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729. La légitimation des enfants naturels par le mariage subséquent n'est pas une création du code civil. Il l'a empruntée au droit romain et à la législation canonique. C'est ce qui reste aujourd'hui d'un ensemble d'institutions qui avaient pour but de relever la condition juridique des enfants conçus hors du mariage.

Ce qui caractérise la famille romaine, c'est que les membres d'un même groupe familial sont unis entre eux, moins par la communauté de sang et d'origine, que par le lien d'une puissance commune. Les divers modes de légitimation admis en droit romain dérivent de cette idée fondamentale. Ils tendent à faire passer un enfant conçu en dehors des justæ nuptiæ sous la patria potestas de son père ou du pater familias de celui-ci. Ils s'appliquent tantôt à des enfants issus d'un simple mariage du droit des gens, tantôt à des enfants qui sont nés d'un concubinat.

Les premiers modes de légitimation que nous rencontrons dans l'histoire du droit romain présentent ce caractère commun d'être des institutions de droit public et de droit privé tout ensemble. Ils ont été institués pour des enfants qui ne sont pas tombés, au moment de leur naissance, sous la puissance de leur père, parce que celui-ci ou eux-mêmes ne jouissent pas du droit de cité romaine. La patria potestas et l'agnatio sont des institutions du jus civile. Elles supposent que le père et l'enfant sont tous deux investis du jus civitatis. Par F'acquisition de la civitas romana, postérieurement à sa naissance, l'enfant tombe, ou du moins peut tomber, sous la puissance de son père; il devient le parent de celui-ci aux yeux de la loi civile et acquiert l'aptitude à lui succéder en qualité d'héritier sien. Il y a là une sorte de légitimation dans le sens large du mot. Mais cette légitimation est la conséquence directe ou indirecte de l'acquisition du jus civitatis. Elle se produit dans le cas où un pérégrin obtient la concession du droit de cité, dans celui où la cité romaine est conférée à un Latin à raison des fonctions qu'il a gérées, et dans les deux hypothèses désignées sous les noms de causæ probatio et d'erroris causæ probatio.

Ces divers procédés de légitimation, qui d'ailleurs ont, pour

la plupart, disparu au Bas Empire, par suite des changements apportés dans la classification des personnes, ne ressemblaient guère à la légitimation, telle que nous sommes habitués aujourd'hui à la concevoir. La légitimation, sous son aspect actuel, n'apparaît que dans le droit du Bas Empire. Elle se présente sous trois formes qui ont été organisées, non plus pour des enfants issus d'un mariage du droit des gens, mais pour les liberi naturales proprement dits, c'est-à-dire pour les enfants issus du concubinat. Ce sont la légitimation par oblation à la curie, la légitimation par le mariage subséquent et la légitimation par rescrit.

En attachant au mariage contracté par les père et mère d'un enfant naturel l'effet de légitimer celui-ci, les empereurs chrétiens agirent sous l'influence des doctrines propagées par le christianisme. Le concubinat était vu par l'Eglise avec défaveur; les enfants qui en naissaient étaient considérés comme entachés d'une souillure morale. Aussi, pour encourager l'homme et la femme qui vivaient en concubinat à régulariser leur union, le législateur leur offrit, en quelque sorte en prime, le relèvement de la condition morale et juridique de leurs enfants. Une considération très grave le fit cependant hésiter. Il redouta que la perspective de cette espèce d'amnistie, effaçant la tache dont les enfants étaient souillés, n'allat précisément contre le but qu'il se proposait, et ne constituât un encouragement aux unions irrégulières. Il a fallu une expérience de deux siècles pour que la légitimation des enfants nés du concubinat s'introduisit à titre définitif dans la législation romaine. Admise d'abord par Constantin, puis, cent cinquante ans plus tard, par Zénon, en faveur seulement des enfants déjà nés au moment de la promulgation de leur édit, offerte par Anastase, en 517, aux concubins comme un moyen de relever la condition de leurs enfants nés et à naître, supprimée en 519 par Justin, qui, en même temps, et par les mêmes motifs, prohibait l'adoption par leur père des enfants nés ex concubinatu, elle fut enfin établie, non plus comme un procédé de liquidation, mais comme une mesure perpétuelle et définitive, par Justinien dans l'année 529. Cet empereur

réglementa l'institution d'une manière plus complète que ne l'avaient fait ses prédécesseurs (').

Justinien organisa également un autre mode de légitimation applicable aux liberi naturales : c'est la légitimation par rescrit du prince (2). Il se pouvait que le mariage fût impossible entre les deux concubins, à raison d'un obstacle naturel (mort de la mère), moral (indignité personnelle de celle-ci), ou juridique (survenance d'un empêchement de mariage après la conception de l'enfant). Dans ces divers cas, Justinien permit au père de solliciter de l'empereur un rescrit concédant à ses enfants le bénéfice de la légitimité. La légitimation par rescrit, venant suppléer la légitimation par mariage, était soumise à des conditions plus rigoureuses que celle-ci. Mais elle produisait les mêmes effets : l'enfant était assimilé, sans rétroactivité, aux enfants nés ex justis nuptiis. La requête pouvait être adressée à l'empereur, soit par le père lui-même, soit par l'enfant, après le décès du père; dans cette dernière hypothèse, il fallait que le père en eût exprimé le vœu dans son testament. La légitimation par testament n'est donc au fond qu'une variante de la légitimation par rescrit.

