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diable encore, le défaut chaque jour plus grand de tous moyens d'éducation, voilà ce dont on ne peut juger que dans les provinces, et ce n'est qu'après les avoir visitées en observateur qu'on appréciera ce que leur coûtent les embellissemens de Paris. Je me propose de présenter en détail ce tableau de ruines. Comme je le tirerai principalement des rapports des prefets, je défie les admirateurs de la France d'en contester l'authenticité: mais je défie aussi ses ennemis de pouvoir le lire sans se sentir ėmus de compassion pour le peuple que ses chefs essayent de consoler de ses pertes en l'invitant á jouir de sa position et des espérances de l'avenir, en lui disant que les autres peuples ne le nomment plus qu'avec respect, avec ádmiration, et que tout l'univers est plein de sa GLOIRE.

Quelques personnes disent que la paix a déjà permis de rendre aux travaux productifs les hommes que l'état de guerre retenait oisifs sous les drapeaux. J'invite celles qui le croient et le répétent, à jeter les yeux sur la loi qui vient de mettre à la disposition immédiate du gouvernement 60 mille conscrits pour compléter l'armée de ligne, et 30 mille pour former le noyeau d'une armée de réserve que devra être portée à 150 mille hommes en cinq ans. Cette battue de conscrits est, comme on le voit, de moitié plus forte que celle qu'il fit en l'an VIII, lorsqu'il se préparait à déborder sur l'Italie et sur l'Allemagne. Ce qui ne la rend pas moins alarmante pour les Français que pour leurs voisins, c'est que la nouvelle loi n'admet aucune exception quelconque en faveur

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des jeunes gens qui ont entamé des études régulières, contracté des apprentissages et formé des établissemens. S'ils se trouvent hors d'état de payer la rançon requise, ils sont tous indistinctément arrachés à leurs vocations, tous forcés de prendre le mousquet pour aller selon l'occurrence, maintenir l'esclavage à la Guadeloupe et à Saint Domingue, rétablir la liberté en Suisse, assurer l'indépendance de la dicte de Ratisbonne, ou enseigner à main armée le droit des gens aux républiques d'Alger et de Tunis. Une levée immédiate et simultanée de quatre-vingt-dix mille conscrits! Tel est le premier bienfait de la première année de paix! Cette

levée a été décrétée à Paris dans le temps même où l'on y imprimait, par ordre de l'autorité, un rapport où le préfet du Gers déclare que "la dernière conscription militaire a porté de grandes atteintes à l'agriculture dans son département, qu'en frappant indistinctement tous les hommes d'un àge déterminé, elle avait enlevé d'un seul coup tous les bras d'une même famille, et qu'un grand nombre de cultivateurs ont été obligés d'abandonner leurs exploitations et de livrer leur vieillesse à la bienfaisance publique."

>Et cependant l'on parle des grandes économies qu'annonce, qu'effectue Bonaparte. Ses économies! Voici un rapprochement qui suffira pour en juger. En l'an VIII, et d'abord après son retour de SaintCloud, il annonça, par l'organe de son conseiller d'état Defermon, que les dépenses ordinaires et nationales de paix seraient fixées à 350 millions. En

l'an IX, il les supputa à 415, et promit qu'elles ne surpasseraient point cette somme. En l'an X, après les avoir élevées à 500, il a fait décréter la dépense additionnelle de l'armée de réserve, ainsi que celle des six mille légionnaires auxquels il a déjà assigné une somme le double plus forte que ne portait le décret. Enfin, et tout récemment encore, son premier sénatus-consulte organique vient de remplacer les cinquante tribuns qu'il supprime par autant de sénateurs et de conseillers d'état, dont les honoraires sont des deux cinquièmes plus forts. Voilà ses économies!

Mais, ajoute-t-on, ses revenus s'accroîtront d'euxmêmes avec la paix. Ainsi l'avait dit Bonaparte dans son exposé du 24 novembre 1801. Que ceux qui s'en laissent imposer à cet égard, jettent les yeux sur la table qui termine l'ouvrage récent de l'exministre Ramel. On y voit, article par article, que les contributions indirectes qui avaient produit net un peu plus de 150 millions en l'an VII, ont produit en l'an VIII, un peu moins de 128, et se sont arrêtées à 110 en l'an IX. On y voit aussi que les douze articles qu'il classe sous la rubrique de revenus, et qui avaient rapporté 194,252,764 fr. en l'an VIII, n'en ont plus rapporté que 99,690,000 en l'an IX. (9)

:(9) C'est principalement sur ce fait bien constaté que je m'appuye en disant que les revenus décroissent dans la même proportion que s'accroissent les dépenses.

Lorsque Bonaparte affirme le contraire, et dit que ses revenus s'accrottront d'eux-mêmes avec la paix, ceci ne doit s'en

tendre

Le retour de l'aisance et du luxe! Au lieu d'en juger d'après les voyageurs qui visitent les théâtres de la capitale, consultez les produits de la contribution somptuaire. Le même Ramel dit qu'on en attendait pour l'an IX, 2,300,000 francs, et vous verrez dans les derniers débats qu'elle n'en a produit que 900,000; chose à peine croyable, si l'on considère que cette contribution frappe sur les chevaux, sur les équipages et sur tous les domestiques màles et femelles. Ce qui ne paraîtra guères moins incroyable, c'est qu'un département entier, dont on tait le nom, a attesté n'avoir pas un seul propriétaire susceptible d'ètre porté sur les rôles de cette taxe. Aussi produit-elle en France moins de livres tournois qu'elle ne rapporte de livres sterling en Angleterre où les domestiques femmes n'y sont point soumises. (10)

tendre que d'un petit nombre de revenus permanens, et surtout des douanes. Je présume que l'augmentation de produits dont elles sont susceptibles, ainsi que l'enregistrement, le droit de passe et les octrois, cumulée avec les nouveaux droits qu'on a établis sur le tabac et sur la poste aux lettres, promet en effet pour l'an XI sur ces diverses branches 12 à 15 millions de plus qu'en l'an IX. Mais à peine ce surplus remplira-t-il la moitié du vuide qu'au ront laissé les branches qui s'éteignent. Ainsi, quand je dis que le déficit s'augmente, c'est en raison composée de l'extinction rapide de ces dernières, de la cessation du pillage étranger, et de la non diminution, ou, pour mieux dire, de l'augmentation d'une foule de dépenses qui font de l'établissement de paix un véritable établissement de guerre.

(10) Elle y a rapporté en 1801, L1,064,672 sterling, et avant d'être supprimée, la taxe des domestiques femmes rapporta environ L 33,000 sterling, c'est-à-dire, à peu de chose près,

Ja

L'activité des ateliers! On se rappelle les magnifiques promesses que le Consul alla faire en personne à ceux de Saint-Quentin, en assistant à la reprise des travaux du canal de Picardie. On se rappelle aussi que le député du commerce de cette ville assura, que sa présence y avait tout ranimé, que les fabriques de linon allaient bientôt réduire les Anglais au désespoir, porter les coups les plus funestes à leur commerce, et faire reconquerir à celui de la France ses anciens droits, son ancienne splendeur. Et bien, ouvrez le dernier rapport du préfet de l'Aisne, vous y lírez-"qu'en 1789, la fabrication annuelle de Saint-Quentin s'élevait de 150 à 160 mille pièces, qu'en l'an VIII, elle a été de 45 à 50 mille pièces, qu'elle sera à peine cette année de 30 à 35 mille, et que l'arrondissement de Vervins n'a pas la huitième partie des métiers qu'il occupait.” J'aurai à fournir des détails tout aussi authentiques, et non moins affligeans, sur la stagnation soutenue des ateliers de Lyon depuis que ses habitans ont élevé au Consul l'arc triomphal où l'on lit:

A SA VUE,

LES ARTS SE RÉVEILLÉRENT DANS CETTE CITÉ, LE COMMERCE REPRIT SON ANCIENNE

SPLENDEUR.

Enfin, quant à la splendeur, présente ou prochaine du commerce, et à l'essor qu'il a pris, dit-on, depuis le consulat de Bonaparte; si c'est par les ta

la même somme que les quatre branches de la contribution somptuaire produisent aujourd'hui en France.

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