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CHAPITRE II.

Des Choses qui peuvent être vendues.

En général, on ne peut vendre qu'une chose qui existe, ou qui pourrait exister. Quant à celle qui n'existait plus au moment de la vente, il est clair qu'elle n'a pu être l'objet du contrat. Si une partie seulement était périe, l'acquéreur a le choix ou de renoncer à la vente, ou d'exiger la partie qui reste, dont le prix est alors déterminé par la ventilation. [Les Romains distinguaient : ils admet-1601. taient la même disposition, quand la majeure partie de la chose était périe. Dans le cas contraire, l'acquéreur était tenu de prendre livraison, sauf diminution dans le prix. (L. 57, de Contrah. Emptione.) Cela n'était pas juste; car il est très-possible que, quoiqu'il reste plus de la moitié de la chose, cependant l'acquéreur n'en puisse tirer aucun parti pour l'objet auquel il la destine. D'un autre côté, l'article du Code est peut-être un peu rigoureux; car il suffirait que la plus petite partie de la chose fût périe, pour donner à l'acquéreur le droit de faire résilier la vente. Je pense que, d'après la maxime, que les conventions doivent être exécutées de bonne foi, et par argument de l'article 1636, les juges pourraient, s'il y avait contestation, se déterminer d'après les circonstances, et juger, si la portion périe est telle, qu'on doive penser que l'acquéreur n'eût pas acheté, s'il eût connu la perte.

La même disposition doit s'appliquer au cas où deux choses étant vendues par un même contrat, et pour un seul prix, l'une d'elles aurait péri avant la vente. Le contrat peut alors être déclaré nul pour le tout. (L. 44, ff. de Contrah. Empt.)]

Secondement, comme il ne peut y avoir de vente sans translation de propriété, il s'ensuit que la vente de la chose d'autrui est nulle. [En droit Romain, et dans l'ancien droit Français, l'on tenait que cette vente était valable;

et quoiqu'il soit dit dans le Code qu'elle est nulle, il n'y a cependant pas, entre les deux systèmes, autant de différence que les termes pourraient le faire croire. En effet, cette vente était nulle, anciennement comme aujourd'hui, dans le sens qu'elle n'était pas titre propre à transférer la propriété par la tradition; mais elle a encore aujourd'hui, comme elle avait anciennement, des effets considérables : elle sert de base à la prescription, à l'action en garantie, etc. Je ne vois même qu'une différence, entre le droit Romain et le droit Français actuel, sur ce point. En droit Romain, il y avait ordinairement, pour le cas d'éviction, deux sortes d'actions, l'action ex empto, et l'action ex stipulatu, qui résultait de la stipulation dite stipulatio duplæ, laquelle était toujours ajoutée à la vente. Cette dernière action, qui était de droit strict, ne pouvait être exercée par l'acquéreur, qu'autant qu'il était effectivement évincé (L. 3, Cod., de Evict.); il pouvait, à la vérité, agir, avant le trouble, contre son, vendeur par l'action ex empto, mais seulement quand ce dernier avait eu connaissance, au moment de la vente, que la chose appartenait à autrui. (L. 30, § 1, de Act. Empt.) Chez nous, il pourrait maintenant demander la nullité de la vente, avant le trouble, et quand même le vendeur aurait été de bonne foi.

Quel était, au surplus, chez les Romains, l'effet du principe qui déclarait valable la vente de la chose d'autrui? C'était :

1o. Que le vendeur était tenu de livrer, parce qu'il ne pouvait exciper de son dol. Je doute que l'on décide autrement dans le droit actuel, et que le vendeur, qui aurait la chose en sa puissance, pût se dispenser de livrer, sous prétexte qu'elle ne lui appartient pas, à moins cependant qu'il n'y eût une demande en revendication formée contre lui. L'acheteur est, en effet, toujours censé propriétaire à l'égard du vendeur; (Art. 1583:)

2o. Qu'il était tenu d'indemniser l'acquéreur en cas d'éviction. Il en serait de même chez nous, d'après l'article 1599 lui-même, si l'acquéreur était de bonne foi;

3°. Que l'acquéreur pouvait, en vertu de cette vente et de la tradition qui l'avait suivie, posséder et prescrire. Notre prescription de dix ou de vingt ans n'a pas d'autre base.

L'on voit donc que la différence entre les deux droits, qui, au premier coup d'oeil, paraît être du tout au tout, se réduit, dans le fait, à bien peu de chose.

Mais quid, si, depuis la vente, le vendeur a désintéressé le propriétaire, et fait cesser par là tout danger d'éviction? L'on a jugé à Lyon que cela n'empêchait pas que la vente ne dût être déclarée nulle, et même avec dommages-intérêts; et cela, dans l'espèce peut-être la plus favorable pour le vendeur.

