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préparait la Suisse par divers écrits où les presses consulaires lui rappellent qu'elle fut autrefois dans la mouvance des Français, qu'elle est encore, pour ainsi dire, DANS LEURS EAUX, qu'elle est hors d'état de se gouverner par elle-même, et qu'aujourd'hui que les événemens l'ont lancée dans le tourbillon politique de l'Europe, son repos, une fois troublé par la guerre, n'en SERA PLUS RESPECTÉ À l'avenir. (46)

Conçoit-on une jouissance plus infernale que celle que trouvent les dévastateurs de la Suisse à ajouter ainsi les angoisses de l'imagination à tous les autres maux qu'ils font subir à cette contrée, jadis

(46) Cet horrible horoscope est tiré d'un petit écrit semiofficiel qui parut dans le Mercure de France peu de jours avant la lettre du Consul au Landamman, et qui avait le double but do sonder l'opinion publique et de la préparer aux événemens qui devaient finir le drame.

L'auteur s'y étendait sur ce que les troubles domestiques de l'Helvétie ne sont ni sans conséquence pour le repos de la France, ni même sans danger pour la tranquillité générale de l'Europe. Il invitait les Suisses à repousser les conseils de la vanité nationale ou de la haine étrangère, et à considérer, que l'état où ils se trouvent, a tous les inconvéniens de la sujetion sans en avoir les avantages.

Je ne cite cet écrit anonime que parce que je crois fermement y avoir reconnu la plume du C. Hauterive, le même qui fut dépêché par Bonaparte à M. Réding pour lui dire, que par scrupule pour la vanité nationale des Suisses, vanité dont le Landamman n'avait sûrement pas parlé, le Consul revenait de sa promesse de signer les quinze articles arrêtés entr'eux, non point cependant qu'il revint sur aucun de ces articles; mais parce qu'il se sentait une répugnance invincible à priver l'Helvétic de l'honneur d'avoir pris d'elle-même des résolutions qui la concernaient exclusivement.

le séjour de l'innocence, de la liberté et de la paix? Ah! je le répète: tant que la France aspirera à la suprématie des nations, et que celle-ci aura son libre essor, cette nation sera le fléau de toutes les autres.

Je ne retracte ni cette expression ni aucune de celles qui ont pu m'échapper en parlant des crimes du gouvernement consulaire envers l'Helvétie. Je me croirais le dernier des hommes si j'étais capable d'en parler de sang froid, ou avec la même mesure que j'ai pû et dû m'imposer en esquissant le tableau de ses torts envers le peuple Français. Mon coeur se déchine en comparant ce qu'est la Suisse à ce qu'elle fut, et en songeant à l'agonie flétrissante que lui préparait Bonaparte, et qu'il lui réserve encore. Sous quelque point de vue qu'on envisage son manifeste et toutes les mesures qui l'avaient précédé, il ne saurait y avoir que deux moyens de se les expliquer. Si elles n'ont point pour objet de consoler le peuple Français par le spectacle d'une peuplade encore plus malheureuse que lui; il faut qu'elles eussent pour unique but d'amener celle-ci à se précipiter de désespoir dans les bras du gouvernement qui seul pourra tarir la source des maux qu'il verse sur elle.

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Quand on voit que les premières lignes de l'étrange dépêche de Bonaparte à M. Réding ressuscitaient, ou plutôt créaient, le titre de Premier Magistrat des Gaules, que la phrase qui suit rappelle aux Helvétiens qu'ils en firent partie, et que cette dépêche se terminait en les félicitant de ce qu'ils ne forment avec les Français que deux parties indé

pendantes d'un même peuple, il faudrait être aveugle pour ne pas voir qu'on avait résolu de les rendre dépendans d'un même chef. Dès le dix-huit brumaire, les Suisses furent irrévocablement condamnés à se déchirer de leurs propres mains, et dévoués à vivre d'angoisses ainsi qu'à rester sans organisation, jusqu'à ce qu'ils se résignassent à implorer comme une faveur la destinée des Cisalpins, et à s'entendre dire par Bonaparte qu'il adhère à leurs voeux, et se charge de la grande PENSÉE de leurs affaires, parce qu'il ne connaît aucun autre individu capable de la première, magistrature. Très-certainement le moindre outrage qui les attendait aurait été celui de leur épargner le soin de choisir leur Landamman que la France eut nommé désormais comme elle vient de nommer le Doge de la république Ligurienne, en écrivant aux Gènois que c'est la plus grande marque d'intérêt qu'elle puisse leur donner, et qu'elle espère en retour voir élever leurs enfans dans l'amour du Grand Peuple.

