S'il est vrai de dire que l'autorité judiciaire peut seule statuer sur une question de possession, il faut cependant ajouter qu'elle doit respecter le principe général de la séparation des pouvoirs. Par suite, elle ne peut ni interpréter un acte administratif ou statuer sur sa validité, ni entraver son exécution. C'est avec raison que le Tribunal des conflits, dans un arrêt du 6 décembre 1884 (1), interdit à l'autorité judiciaire de se livrer à l'interprétation d'une vente de domaines nationaux pour résoudre la question de possession, et l'oblige à surseoir jusqu'à ce que l'interprétation ait été donnée par l'autorité compétente. Il existe cependant certaines décisions de la jurisprudence qui contredisent la doctrine que nous exposons. On peut citer, tout d'abord, un arrêt de la cour de Nîmes du 20 mars 1871 (2), qui reconnaît à l'autorité judiciaire le droit de maintenir un curé en possession provisoire d'un presbytère, nonobstant un arrêté d'expulsion pris par le préfet et entaché d'excès de pouvoir. Le cas soumis à la cour de Nîmes était celui-ci une question de possession s'agitait entre le maire d'une commune et le curé; le maire réclamait le délaissement du presbytère, le curé demandait, au contraire, son maintien en possession; le préfet avait cru pouvoir trancher cette difficulté en prenant un arrêté qui enjoignait au curé de quitter le presbytère, sous peine d'expulsion. La cour de Nimes déclara que l'autorité judiciaire pouvait ordonner le maintien en possession du curé, « attendu que, s'il lui est défendu de connaître des actes d'administration et d'en arrêter l'exécution, cette règle n'est applicable qu'autant que l'acte de l'autorité administrative rentre dans sa limite de ses attributions et ne constitue pas par lui-même un excès de pouvoir...; qu'aucune loi n'investit le préfet du droit de statuer sur les contestations qui peuvent s'élever entre une commune et son curé, au sujet de la possession du presbytère... » La solution consacrée par cet arrêt nous paraît inexacte. En effet, en permettant à l'autorité judiciaire d'apprécier la légalité d'un acte administratif et d'entraver son exécution lorsqu'il con (1) Voir Trib. Confl., 6 déc. 1884, Lacombe Saint-Michel, Recueil, etc., 1884, p. 891. (2) Voir cour de Nîmes, 20 mars 1871, maire de Lauris, DALL. 1872, 11, 95. tient un excès de pouvoir, la cour de Nîmes violait, incontestablement, le principe général de la séparation des pouvoirs, puisqu'un acte, quoique illégal, n'en conserve pas moins le caractère administratif à l'égard de l'autorité judiciaire (1). Selon nous, le juge de paix n'était compétent que pour vérifier si le curé avait ou non un droit de possession sur le presbytère, et, ce droit lui ayant été reconnu, il appartenait à l'autorité administrative de lui accorder une indemnité ou de le maintenir en possession. La Cour de cassation, dans un arrêt du 17 décembre 1884 (2), reconnaît également à l'autorité judiciaire le droit d'ordonner le maintien en possession d'un curé expulsé de vive force du presbytère par le maire, et semble ainsi confirmer la doctrine de la cour de Nîmes. Toutefois, cette décision peut s'expliquer par les circonstances particulières à l'affaire. Dans l'espèce, le fait qui avait troublé la possession du curé ne constituait nullement un acte administratif, mais une simple voie de fait qui, bien qu'émanant d'un agent de la puissance publique, n'en demeurait pas moins complètement étrangère à l'exercice de toute fonction. Par suite, la compétence judiciaire s'imposait. En définitive, les diverses décisions de la jurisprudence, exception faite de l'arrêt de la cour de Nîmes, confirment pleinement l'opinion que nous soutenons. Nous avons supposé, jusqu'ici, que la difficulté portait sur l'existence ou l'étendue du droit de possession. Mais il peut arriver que ce droit, sans être contesté, soit l'objet d'une atteinte de la part de l'Administration. Dans ce cas, à moins de texte contraire (3), il y a lieu de se prononcer pour la compétence judiciaire lorsque (1) On peut, il est vrai, expliquer cet arrêt par la doctrine de la compétence judiciaire en matière d'expropriation indirecte. Mais nous pensons qu'il faut se prononcer pour la compétence administrative lorsqu'un acte de puissance publique réalise une dépossession. Nous reviendrons d'ailleurs sur ce point. (2) Voir Cass., 17 déc. 1884, Dupont, DALL. 1885, 1, 289. (3) Par exemple, en matière de travaux publics (L. 28 pluviôse an VIII, art. 4) ou d'occupation temporaire (L. 29 déc. 1892). l'atteinte résulte d'un acte de gestion (1), car le litige ne soulève qu'une question d'intérêt privé. Par contre, l'autorité administrative doit être déclarée compétente lorsque l'atteinte provient d'un acte de puissance publique (2). Il s'agit là, en effet, d'une difficulté qui intéresse l'Administration envisagée comme puissance publique et dont l'examen échappe aux tribunaux ordinaires, par application du principe général de la séparation des pouvoirs qui leur interdit non seulement de réformer les actes de l'Administration, mais encore d'en connaître. Toutefois, d'après l'opinion générale (3), si l'atteinte consistait en une dépossession, l'autorité administrative cesserait d'être compétente et le particulier, dont le droit a été violé, devrait porter sa réclamation devant les tribunaux ordinaires. On se fonde, pour justifier cette solution, sur la loi du 3 mai 1841, qui consacre la compétence judiciaire en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique. Mais cette doctrine ne saurait être admise. La loi du 3 mai 1841 constitue, en effet, une dérogation au principe général de la · séparation des pouvoirs, puisqu'elle attribue à l'autorité judiciaire la connaissance d'une atteinte à la propriété privée résultant d'un acte de puissance publique. Il est, dès lors, naturel de l'interpréter dans un sens restrictif. Or, cette loi ne pose nullement en principe général que l'autorité judiciaire est seule compétente lorsqu'un acte de puissance publique entraine une dépossession; elle n'établit cette règle que pour le cas spécial où l'Administration, se conformant à ses prescriptions, réalise en sa faveur une cession de propriété et n'acquiert pas simplement un droit de possession. D'autre part, cette opinion manque de logique en déclarant compétent le (1) Voir Cass., 13 déc. 1904, commune d'Alet, DALL. 1905, 1, 195. A fortiori, l'autorité judiciaire serait-elle compétente si l'atteinte résultait d'une voie de fait. Voir Cass., 20 nov. 1871, veuve Natey, DALL. 1871, 1, 277; