CHRONIQUE CHRONIQUE DE BELGIQUE Le minimum de salaire dans les entreprises de travaux publics. On sait qu'en France trois décrets, pris à la date du 10 août 1899 et connus sous le nom de décrets Millerand, ont déterminé les conditions du travail dans les marchés de travaux publics et de fournitures passés au nom de l'État, des départements ou des communes; ces décrets prévoient notamment l'insertion dans les cahiers des charges d'une clause imposant à l'entrepreneur l'obligation « de payer aux ouvriers un salaire normal égal, pour chaque profession et, dans chaque profession, pour chaque catégorie d'ouvriers, au taux couramment appliqué dans la ville ou la région où le travail est exécuté ». C'est en Belgique, semble-t-il, que pour la première fois une administration publique a décidé d'introduire dans les cahiers des charges une clause relative au minimum de salaires; en 1853, en effet, le Conseil communal de Bruxelles invita le bourgmestre à prendre une ordonnance stipulant : « 1o que les travaux de la ville seraient payés aux patrons à raison de 64 centimes par ouvrier, à la condition expresse qu'il serait compté 50 centimes aux ouvriers; 2o que, dans tous les cahiers des charges, il serait stipulé que le patron s'engage, envers la commune, à payer le salaire ci-dessus. >> Successivement, plusieurs communes et les provinces suivirent l'exemple donné par le Conseil de Bruxelles; en 1896, sur 86 communes comptant plus de 8.000 habitants, 47 avaient adopté une clause fixant un minimum de salaire, et une seule province' (1), sur les neuf, s'était refusée à l'insérer dans ses cahiers des charges. En ce qui concerne les marchés passés par l'État, les divers (1) Celle du Luxembourg; le Conseil provincial de cette province, après avoir fait l'essai de la clause, l'a abandonnée parce que le taux des salaires payés aug mente d'année en année et dépasse de beaucoup le minimum qu'il s'agissait pri mitivement d'imposer ». gouvernements qui se sont succédé au pouvoir ont cru devoir laisser à chaque ministre intéressé le soin de régler cette question: mais, dès 1896, le ministre de l'Agriculture et des Travaux publics a invité les chefs de service ressortissant à son département à établir un bordereau indiquant par corps de métier le taux ordinaire des salaires payés par l'industrie privée aux ouvriers de chaque région; il prescrivait, en outre, l'insertion dans les cahiers des charges d'une clause aux termes de laquelle l'entrepreneur devait s'engager, par un bordereau signé et annexé à la soumission, à payer aux ouvriers, apprentis et manoeuvres chargés de travaux de maçonnerie, terrassement et pavage, des salaires ne pouvant être inférieurs aux taux indiqués au bordereau ». Ces prescriptions ont été rappelées à diverses reprises par le ministre des Travaux publics, notamment dans des circulaires des 6 novembre 1899, 22 mai 1900 et 9 juillet 1907; actuellement, presque tous les ministres ont donné des instructions analogues aux administrations placées sous leurs ordres. Nous venons d'indiquer qu'en ce qui concerne les travaux de l'État, ce sont les chefs de service qui fixent le taux du salaire minimum; pour les travaux entrepris par les administrations provinciales, ce sont très généralement les députations permanentes qui sont chargées de cette fixation; dans le Brabant seul, le Conseil provincial s'est réservé de statuer sur les propositions de la députation permanente; dans les communes, il appartient aux conseils communaux de prendre la décision. En France, les décrets Millerand confient aux préfets pour les travaux départementaux et à l'administration municipale, sous le contrôle du préfet, pour les travaux communaux, le soin de procéder à la constatation et à la vérification du taux normal et courant des salaires; ils instituent, pour arriver à cette constatation, une procédure uniforme également applicable à tous les travaux publics sans distinguer entre ceux qui sont entrepris par l'État ou par les autres administrations publiques. En Belgique, aucun texte législatif ou réglementaire n'ayant déterminé une procédure obligatoire, les autorités compétentes pour prendre la décision recueillent, suivant leurs tendances, les avis d'organismes différents : Anvers consulte la Bourse du travail, Gand le collège des échevins, Verviers les chambres patronales et les syndicats ouvriers, Bruxelles les syndicats patronaux et ouvriers et, en cas de divergence, les sections compétentes du Conseil d'industrie, etc. Notons, dans tous les règlements, deux dispositions qui figurent aux décrets Millerand: d'une part l'obligation imposée aux entrepreneurs d'afficher les bordereaux dans tous les chantiers et ateliers où les travaux sont exécutés, d'autre part l'interdiction du marchandage. La comparaison entre les législations belge et française en cette matière entraînerait à des développements que ne comporte pas cette chronique; nous nous bornerons à faire observer que les décrets de 1899 n'ont rendu la fixation du minimum de salaire obligatoire que pour les travaux de l'État; cette fixation est facultative pour les départements et les communes; nous ne connaissons pas de statistique qui fasse connaître le nombre des conseils généraux et de conseils municipaux qui ont usé de cette faculté; mais nous trouvons dans une brochure que vient de publier l'Office du Travail belge, sous le titre : Le Minimum de salaire et les administrations publiques, des renseignements précis sur les résolutions prises en cette matière par les conseils provinciaux et communaux belges sept provinces, Anvers, le Brabant, le