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enfant, soit avant, soit pendant le mariage. L'enfant, d'accord avec elle, intenterait ensuite contre sa mère une action en recherche de maternité. De cette manière, la foi promise serait violée, et les droits du conjoint et des enfants nés du mariage se trouveraient lésés. On arrive donc à des résultats injustes en écartant l'application de l'art. 337.

Il se peut même qu'on aboutisse, dans ce système, à des conséquences absurdes. Qu'on suppose une femme mariée, contre laquelle un enfant forme une recherche de maternité, qui, par hypothèse, est fondée. Si elle laisse l'action suivre son cours, l'art. 337 ne serait pas applicable. Pour restreindre les droits de son enfant, la femme n'aurait qu'à le reconnaître volontairement avant la sentence. Est-ce conforme à l'intention du législateur (')?

Les arguments que nous venons de développer ont certainement beaucoup de poids. Nous ne croyons pas cependant qu'ils suffisent à justifier le système de la jurisprudence. Même en admettant, ce qui en effet est exact, que les effets de la reconnaissance forcée sont les mêmes que ceux de la reconnaissance volontaire, il n'en résulterait pas que l'art. 337 fùt applicable à la filiation constatée judiciairement. En effet l'art. 337, comme nous l'avons montré, établit en réalité une limitation aux effets ordinaires de la filiation, et il s'agit de savoir si cette limitation doit être appliquée au cas où la filiation a fait l'objet d'une reconnaissance forcée comme à celui où elle a été reconnue volontairement par un acte authentique. Cet argument écarté, on ne peut se dissimuler que les termes de l'art. 337 ne sont pas favorables à la solution proposée. Ce texte parle d'une reconnaissance « faite pendant le mariage par l'un des époux », expressions qui semblent bien faire allusion à une reconnaissance volontaire. En appliquant l'art. 337 au cas d'une reconnaissance forcée, on l'étend donc

(') L'enfant serait-il admis, dans une pareille hypothèse, à répudier la reconnaissance dont il a été l'objet ? Nous ne le pensons pas. L'enfant ne peut prétendre que cette reconnaissance n'a pas été sincère. Il ne peut se plaindre d'avoir été lésé, la femme qui s'est reconnue sa mère n'ayant fait qu'user d'un droit que la loi lui confère. Cf. sur ce point: Massigli, Revue crit., 1888, p. 644; Huc, III, n. 98; Massonié, op. cit., p. 178. Pau, 2 juill. 1885, D., 86. 2. 165. -Bordeaux, 25 mai 1892, D., 94. 2. 50.

en dehors de ses termes : ce que ne permettent pas les règles ordinaires de l'interprétation, puisqu'il s'agit d'une disposition exceptionnelle. Exceptio est strictissimæ interpretationis. L'extension est d'autant moins admissible que le motif de la loi n'existe plus. Peut-on dire qu'il y a ici violation de la foi promise, que l'un des époux a voulu, comme le dit l'exposé des motifs, changer le sort de la famille en y appelant des enfants naturels (')?

725. DEUXIÈME SYSTÈME. Les décisions de jurisprudence qui appliquent à la reconnaissance forcée la règle de l'art. 337 adoptent en général, soit d'une manière principale, soit à titre subsidiaire, un autre système, qui échappe en partie aux objections que nous avons dirigées contre le premier. On peut en donner la formule suivante : la reconnaissance forcée survenue au profit d'un enfant qu'une femme a eu, avant son mariage, d'un autre que de son conjoint, ne peut nuire ni à celui-ci, ni aux enfants nés du mariage, lorsque la demande de l'enfant s'appuie sur un commencement de preuve résultant d'écrits postérieurs à la célébration, ou lorsque l'enfant invoque, pour justifier sa prétention, des faits qui se sont passés pendant le mariage. La date du jugement qui constate la filiation n'a donc qu'une importance secondaire. L'art. 337 sera applicable, si la condition ci-dessus indiquée existe, soit que le jugement ait été rendu pendant le mariage (2), soit même qu'il soit intervenu après la dissolution de celui-ci (3). A l'appui de cette manière de voir, on invo

