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LES CINQ PROMESSES.

Tableau de la Conduite du Gouvernement Consulaire, envers la France, l'Angleterre, l'Italie, l'Allemagne, et surtout envers la Suisse.

LA France triomphe au dehors, et commence

En

à jouir au dedans des douceurs de la paix. moins de trois années ses habitans ont passé de l'anarchie la plus dévorante à un état d'ordre et de subordination qui tend à se consolider, et dont ils sont surtout redevables à leur nouveau chef. S'il était hors de son pouvoir de guérir toutes leurs plaies, il a su du moins y verser ce qu'ils appellent un beaume consolateur, et détourner peu à peu leurs regards de tant de pertes qu'a éprouvées la France, pour la faire jouir en imagination de tous les biens qu'elle désire. La plupart des voyageurs conviennent que jamais elle ne fut plus espérante, et parmi la foule d'adresses que reçoit Bonaparte des divers départemens, il n'en est aucune qui n'annonce la pleine conviction qu'il va improviser leur prospérité. Or, quoiqu'on en dise, c'est là l'un des éloges les plus flatteurs qu'il put obtenir d'un peuple pour qui l'espérance a de si grandes attraits, et que la nature semble avoir éminemment doué de l'heureuse faculté de se procurer tant de jouissances par le seul élan de la pensée (1).

(1) "Déjà par l'élan de la pensée, nous jouissons de tous les arts utiles qui répandent la prospérité et l'abondance, de tous les

arts

A

L'auteur de l'Etat de la France à la Fin de l'An VIII, l'un des plus ingénieux défenseurs de l'administration consulaire, affecte de décerner tout le mérite d'un changement de scène si rapide aux nouvelles lois républicaines qu'il représente comme merveilleusement en harmonie avec les moeurs de sa nation. Ce n'était là qu'une manière déguisée de remercier le Consul de s'être emparé du trône pour régner seul; et tel est en effet de tous les services qu'il ait encore rendus à ces fiers républicains, celui qu'ils apprécient le mieux. Les applaudissemens universels qu'ils lui donnèrent à son retour de Saint-Cloud, l'ardeur avec laquelle ils se sont précipités dans ses bras, leur inexprimable ravissement en voyant la puissance exécutrice et l'initiative des lois réunies de nouveau dans les mains d'un seul individu, leur empressement à voler au devant de ses ordres, les adulations qu'ils lui prodiguent, l'enthousiasme avec lequel ils viennent de recevoir son premier sénatus-consulte organique, qu'ils appellent un nouveau bienfait; tout démontre combien ils ont besoin de se personnifier la souveraineté, de s'en faire une image taillée, afin de pouvoir lui offrir à l'envi leur encens, et s'identifier par leur culte même à celui qui en est l'unique objet. "Que Bonaparté soit long-temps à la république ce que

arts agréables qui multiplient le bonheur et les plaisirs." Président du Tribunat,

"Déjà par l'élan de la pensée, nous voyons se rouvrir toutes les sources de l'abondance et de la félicité."-Département d'Indre et Loire.

la Providence est au monde.... Ce sont les êtres puissans qui seuls sont essentiellement bons (2). — Tels sont les voeux que les provinces lui adressent aujourd'hui en chorus, comme pour mieux lui faire comprendre qu'elles n'avaient donné les mains à la révolution que parce que le roi n'était pas assez puissant. Mais s'il en est ainsi, exalter la supériorité de l'administration du Grand Consul ou du Grand Monarque sur celle des cinq Directeurs, c'est reconnaître en d'autres termes qu'il n'y a que le gouvernement d'un seul qui put harmoniser avec les Français, en imposer à leur caractère frondeur, et leur donner la garantie d'une unité de plan qu'ils n'espéraient plus d'une administration républicaine et par conséquent partagée. Il y a sept ans que je ne cesse de le leur dire, et lorsque déjà à la fin de l'an VIII, l'auteur de l'Etat de la France m'opposait la parfaite concordance des nouvelles institutions avec les moeurs nationales, je doute qu'il ait prouvé autre chose, si ce n'est que la monarchie commençait à gagner son procès, et que la France triomphe précisément parce que la république n'existe plus.

En effet, si l'ordre et la police renaissent dans la plupart des provinces, si les partis se trouvent comme enchaînés, si le vagabondage et les crimes y diminuent à vue d'oeil, c'est que Bonaparte les a déjà soustraites aux inconvéniens de la dilatation du pouvoir en replaçant à la tête de chacune d'elles

(2) Départements du Pas de Calais, et de l'Orne,

un intendant, qui, sous le nom de préfet, ramène tout à la royauté, et y reçoit au nom du chef suprême la soumission et les hommages dus à celui qu'il représente. Mieux ces nouveaux administrateurs ont su prendre comme leur maître le ton impérieux du commandement et plus l'obéissance des administrés a été implicite, plus l'action du pouvoir a acquis d'étendue, de promptitude et d'intensité.

Bonaparte ne s'en est point tenu là. Après avoir ainsi calqué son organisation civile sur celle de ses armées, il a étendu cette expérience sur toutes les branches de l'administration. Comptabilité du trésor public, régies de l'enregistrement, des douanes, des postes et de la loterie, jusqu'à la caisse d'amortissement; on ne connait déjà plus de départements fiscaux, si petits soient-ils, à la tête desquels il n'ait placé un Directeur Général en Chef. C'est à cette mesure qu'il faut attribuer le retour des agens subalternes à la subordination, et celui de chacun de leurs supérieurs à la responsabilité individuelle qui eut été impratiquable en France avec des chambres administratives présidées à tout de rôle, comme en Suisse et en Hollande.

Les heureux résultats de cette réorganisation monarchique sont jusqu'ici le principal titre de Bonaparte au mérite d'administrateur: mais si nous passons en revue la plupart de ses autres actes administratifs, nous allons y découvrir une bizarrerie bien remarquable. On aura peine à le croire : toutes celles de ses mesures que la nation Française pro

clame avec raison comme salutaires, sont précisément celles qu'elle n'attendait point de lui, qu'il n'avait pas même laissé entrevoir, ou plutôt, dont il avait expressément promis de s'abstenir; tandis qu'il n'a encore réalisé aucune des promesses pour l'accomplissement desquelles elle lui avait rendu d'avance tant d'actions de grâces.

Assurément, personne ne s'était attendu à lui voir reconnaître la religion Romaine pour la seule que salarierait l'état, promettre des récompenses aux prêtres qui y sont restés fidèles, les remettre sous la hiérarchie de leurs anciens évêques, imposer le célibat à tous les ministres du culte dominant, forcer les hommes sans Dieu à contribuer aux dépenses du culte divin, rattacher l'église gallicane au patronage du Pape, et reconnaître ce dernier pour souverain Pontife. Bonaparte a deployé de nouveau dans toute la France l'étendard de la réligion chrétienne. Cet acte, suffirait seul pour honorer à jamais son administration, et lui assurera dans la postérité, comme l'a dit le Pape, une gloire supérieure à toutes les autres. Qui eut pu imaginer, il y a deux ans, qu'il ne serait besoin que d'un souffle de sa volonté pour purger les temples des intrus qui en avaient usurpé les chaires, pour déposséder ces évêques usurpateurs, qui, fiers de leur titre de constitutionnels, croyaient avoir sur leur diocèse un droit égal à celui de Bonaparte luimême au consulat? A titre de protestant, il me siérait mal de me prononcer sur le chisme qui divise les évêques légitimes. S'il ne m'appartient point de blâmer ceux d'entr'eux qui ont cru devoir

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