Hainaut, Liége, Namur, les deux Flandres, ont admis la clause du salaire minimum à titre de règle constante applicable à tous les travaux entrepris par elles; la province de Limbourg n'a pris, jusqu'ici, aucun règlement général sur la matière, mais a adopté, le 27 août 1909, un cahier des charges pour les travaux de voirie vicinale qui prévoit un salaire minimum; nous avons vu supra que la neuvième province, celle du Luxembourg, était la seule à ne pas appliquer la clause du salaire minimum. La plupart des grandes villes et presque toutes les communes importantes ont déclaré avoir adopté la clause comme règle constante applicable à tous les travaux; quelques-unes ne l'imposent que pour les travaux les plus importants; d'autres (22) ne l'insèrent dans les cahiers des charges que si elle est imposée par la province, lorsque celle-ci subventionne les travaux. On ne peut que se féliciter de voir le nombre des communes qui suivent l'exemple donné par les administrations de l'État et les conseils provinciaux s'accroître chaque année; la clause du mi nimum de salaire constitue, en effet, une mesure efficace et légitime de protection du travail ouvrier et l'expérience a démontré que, d'une part, son application ne soulève pas de sérieuses difficultés et, d'autre part, que son insertion dans les cahiers des charges n'exerce, sur le résultat des adjudications, aucune influence désavantageuse pour les finances communales. G. M. CHRONIQUE D'ESPAGNE I. La dernière grève des chemins de fer et la législation des grèves. - I. La législation des grèves. La grève des ouvriers et employés de chemins de fer qui a éclaté en Espagne, dans la première quinzaine du mois d'octobre, a donné lieu à des mouvements analogues à ceux qui marquèrent la dernière grève des cheminots. français. Votée par 65.409 voix contre 1.418 seulement, elle présentait, au début, un caractère exclusivement professionnel et avait un double objet le relèvement des salaires et la réduction de la journée de travail. Mais, rapidement détournée de son but, elle revêtit un caractère antigouvernemental et, sur certains points, révolutionnaire. Le Congrès socialiste, réuni à la Maison du Peuple, à Madrid, encouragea les manifestants; les syndicats ouvriers de Barcelone préparèrent une grève générale de tous les corps de métiers; la presse catholique, carliste, elle-même, désireuse de faire échec au ministère, rivalisa avec la presse révolutionnaire pour exhorter les grévistes à la résistance et à la violence; les éléments anarchistes enfin s'empressèrent de saisir cette occasion pour mettre en œuvre leurs procédés habituels tendant à la désorganisation des services publics et à la destruction de l'ordre social. Le ministère Canalejas se vit dans l'obligation, comme le ministère Briand, en 1910, de faire appel à l'armée et à la force publique; pour assurer le départ de quelques trains sur les lignes importantes, une mobilisation partielle fut ordonnée; le Gouvernement rappela sous les drapeaux les hommes appartenant aux classes de 1907 à 1911; toutes les lignes furent placées sous le contrôle de l'autorité mi'itaire et les cheminots a nsi mobilisés furent avert's qu'ils devenaient justiciables des conseils de guerre. Il est intéressant de rappeler à cette occasion quelle est actuellement la législation en vigueur, en Espagne, en ce qui concerne les grèves. Jusqu'en 1909, il n'existait dans la législation espagnole aucun texte réglementant spécialement les coalitions soit ouvrières, soit patronales; le 27 avril 1909 fut promulguée une loi dont l'article 1 stipule expressément que les patrons et les ouvriers peuvent se coaliser, c'est-à-dire faire grève cu déclarer un lock-out pour la défense de leurs intérêts respectifs, sans préjudice des obligations résultant des contrats consentis par eux; ce texte confère donc un droit, mais il rappelle aussi un devoir le droit nouveau, c'est celui de s'unir; le devoir maintenu, c'est celui de respecter les engagements déjà contractés. Il peut sembler que ce droit et ce devoir soient contradictoires. Il n'en est rien le contrat de travail, exprès ou tacite, ne comporte pas l'engagement pour l'ouvrier de travailler indéfiniment pour son patron, pas plus qu'il ne comporte pour celui-ci l'obligation d'occuper indéfiniment son ouvrier; il existe en Espagne, comme en France, des textes généraux, des usages locaux qui régissent la matière et qui réglementent les conditions dans lesquelles le contrat de travail se forme, s'exécute et se rompt; l'article 1 de la loi de 1909 rappelle simplement que la faculté de faire grève n'a pas pour effet de soustraire patrons ou ouvriers aux obligations résultant de la législation et de la jurisprudence applicables, en général, à tous les contrats de travail. L'exercice du droit de grève est d'ailleurs réglementé par les autres articles de la loi : les articles 2 et 3 notamment, s'inspirant de la célèbre formule de Waldeck-Rousseau, que le droit d'un seul ouvrier de travailler est aussi imprescriptible que celui des autres de chômer, spécifient que tous ceux qui, pour former, maintenir ou empêcher les coalitions patronales ou ouvrières, les grèves ou les lock-outs, usent de voies de fait ou de menaces, exercent une pression de nature à paralyser ou à forcer la volonté des ouvriers ou des patrons en ce qui concerne l'exercice libre et légal de leur industrie ou de leur travail, sont passibles de l'emprisonnement et de l'amende; ceux qui troublent l'ordre public, forment des rassemblements dans le but manifeste d'imposer par la violence une grève ou un lock-out ou, au contraire, |