Page images
PDF
EPUB

puisque la défense expresse de retenir plus de dix jours les citoyens Français en charte privée, se trouve transformée en autorisation expresse de les y tenir un temps indéfini et parconséquent toute leur vie. S'ils ne réussissent pas à faire parvenir au sénat leur supplique pour être mis en justice réglée, ou s'il juge à propos de ne point s'en occuper, il n'y aura plus désormais ni détention arbitraire de la .part du gouvernement, ni pour ses prisonniers aucune espérance d'en voir le terme, et voilà les lettres de cachet constitutionnellement réorganisées. Telle est la nouvelle organisation qu'avait annoncé Bonaparte aux Français comme devant garantir la stabilité de leurs lois, et environner celles-ci d'une impenetrable enceinte. Il a raison, sans doute, s'il entend par là que l'enceinte de ses prisons d'état sera désormais impenetrable à leurs juges. Mais qui aurait pu imaginer qu'il attendit la commémoration du 14 juillet, pour annoncer cette nouvelle conquête aux vainquers de la Bastille, et qu'il en recevrait de leur part des solennelles actions de grâces! Que le préfet de la police de Paris en ait pris occasion de lui dire: le grand problème de la revolution est RÉSOLU: la France dans ses vastes limites ne contiendra plus que des hommes LIBRES et dignes de l'être; la joie des commissaires de police se conçoit de reste: mais ce qui bouleverse toutes les idées, c'est que ce sont les nouveaux parlemens de la France libre; ce sont les corps judiciaires dépouillés de leur plus bel attribut, qui les premiers sé sont mis sur les rangs pour remercier Bonaparte de

ces PRÉVOYANTES institutions qui restituent au peuple l'exercice régulier de ses droits, et achèvent, en le consolidant, le bienfait de la révolution. Ainsi s'est exprimé le tribunal suprême de cassation; et observez que l'une de ces nouvelles institutions qu'il reconnaît pour prévoyantes, délégue entr'autres aux sénateurs le droit d'annuller ses jugemens.

Si j'étais Français, ce que je regretterais le plus dans ce sénatus-consulte, après la clause qui rétablit les lettres de cachet, c'est bien moins ce qu'il a détruit que ce qu'il laisse encore subsister; car il m'eut paru infiniment préférable de supprimer les trois autorités législatives que de les maintenir encore à grands frais, après avoir dénaturé tous les objets primitifs pour lesquels elles avaient été insti tuées. Dans son origine, la grande, ou plutôt l'unique affaire du sénat conservateur, était, comme l'indique son titre, celle de juge ou du moins d'arbitre entre les gouvernés et les gouvernans, et ce fut pour le mettre à l'abri de toute espèce d'influence de la part de ces derniers, que ses membres avaient été déclarés à jamais incligibles à toute autre fonction publique. Mais aujourd'hui que les voilà eligibles à toutes celles dont dispose le gouvernement; aujourd'hui qu'il vient de leur ouvrir le consulat, le ministère et les ambassades; aujourd'hui qu'il vient de s'arroger, outre le droit d'y introduire au besoin quarante nouveaux membres, celui de les présider, et qui plus est l'initiative de leurs délibérations; il est de toute évidence que s'il a consenti à déposer dans leurs mains quelques nouveaux pouvoirs, c'est

que 'ce corps est absolumet tombé dans les siennes, et ne présente plus que des marionnettes politiques dont il fera mouvoir les fils à son gré; il est de toute évidence que, loin d'être comme auparavant une barrière pour la liberté, ce corps n'est plus qu'un instrument pour le despotisme, et un instrument d'autant plus dangereux, qu'il a presque l'air de lui imposer un frein.

Or, je demande si dans ce nouvel état de choses, il n'eut pas mieux valu, sous tous les rapports, proclamer d'emblée Bonaparte législateur unique, et se soumettre d'avance à ses propres sénatus-consultes, que de le soumettre lui-même à la coûteuse obligation de se faire des créatures dans le sénat, en y achetant, par des faveurs ou des menaces, les harangues des uns, le silence des autres, et les votes de la majorité?

