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SECTION III.

De la Restitution de la Dot.

La dot doit être restituée après la dissolution du mariage, ou quand cette restitution est ordonnée par jugement. Quant au mode et à l'époque de la restitution, il faut distinguer :

Si la dot consiste en meubles ou immeubles, non estimés, ou en meubles estimés, mais avec la déclaration. que l'estimation n'en vaut pas vente, ou en immeubles estimés sans déclaration, le mari ou ses héritiers peuvent 1564. être contraints de la restituer sans délai. [Ils n'ont pas besoin de délai, puisqu'ils doivent avoir les objets en leur possession. Quid, si le mari les a vendus? Cela est égal. D'abord, quant aux immeubles, l'aliénation est nulle. Quant aux meubles, je crois, à la vérité, que l'aliénation est valable; mais le mari n'en doit pas moins le prix sans délai. On veut bien valider l'aliénation dans l'intérêt des tiers, et pour ne pas entraver la circulation; mais il n'en est pas moins vrai que le mari n'avait pas le droit de vendre il a donc, en vendant, fait une chose qui lui était prohibée. Cette vente ne doit donc pas lui procurer un bénéfice qu'il n'aurait pas eu autrement. Nemo ex delicto suo debet consequi emolumentum.

Mais quid juris, à l'égard des dépenses que le mari a pu faire sur les immeubles qu'il doit restituer? D'abord, s'il s'agit de dépenses d'entretien, il n'a aucune répétition à exercer : elles sont une charge des fruits dont il a profité. Quant aux autres dépenses, il faut répéter la distinction que nous avons déjà établie, entre les dépenses nécessaires, utiles et voluptuaires.

Le montant des dépenses nécessaires lui doit être restitué (L. 1, § 2, ff. de Impensis in res dotales factis.); et cela, quand même la chose n'existerait plus. ( L. 4, eod.) La femme eût été obligée de les faire; et elle est devenue plus riche, quatenùs propriæ pecuniæ pepercit.

Quant aux dépenses utiles, il peut en réclamer le montant, sed quatenùs res pretiosior facta est. (L. unic., $5, Cod. de rei uxoriæ Act.) Et pour déterminer cette plus-value, il faut considérer le moment de la restitution. Donc, si à cette époque la chose n'existe plus, ou a perdu l'augmentation de valeur qu'elle avait d'abord éprouvée, le mari n'a rien à réclamer; mais s'il y a augmentation de valeur, même supérieure à ce qu'ont coûté les dépenses, le mari né peut rien répéter au delà de ce qu'il lui en a coûté. (Art. 555, in fine.)

Quant aux voluptuaires, il ne peut rien réclamer, même quand il les aurait faites du consentement de sa femme. On suppose qu'elle a consenti par obéissance. Il peut seulement enlever ce qui peut l'être sans détériorer le fonds. (Ibid. et LL. 9 et 11, ff. de Impensis.)]

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Si les meubles ont péri ou ont été détériorés par l'usage et sans la faute du mari, il n'est tenu de rendre que ceux qui restent, et dans l'état où ils se trouvent. 1566. Si la dot consiste en une somme d'argent ou en meubles estimés purement et simplement, ou en immeubles estimés avec déclaration que l'estimation vaut vente, la restitution ne peut être exigée qu'un an après la dissolution du mariage. [On peut conclure de ces mots, que 1565. le même délai n'aurait pas lieu, si la restitution de la dot était ordonnée par jugement. On sent aisément la raison de la différence. Il y a alors periculum in morá. Dans les autres cas l'on a voulu donner an mari le temps de recueillir de l'argent. Mais il doit toujours les intérêts, à compter de la dissolution. (Art. 1570.)

Pourrait-on stipuler par contrat de mariage un autre délai pour la restitution, soit des meubles, soit des immeubles, au moins pour le cas de dissolution du mariage? Anciennement, l'on pouvait stipuler un délai plus court, mais non un plus long. (LL. 14, 15 et 16, ff. de Pactis dotalibus.) Je pense qu'aujourd'hui on pourrait faire telle stipulation qu'on jugerait convenable, d'après les art. 1387, 88 et 89: il n'existe dans le Code aucune loi prohibitive à cet égard.

En droit Romain, le mari poursuivi en restitution de la dot avait ce qu'on appelait beneficium competentiæ, c'est-à-dire qu'il ne pouvait être condamné ultrà id quod facere poterat; ce qu'il fallait entendre dans le sens, qu'on devait lui laisser de quoi fournir aux premiers besoins : Ratio habenda est ne egeat. (L. 173, ff. de Regulis juris.) Ce privilége était personnel au mari, et ne passait pas à ses héritiers. Quant à nous, il est certain que, dans notre droit, le bénéfice de compétence, proprement dit, n'existe point. Je pense néanmoins que, dans le cas de dissolution du mariage par la mort de la femme, le mari qui resterait dans la misère, et dont la femme laisserait une succession opulente, pourrait avoir contre les héritiers de celle-ci, même autres que les enfans communs, une action pour se faire donner une pension alimentaire; et que, le cas échéant, la même action pourrait être donnée à la femme contre la succession du mari. (Argument tiré de l'article 301.)