Malheur aux princes d'Allemagne, si pour mieux replacer l'Helvétie parmi les puissances de l'Europe, Bonaparte réussit jamais à l'incorporer à la France, ou même s'il se borne à s'en faire proclamer Président en autorisant ses nouveaux sujets à se proclamer eux-mêmes Republique Germa nique!

Au surplus, le nom ne fait rien à la chose. Le premier magistrat des Gaules veut être de fait le. maître des cantons Suisses, puisqu'en garantissant, leur indépendance à Luneville, ce fut sous la double

réserve qu'ils n'en feront aucun autre usage que celui que le droit public d'aujourd'hui lui permettra de reconnaître, et que lui de son côté sera toujours libre de revenir sur ses résolutions. Ce qui est également démontré, c'est qu'il veut à tout prix avoir sous son commandement cette population guerrière pour ses grandes, ses vastes opérations; et que si les Autrichiens ne parviennent pas à lui faire respecter le traité de Luneville, l'Helvétie sera bientôt son poste avancé, la galerie d'où il se propose de déboucher à droite et à gauche sur l'Allemagne et sur l'Italie lorsqu'il s'agira de replacer la France dans le patrimoine de Charlemagne. Si tel est l'exploit qu'il se réserve pour achever de conquérir la paix, il ne manquera point de le présenter comme le complément de cette grande promesse. Mais je laisse à juger si c'est envers les Suisses qu'il a accompli celle de ne point s'immiscer dans les affaires domestiques des autres nations, ainsi que sa promesse d'asseoir le bonheur de ses alliés sur la foi des traités. Je laisse à juger surtout s'il lui sied de se dire appellé par l'ordre de celui de qui tout émane, à ramener sur la terre L'ORDRE, LA JUSTICE ET L'ÉGALITÉ.

5ne Promesse.

FIDÉLITÉ AUX ENGAGEMENS DE

L'ÉTAT.

J'arrive enfin à celle de toutes ses promesses dont les Français s'étaient le moins défiés, à celle dont l'accomplissement leur importait le plus, et dont la violation répétée leur prépare des malheurs incalculables.

On se rappelle qu'à son retour de Saint-Cloud il leur annonça qu'il allait rasseoir le crédit public sur la bonne foi, que tous ses engagemens seraient prepares par la sagesse, formés par la franchise, et gardés par la FIDÉLITÉ (47).

Qui croirait que le gouvernement qui tenait ce langage il y a trente mois, ait déjà à se reprocher deux banqueroutes! J'ai rendu compte ailleurs de la première, celle des délégations et des billets du syndicat. La seconde, beaucoup moins connue, quoique trois fois plus considérable, a ceci de caractéristique, qu'elle est la seule qu'on eut encore osé proclamer chez le Grand Peuple, comme une grande justice rendue (48).

Je me propose de rendre un compte détaillé de ce grand trait de justice et de beaucoup d'autres semblables qui l'ont précédé et suivi. Ceux qui auront la patience de s'y enfoncer avec moi, se convaincront que le gouvernement consulaire n'a fait jusqu'ici qu'élargir la plaie qu'ils s'était engagé à cicatriser; que les finances ont été et seront longtemps encore la partie honteuse de son administration; qu'autant il a montré d'audace, de lumières et de talens dans les départemens de la guerre et de la police, autant ses ministres ont déployé de pusillanimité, d'ignorance et d'ineptie dans leurs me sures fiscales; que presque toutes ont été marquées au cachet de la mauvaise foi, et qu'ils s'occupent

(47) Proclamation du 25 décembre, 1799.

(48) Rapport du conseiller d'état Devaisnes, séance du 4 mars 1801. Voyez le Moniteur N° 164.

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