Un oncle était propriétaire par indivis des quatre cinquièmes d'un héritage, dont l'autre cinquième appartenait à sa nièce. Il fait un échange de cet héritage avec un autre propriétaire. Celui-ci apprenant que la nièce est propriétaire d'un cinquième, demande la nullité de l'échange, avec dommages-intérêts, et même la contrainte par corps, pour cause de stellionat. L'oncle, sur cette demande, se hâte de faire avec sa nièce un partage, d'après lequel l'immeuble lui est adjugé en entier. Il oppose ce partage à l'acquéreur, comme faisant cesser tout danger d'éviction. Cependant le Tribunal de première instance et la Cour de Lyon prononcèrent la nullité de l'échange avec trois mille francs de dommages-intérêts, et la contrainte par corps. On s'est pourvu en Cassation, et par arrêt du 16 janvier 1810, le pourvoi a été rejeté. (SIREY, 1810, 1re part., page 204.) Je ne parlerai point de ce dernier arrêt. L'on peut dire que la Cour de Lyon n'avait violé la loi, puisque sa décision ne me paraît répréhensible, au contraire, que parce qu'elle en a suivi la lettre trop judaïquement. En effet, nous avons démontré que, même d'après le Code, il était impossible de prendre l'article 1599 à la lettre, et que, quant aux immeubles, la vente, de la chose d'autrui est si peu nulle, qu'elle produit, à peu de chose près, les mêmes effets qu'elle produisait dans l'ancien droit, où on la déclarait valable. Quant aux

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meubles, il est évident, d'après les articles 2279 et 2280, que l'article 1599 ne leur est point applicable, puisqu'il résulte formellement de l'article 2279, que, pourvu que la chose n'ait été ni perdue, ni volée, le possesseur en est toujours censé propriétaire.

Cet article 1599 ne doit donc être appliqué qu'avec une extrême précaution. Et très-certainement il ne devait pas l'être dans le cas proposé, où l'acquéreur n'avait plus d'éviction à craindre. Il est de principe, d'après le Code, qu'un acte nul dans son principe devient valable, toutes les fois qu'il a, en faveur de celui qui pouvait en demander la nullité, tout l'effet qu'il aurait eu, s'il eût été primitivement valable. En effet, nous voyons que l'article 1238, après avoir décidé, en principe général, que le paiement est nul, quand celui qui paie n'est pas propriétaire de la chose payée, ajoute que, si cependant le créancier a reçu et consommé la chose de bonne foi, le paiement est valable. Et nous avons prouvé ailleurs que cette disposition était fondée sur ce que, la revendication ne pouvant, dans ce cas, être exercée contre le créancier, le paiement avait, quant à lui, tout l'effet qu'il aurait pu avoir, s'il eût été valable dans le principe. Or, il y avait, dans l'espèce soumise à la Cour de Lyon, même raison de décider, puisqu'au moyen du partage, la vente avait, pour l'acquéreur, tout l'effet qu'elle aurait eu, si le vendeur avait été, ab initio, propriétaire du total. Il y avait même, dans l'affaire, cette circonstance particulière, que le partage étant, dans notre droit, seulement déclaratif de propriété, l'on pouvait prétendre, à la rigueur, que le vendeur était propriétaire du total dès le moment de la vente. Mais nous n'insisterons point sur ce dernier moyen, quoiqu'il soit de la plus grande force, parce que nous examinerons la question en point de droit seulement, et abstraction faite de toute circonstance particulière.

Dira-t-on, pour justifier l'arrêt de Lyon, que la demande en nullité ayant été formée avant le partage, la Cour a dû prononcer la nullité, parce qu'en matière de jugement, l'on doit toujours se reporter au moment de

la demande? (L. 20, ff. de Rei vindicat.) Mais il faut remarquer que cela est vrai en matière de revendication et de pétition d'hérédité, dans le sens que le défendeur doit être condamné à tenir compte au demandeur, de tout l'avantage qu'il aurait retiré de la chose, si elle lui eût été restituée au moment de la demande. Cette disposition est de toute justice; elle tend à prévenir les inconvéniens résultant de la chicane et de la mauvaise foi; mais le Code se garde bien d'appliquer ce principe aux demandes en nullité ou en résolution de contrat: nous voyons, au contraire, par les art. 1184 et 1655, que, si la résolution d'une vente est demandée pour défaut de paiement du prix, et qu'avant le jugement, le défendeur ait fait cesser la cause de la demande, le juge doit le renvoyer absous; tout au plus doit-il le condamner aux frais. Il semble donc résulter de là que la doctrine établie par l'arrêt dont il s'agit, est contraire à l'esprit du Code, et à la bonne foi, qui doit être l'âme de tous les contrats; et je pense que, dans tous les cas où le danger de l'éviction a cessé, soit parce que le vendeur est devenu héritier du propriétaire, soit parce qu'il a traité de ses droits avec lui, soit parce que l'acquéreur a prescrit, la nullité de la vente ne peut plus être prononcée, attendu le défaut d'intérêt de la part de l'acquéreur.

Je ne dois cependant pas dissimuler qu'il a été jugé à peu près dans le même sens par la Cour de Riom, le 30 novembre 1813. (SIREY, 1815, 2° partie, page 360.) Mais cela ne prouve que mieux la nécessité de réclamer contre l'introduction d'une pareille jurisprudence.

Je pense également que, si la chose a été vendue comme n'appartenant pas au vendeur, mais qu'il se soit porté fort pour le propriétaire, la convention est valable, comme toutes celles dans lesquelles on s'est porté fort pour un autre. Sic jugé à Turin, le 17 avril 1811. (Journ. de la Jurispr. du Code civil, Tom. XVII, p. 432.) Mais, dans ce cas, si le propriétaire ratifie, de quand la vente est-elle censée parfaite, quant aux risques de la chose? Du jour de la ratification seulement. Secùs, dans le cas où la vente aurait été faite par le propriétaire, mais incapable, et ratifiée par lui,

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