Dès qu'on n'a pas du moins exigé d'eux qu'ils fussent propriétaires, seule réforme pour laquelle il eut valu la peine de reprendre sous oeuvre l'organisation du sénat, du tribunat et du corps législatif, je n'aperçois dans la refonte qu'ils viennent de subir que des désavantages sans compensation; et parmi tous les corps originairement institués pour servir de contrepoids ou d'appui à l'autorité consulaire, je n'en sais plus en entrevoir qu'un seul qui soit bon à quelque chose, et vaille la peine d'être conservé. Vu le caractère de l'homme qui gouverne la France, je suis convaincu que son autorité serait beaucoup plus protectrice, et non moins paternelle, s'il n'avait à consulter que ses conseil

lers d'état, les seuls dont il prenne en effet les avis. Dès qu'il n'y a plus ni liberté individuelle, ni liberté publique, je verrais un avantage immense pour le fisc, et par conséquent pour le peuple, à supprimer tous les fonctionnaires sans fonctions, par où j'entends les deux Consuls figurans, les législateurs muets qui n'ont pas même osé repousser l'institution de la légion honoraire; les tribuns qui n'oseront plus monter à la tribune, mais par dessus tout, ces prétendus conservateurs qui n'ont rien su conserver, et auxquels on n'a pu que par dérision conserver ce nom, en les investissant de la pleine puissance de démolir, en tout ou en partie, l'édifice, à la garde inviolable duquel ils avaient été originairement attachés (16). Le seul retranchement de ces

(16) Art, LIV. "Le sénat règle par un sénatus - consulte or ganique:

1o. La constitution des colonies.

2o. Tout ce qui n'a pas été prévu par la constitution et qui est nécessaire à sa marche.

3o. Il explique les articles de la constitution qui donnent lieu à différentes interprétations."

Ainsi voilà le sénat conservateur transformé en machine constituante et autorisé à expliquer dorénavant la constitution, comme il vient de le faire, en statuant que quoiqu'elle parut instituer cent tribuns, il n'y en aura que cinquante; et cent vingt sénateurs au lieu de quatre-vingt.

Ohservez que ce sénatus-consulte organique a été, ainsi que tous ceux qui le suivront, proposé, délibéré, vote, sanctionné et promulgué dans l'espace d'une heure, sans que les Pontifes de la loi c'est-à-dire les tribuns et les législateurs, en aient eu d'autre connaissance qu'en le voyant affiché dans les carrefours de Paris

comme Loi d'état.

N'importe

quatre rouages inutiles entraînerait pour la nation un soulagement annuel de plus de huit millions: or, on conviendra que dans l'état de pénurie où elle est tombée, c'est lui faire payer beaucoup trop cher ces vains simulacres d'une liberté politique qui n'existe plus, et qui d'ailleurs l'effraye presqu'autant que les impôts.

Je m'arrête; car il entre bien moins dans mon plan de faire la satyre du sénatus-consulte organique de l'an X, que de montrer qu'il a achevé de désorganiser la constitution de l'an VIII, qu'il lui res. semble beaucoup moins que celle-ci ne ressemblait à celle de l'an III, et qu'on ne doit le considérer que comme un lit de parade sur lequel on en a exposé le cadavre à la risée de l'Europe et à l'admiration de tous les Français (17).

N'importe; à cette lecture le córps législatif s'est vite rassemblé pour aller remercier le Consul d'avoir médité en silence ce nouveau bienfait, d'avoir donné à la représentation nationale un caractère plus parfait.

Voici la réponse du Consul:

La STABILITÉ de nos instructions assure les destins de la république.

(17) En recévant cette nouvelle édition revue et corrigée du pacte social auquel ils avaient été solennellement invités en l'an VIII à mettre leur sceau, ne varietur, tous les départemens se sont livrés à des accès de joie dont on va juger par les adresses de ceux de l'Oise, de la Seine Inférieure, du Rhône et de l'Aisne. "Général Consul,

"Plus le peuple Français vous accorde de pouvoirs, plus il augmente la masse de sa félicité. ... Le nom de Sénat est justifié. Tout le bien qui était possible aujourd'hui est fait, puisque la France libre d'une législation timide et supersti-·

tiense

« PreviousContinue »