Le délai n'ôte pas à la femme le droit qui lui est accordé, dans ce cas comme dans le précédent, de retirer de suite les linges et hardes à son usage actuel [ Il y a ici raison de décence et d'humanité. On ne peut la renvoyer sans vêtemens. ], sauf à en précompter la valeur, s'ils ne font pas 1566. partie des objets dont elle a conservé la propriété. [Elle a pu en conserver la propriété, soit comme paraphernaux, soit même comme objets dotaux, s'ils ont été constitués sans estimation. ]

Si la dot comprend des obligations ou constitutions de rentes qui aient péri, ou qui aient souffert des retranchemens, sans qu'il y ait eu négligence de la part du mari, il n'en est point responsable, et demeure quitte en resti1567. tuant les contrats, ou en remboursant ce qu'il a reçu.

Si c'est un usufruit qui ait été constitué en dot, le droit d'usufruit seul doit être restitué, et non les fruits échus 1568. pendant le mariage. [Il en est de même, si, au nombre

des objets dotaux, il se trouve une rente viagère. ( Art. 588.)]

Il résulte de ces principes, que, régulièrement, le mari n'est tenu de restituer la dot, qu'autant qu'il est prouvé qu'il l'a reçue, et jusqu'à concurrence de ce qu'il a reçu, sauf sa responsabilité en cas de négligence; mais cependant, si le mariage a duré dix ans depuis l'échéance des termes pris pour le paiement de la dot, alors il y a présomption que le mari l'a reçue. [ Cette disposition est tirée de la Novelle 100, cap. 2, portant que, dans le cas où la dot a été seulement promise au mari, lui ou ses héritiers peuvent opposer à la femme qui en réclame la restitution, l'excep tion non numeratæ pecuniæ, dans l'année de la dissolution du mariage, si le mariage a duré plus de deux ans, et moins de dix. S'il a duré plus de dix ans, l'exception ne peut être opposée en aucune manière. ] Cette présomption donne à la femme ou à ses héritiers le droit de la répéter, sans être tenus de prouver le paiement, sauf au mari à justifier de poursuites faites inutilement en temps opportun, pour s'en procurer le remboursement. [ Observez que 1569. cela ne préjudicie en rien aux actions que le mari peut avoir à exercer contre les débiteurs de la dot, et qui ne sont sujettes qu'à la prescription ordinaire de trente ans ; car les actions dotales et tous les objets dotaux, à l'exception des immeubles, peuvent être prescrits. ]

[Quid, si la femme s'est dotée de suo? Certainement on n'appliquerait pas la disposition. La femme ne peut imputer au mari, de ce qu'il ne l'a pas poursuivie. ( L.35, ff. de Jure dotium.) Mais, dans ce cas, la dot n'est-elle pas censée reçue par le fait seul du mariage? Cela aurait pu être ainsi anciennement; mais je doute qu'il en fût de même dans le droit actuel, d'après l'article 1502. Je sais, bien que le contraire paraît décidé par la Novelle précitée dans laquelle il est dit, que, pour appliquer les dispositions qu'elle renferme, il est inutile d'examiner si la dot a été promise par la femme, par son père, ou par un étranger. Mais je ne pense pas que cette opinion soit admise dans notre droit; d'abord, parce qu'il est dit dans la même Novelle , que, si le mari n'a rien exigé de la femme qui s'est dotée de suo, il est présumé avoir voulu lui faire une

donation: or, dans notre droit, les avantages indirects sont défendus entre époux ; et en second lieu, parce qu'il est dit dans notre article 1569, que sa disposition n'est pas applicable au mari qui justifie avoir fait les diligences nécessaires pour le paiement de la dot. Or, encore une fois, la femme est-elle recevable à reprocher à son mari qu'il n'a pas fait de poursuites contre elle, ni sur ses biens?

Les anciens Jurisconsultes Romains avaient, au surplus, sur ce point, des idées très-libérales. D'abord ils décidaient, comme nous venons de le faire, que le mari n'était responsable de rien, quand la femme s'était dotée de suo. Il en était de même quand elle avait été dotée par son père : Nec quicquam judex audiet, disait la loi 35 déjà citée, mulierem dicentem, cur patrem non urserit ad exsolutionem. Si c'était un étranger qui avait constitué la dot, ils distinguaient: Si c'était à titre de donation, le risque était pour la femme. Parcendum marito, dit la même loi, qui eum non præcipitavit ad solutionem, qui donaverat. Le mari n'était donc responsable que lorsque la dot avait été constituée par un étranger, c'est-à-dire par un autre que par un ascendant, et encore ex necessitate, par exemple, pour se libérer de ce qu'il devait à la femme. Je regrette que l'on n'ait pas admis au moins l'exception relative au père. ]

Quant aux intérêts [L'article 1570 ajoute, et les fruits. Mais ce qui est relatif aux fruits est réglé par l'article suivant ; à moins qu'on ne dise, ce qui est assez probable, que, dans l'article 1570, il s'agit des fruits civils qui s'acquièrent jour par jour, et dans le 1571, des fruits naturels et industriels. ], ils courent de plein droit au profit de la femme ou de ses héritiers, du jour de l'événement qui donne lieu à la restitution. [ L'article 1570 paraît ne prévoir que le cas de dissolution du mariage, et encore par la mort de l'un des époux. Mais j'ai pensé que cela était dit enuntiativè, parce que c'est le cas le plus fréquent, et non pour exclure les autres cas de restitution.] Si cependant cette restitution a lien par suite de la mort du mari, la femme a le choix, ou d'exiger

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