoquer en sa faveur (').

Cette solution, qu'on a prétendu (2) être la conséquence logique et nécessaire du point de départ admis par nous (validation de la libéralité faite à l'enfant), nous paraît inadmissible. Puisque la reconnaissance, dans la théorie que nous avons présentée, prouve pleinement la filiation, il sera impossible de rechercher judiciairement la filiation de l'enfant, à l'effet de lui faire appliquer la règle de l'art. 908. La filiation déjà prouvée ne peut être recherchée. Et alors l'enfant serait mieux traité que s'il n'avait pas été reconnu, ou que s'il avait été reconnu avant le mariage. Ce résultat est des plus choquants. Aussi a-t-on proposé le correctif suivant. L'art. 337 contient une règle de faveur pour le conjoint et les enfants issus du mariage. Ils peuvent y renoncer pour s'en tenir au droit commun. Donc les enfants, tout au moins, dans l'hypothèse que nous envisageons, peuvent tenir la reconnaissance pour valable et demander qu'on fasse à l'enfant l'application de l'art. 908.

Même ainsi amendé, le système que nous venons d'exposer nous semble contraire aux principes. Il n'est pas exact, à notre avis, de dire que l'art. 337 frappe la reconnaissance d'inefficacité. La reconnaissance produit ses effets ordinaires, qui sont de prouver complètement la filiation. La filiation. de l'enfant reconnu dans les conditions de l'art. 337 est léga lement établie erga omnes. Par suite il faut faire à cet enfant

, V. en ce sens le rapport de M. le conseiller Connelly, dans S., 79. 1. 340 s. - Adde Héan, p. 388.

(2, V. les notes de MM. Beudant et Labbé, citées supra.

l'application de l'art. 908, entendu dans le sens que nous avons indiqué. Il en résulte que le conjoint (depuis la loi du 25 mars 1896) ne pourra pas critiquer la libéralité faite à l'enfant. Les enfants issus du mariage pourront se prévaloir de l'incapacité édictée par l'art. 908 (et ce droit appartiendra également aux autres personnes désignées par ce texte).

No 2. Des effets de la filiation prouvée dans les conditions déterminées par l'art. 337 à l'égard des personnes autres que celles qui sont indiquées au texte.

721. A l'égard de toutes personnes autres que le conjoint et les enfants issus du mariage, la filiation prouvée dans les conditions de l'art. 337 produit ses pleins et entiers effets. C'est ce qu'indique la partie finale de cet article. Ainsi l'enfant pourrait se prévaloir des droits attachés à sa filiation à l'égard des ascendants ou des collatéraux de son auteur, des enfants nés d'un mariage précédent, de la personne avec laquelle son auteur a contracté mariage postérieurement à la reconnaissance et des enfants issus de cette nouvelle union (1).

SECTION II

LA RECONNAISSANCE FORCÉE TOMBE-T-ELLE SOUS le coup de l'art. 337?

722. La question doit être envisagée séparément en ce qui concerne la recherche de la paternité et celle de la maternité.

¿I. De la recherche de la maternité.

723. D'après une jurisprudence constante, approuvée par la plupart des auteurs, l'art. 337 doit recevoir son application à la reconnaissance forcée de la maternité. Mais sous quelles conditions les effets de la filiation judiciairement constatée seront-ils déterminés conformément à l'art. 337 ? Pour résoudre cette question, faut-il s'en tenir à la date à laquelle le jugement a été rendu? Faut-il, au contraire, s'attacher à la

(1) Loiseau, op. cit., p. 436; Duranton, III, n. 251; Demolombe, V, n. 470; Aubry et Rau, VI, § 568 quater, texte et note 5; Laurent, IV, n. 134; Huc, III, n. 99; Vigié, I, n. 570.

date à laquelle a été rédigé l'écrit qui fournit à l'enfant un commencement de preuve, sans se préoccuper de celle de la sentence? Les deux systèmes ont été consacrés par la jurisprudence, et certains arrêts les ont même admis cumulative

ment.

724. PREMIER SYSTÈME. Pour que l'art. 337 reçoive son application, il faut, mais il suffit que le jugement qui constate la filiation ait été rendu pendant le mariage, peu importe que le commencement de preuve allégué par l'enfant résulte d'un écrit antérieur ou postérieur à la célébration (').

La jurisprudence et les auteurs qui admettent le principe posé par elle invoquent, pour justifier leur manière de voir, les considérations suivantes :

1° Les effets de la reconnaissance forcée sont les mêmes que ceux de la reconnaissance volontaire. Donc l'art. 337, qui régit les effets de la reconnaissance, doit s'appliquer au cas où la filiation est constatée par un jugement rendu à la suite d'une action en recherche de maternité.

2o Sans doute, l'art. 337 ne vise expressément que la reconnaissance volontaire. Mais, en dehors de l'observation qui vient d'être faite, on peut faire remarquer que ses motifs cadrent parfaitement avec la solution proposée. La loi a craint que la paix du ménage ne fût troublée par la révélation de l'existence d'un enfant naturel, que le conjoint ignorait au moment du mariage. Qu'importe de quelle manière la filiation est prouvée ?

3o Enfin, si l'on écartait ici l'application de l'art. 337, on favoriserait des fraudes dont la famille légitime souffrirait. Une femme, qui se marie après avoir eu un enfant d'un autre que de son conjoint, n'aurait qu'à ne pas reconnaitre cet

(1) Loiseau, op. cit., p. 437; Delvincourt, 1, p. 94, note 10 in fine; Marcadé, sur l'art. 337, n. 7; Valette, Expl. somm., p. 185; Dalloz, J. G., vo cit., n. 693; Massé et Vergé sur Zachariæ, I, § 167, note 43; Aubry et Rau, VI, § 568 quater, texte et notes 17 et 18; Demolombe, V, n. 466; Vigié, I, n. 590. - Poitiers, 7 mars 1855, sous Cass., 19 nov. 1856, S., 57. 1. 97. Cass., 19 nov. 1856, D., 56. 1. 412, S., Cass., 16 déc. 1861, D., 62. 1. 39, S., 62. 1. 420.- Lyon, 17 mars 1863, J. G., Suppl., v° cit., n. 199, S., 63. 2. 205. Bordeaux (motifs), 25 mai 1892, D., 94.2.50.

57. 1. 97.

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Douai (motifs), 26 fév. 1903, D., 04. 2. 385, S., 05. 2. 145. — Cpr.

Dijon, 7 mai 1879, D., 80. 2. 213, S., 79. 2. 195.

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