(1) Toullier, II, n. 958; Chabot, Des success., sur l'art. 756, n. 7; Duranton, III, n. 255 et 256; Valette sur Proudhon, II, p. 146, note a; Ducaurroy, Bonnier et Roustain, I, n. 492; Allemand, Du mariage, II, n. 852 et 854; Zachariæ, I, § 167 in fine; Demante, II, n. 72 bis, IV; Héan, p. 369; Laurent, IV, n. 130; Arntz, I, n. 597; Huc, III, n. 97 s.; Planiol, 1, n. 1504. Rouen, 20 mai 1829, J. G., vo cil., n. 619. – Trib. Seine, 26 avril 1859, S., 60. 2. 119 sous Paris, 23 janv. 1860). Paris, 9 mars 1860, D., 60. 2. 148, S., 60. 2. 237. — Cpr. Dijon, 7 mai 1879, D., 80. 2. 213, S., 79. 2. 195.

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(2) Cass., 16 déc. 1861 (molifs), D., 62. 1. 39, S., 62. 1. 420. (motifs), D., 64. 2. 225, S., 64. 2. 246. vo cit., n. 299, S., 65 2. 167. Dijon (motifs), 7 mai 1879, D., 80. 2. 213, S., 79. 2. 195.

Metz, 10 août 1864 Douai (motifs), 14 déc. 1864, J. G., Suppl., Caen, 29 janv. 1867 (molifs), S., 68. 2. 86.

20 nov. 1894, D., 95. 2. 345.

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Grenoble (motifs),

(3) Lyon, 31 déc. 1835, J. G., vo cit., n. 693, S., 36. 2. 194. Cass., 17 fév. 1851, D., 51. 1. 113, S., 51. 1. 161. - Lyon, 20 avril 1853, D., 54. 2. 186. — Pau,

que des considérations dont la gravité ne saurait être méconnue. Il est bien certain, quoique le contraire ait été soutenu parfois, que l'enfant peut alléguer, pour justifier sa réclamation, un commencement de preuve par écrit ou des faits datant du mariage. L'art. 337 ne s'y oppose pas ('). Mais alors ne peut-on pas faire le raisonnement suivant en écartant ici l'application de l'art. 337, on fournit à la mère, qui a celé sa maternité à son mari, un moyen bien simple de rendre illusoires les mesures de protection prises par le législateur dans l'intérêt du conjoint et des enfants issus du mariage? Cette femme se gardera bien de reconnaître son enfant, par un acte authentique, pendant le mariage. Mais elle lui remettra un écrit, dont l'enfant se servira, soit pendant le mariage, soit après la dissolution de celui-ci, pour établir sa filiation à l'aide de la preuve testimoniale, ou bien encore, elle se comportera, pendant son mariage, à l'égard de l'enfant, de telle sorte que les tribunaux, si les conditions de l'art. 341 se trouvent réunies, ne pourront se dispenser d'accueillir la réclamation de l'enfant. Il y aurait là, en somme, une reconnaissance déguisée. Or il ne peut être permis de faire, par un moyen indirect, ce que la loi défend de faire directement. Cette reconnaissance détournée doit, comme la reconnaissance expresse, tomber sous le coup de l'art. 337; peu importe, du reste, la date à laquelle aura été rendue la décision judiciaire qui constate la filiation de l'enfant (2).

Ces considérations sont certainement très sérieuses. Mais elles ne nous convainquent pas entièrement. L'art. 337, qui restreint les effets ordinaires de la filiation, est un texte exceptionnel. Il faut l'interpréter restrictivement, et l'on ne peut étendre sa disposition à un cas autre que celui qu'il prévoit. Or l'art. 337 ne vise que l'hypothèse où l'enfant a été reconnu pendant le mariage. Un commencement de

28 juin 1864, D., 64. 2. 159, S., 64. 2. 246. Metz, 10 août 1864, supra. Douai, 14 déc. 1864, supra. · Grenoble, 20 nov. 1894, supra.

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D., 96. 2. 139. - Cpr. Dijon, 7 mai 1879, supra.

(1) Grenoble, 20 nov. 1894, D., 95. 2. 345 et la note.