Quant à la légitimation par oblation à la curie, produit de l'état de misère et d'oppression qui marque le Bas Empire, elle fut introduite en 448 pour aider au recrutement des curies, dont la source avait été tarie par les charges exorbitantes qui pesaient sur les curions (3). Elle dut disparaître avec les causes qui en avaient amené la création. Elle figure dans la loi romaine des Wisigoths (*). Une des formules de l'appendice de Marculf la signale encore (5). Mais, au vin siècle, il n'en est plus question.

Les trois procédés de légitimation dont nous venons de parler étaient applicables seulement aux enfants nés ex concubinatu. Ils ne s'étendaient pas aux spurii ou vulgo concepti. La raison en est que, seuls, les premiers avaient une filiation

(') L. 5, 6, 10, 11, C. Just., V, 27.
(2) Nov. 74, c. 1, 2; Nov. 89, c. 9, 10.

(3) L. 3, C. Just., V, 27.

(*) Hænel, Lex rom. Wisig., p. 270.

Inst., I, X, § 13. Nov. 89, c. 8.

(5) Rozière, Rec. génér., 1re partie, p. 317, n. 261.

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paternelle certaine, le père étant désigné par une présomption légale analogue à celle qui était admise en matière de légitimité. Les enfants vulgo quæsiti, au contraire, fruits d'une union passagère, d'un rapprochement momentané, n'avaient pas de père légalement connu. Le droit romain, comme nous l'avons vu, n'admettait ni la reconnaissance, ni la recherche de la paternité illégitime.

Du droit romain, la légitimation a passé dans le droit canonique. Son domaine, dans cette dernière législation, s'est singulièrement agrandi. Nous voyons apparaître un principe nouveau celui de la reconnaissance des enfants illégitimes. Dès lors, la légitimation est susceptible de s'appliquer, non seulement à ceux dont les parents ont eu ensemble. des relations habituelles, mais aussi aux vulgo concepti, dont la filiation paternelle put désormais être légalement établie. Notre ancien droit civil a consacré les institutions canoniques, non pas, dit Pothier, en parlant spécialement de la légitimation par mariage ('), par l'autorité des décrétales en ellesmêmes, mais pour des raisons d'équité.

La légitimation, dans le droit canonique et dans notre ancienne jurisprudence, peut se faire par rescrit du pape ou du prince, ou par le mariage subséquent des père et mère de l'enfant.

L'histoire de la légitimation par rescrit du pape est fort intéressante. Le premier exemple nous en est fourni par le pape Innocent III, qui conféra la légitimation aux bâtards adultérins de Philippe-Auguste (2). Peu après, le pape fut sollicité par Guillaume, comte de Montpellier, d'accorder le même bénéfice à ses enfants adultérins. Innocent III refusa d'accéder à la requête, alléguant que, sur les terres dont il n'était pas le souverain temporel, il ne lui appartenait, en sa qualité de chef de l'Église, que le pouvoir de relever de la bâtardise ad spiritualia, et que le requérant, vassal et subordonné du roi, était soumis à l'autorité de celui-ci et ne pouvait s'adresser à une puissance étrangère. C'est mù par un

(Contrat de mariage, n. 412.

(2) Viollet, Précis de l'hist. du dr. franç., II, p. 399; Merlin, Rép., vo Légitimation, sect. III, § 1. — Décrétales de Grégoire IX, IV, XVII, 13.

scrupule de conscience, ajoute le pape, que le roi PhilippeAuguste avait sollicité du Saint-Siège la légitimation de ses enfants; mais sa qualité de souverain lui permettait de leur conférer lui-même ce bénéfice. La prudente réserve d'Innocent III ne fut pas toujours imitée par ses successeurs. Aux Xve et XVIe siècles, on voit la chancellerie romaine délivrer des rescrits de légitimation ad temporalia ou déléguer aux légats le pouvoir de légitimer les bâtards. Les Parlements réagirent contre ces empiètements de la papauté. En vérifiant les bulles d'investiture des légats, ils ne manquaient pas de spécifier que le pouvoir de légitimer qui leur était conféré devait être restreint seulement aux effets spirituels ('). Telle est la doctrine que formule l'art. 21 des libertés de l'église gallicane de Pierre Pithou: « Le pape ne peut légi» timer bâtards et illégitimes pour les rendre capables de >> succéder et leur être succédé, ni pour obtenir offices et états » séculiers en ce royaume; mais bien les dispenser pour être » pourvus aux ordres sacrés et bénéfices ».

C'est donc au souverain temporel seul qu'appartient le pouvoir de délivrer des lettres de légitimation. Investi du pouvoir législatif, il peut modifier les effets produits par la loi et relever les bâtards des incapacités dont elle les frappe. Dès lors, il peut légitimer même les bâtards incestueux ou adultérins. L'existence d'enfants légitimes n'est pas un obstacle à cette légitimation; elle peut être accordée même lorsqu'il n'existe aucun obstacle, moral, juridique ou matériel, au mariage entre les père et mère de l'enfant. Enfin, il arrivait souvent que le rescrit de légitimation ne nommât qu'un seul des deux auteurs, généralement le père. C'est ainsi que Louis XIV procéda lorsque, faisant à ses propres enfants l'application du droit commun, il légitima les bâtards qu'il avait eus de Mme de Montespan. Les lettres pouvaient du reste être sollicitées soit par le père, soit par l'aïeul, soit même par les parents collatéraux de l'enfant (2). Pour que la légitimation accordée par rescrit produisit ses effets, il fallait

(1) V. un arrêt de Toulouse du 25 mai 1462, cité par Papon, liv. V, tit. V, art. 1. (2, Merlin, Rép., vo Légitimation, sect. III.

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