Grenoble, 26 juin 1895,

(2) Cpr. Allemand, op. cit., n. 854 in fine; Héan, p. 369; Demolombe, V, n. 466,

p. 474; Planiol, loc. cit.

preuve par écrit ou des faits de possession d'état ne constituent pas une reconnaissance. Donc, il est permis d'hésiter à faire l'application de l'art. 337 au cas où la mère fournit à l'enfant, pendant le mariage, un écrit qui permettra plus tard à celui-ci de faire entendre des témoins pour prouver sa filiation, comme à celui où les faits de possession d'état dont l'enfant, muni d'un commencement de preuve par écrit se prévaut pour justifier sa réclamation, se sont passés pendant le mariage. Sans doute, nous rendons ainsi la fraude possible, mais la crainte de la fraude est-elle une raison suffisante pour étendre la disposition d'un texte exceptionnel (') ?

726. D'ailleurs, quelque opinion que l'on adopte sur les questions que nous venons de discuter, il paraît certain que l'art. 337 ne doit pas être appliqué au cas prévu par l'art. 336, si la mère a confirmé, par son aveu, antérieurement à la célébration de son mariage, l'indication de sa maternité faite dans l'acte de reconnaissance par un homme, autre que son mari, qui s'est reconnu le père de l'enfant. Il importerait peu que l'existence de cet aveu n'eût été judiciairement constatée que pendant le mariage. L'aveu de la mère, dans les conditions de l'art. 336, équivaut à une reconnaissance, dans l'interprétation que nous avons présentée. L'art. 337 ne sera donc applicable que si l'aveu a été donné par la mère au cours de son mariage (2).

II. Recherche de la paternité.

727. En matière de recherche de la paternité, nous ne rencontrons pas les mêmes difficultés, l'art. 340 n'exigeant pas que la prétention de l'enfant soit rendue vraisemblable par un commencement de preuve écrite. Aussi nous déciderons, sans aucune hésitation, que l'enfant pourra toujours invoquer les effets de la filiation à l'encontre de toute personne, quelle que soit l'époque à laquelle cette filiation a été

(1) Laurent, IV, n. 135. Paris, 17 juil. 1841, J. G., vo cit., n. 620. Cpr. Limoges, 4 avril 1848, D., 49. 2. 39, S., 48. 2. 375. (*) Aubry et Rau, VI, § 568 quater, p. 187.

constatée (1). Cette solution est admise même par un auteur qui ne partage pas notre manière de voir en ce qui touche la recherche de la maternité (2). Pour justifier la distinction qu'il propose, il argumente, soit de ce que l'art. 337 précède l'art. 340, dans la série des articles du code, soit surtout de ce que ce dernier texte organise la réparation d'un délit ou d'un quasi-délit et qu'il faut que la fortune du mari soit atteinte par la recherche de la paternité, comme elle répondrait des délits et des quasi-délits commis par celui-ci. Mais ces arguments sont d'une faiblesse extrême et ne justifient en aucune manière les différences que l'on prétend exister, au point de vue de l'application de l'art. 337, entre la recherche de la maternité et celle de la paternité.

CHAPITRE IV

DE LA LÉGITIMATION DES ENFANTS NATURELS

728. La légitimation est un bienfait de la loi en vertu duquel un enfant conçu en dehors du mariage est élevé, de plein droit et sans qu'il soit besoin d'une manifestation spéciale de volonté, au rang des enfants légitimes, par le mariage que ses père et mère contractent ensemble, soit avant, soit après sa naissance. Pour que le mariage procure à un enfant naturel le bénéfice de la légitimation, certaines conditions sont exigées par la loi. Ces conditions varient suivant que le mariage est célébré alors que l'enfant est simplement conçu ou qu'il a lieu postérieurement à la naissance de celui-ci. Il y a donc (si l'on admet du moins l'interprétation que nous avons proposée de l'art. 314), deux sortes de légitimation, qui ne sont pas, à tous égards, soumises aux mêmes règles : 1° la légitimation des enfants simplement conçus; et 2° celle qui s'applique à des enfants déjà nés au moment où leurs parents contractent mariage ensemble.

(1) Duranton, III, n. 256; Valette sur Proudhon, II, p. 146, note a; Allemand, op. cit., n. 852 s.; Dalloz, J. G., vo cit., n. 694; Arntz, I, n. 597, in fine. Contra: Marcadé, sur l'art. 337, n. 7; Massé et Vergé sur Zachariæ, I, § 167, nole 43; Demolombe, V, n. 466; Baret, op. cit., p. 86; Vigié, I, n. 590.

(*) Dalloz, op. et loc. cit.

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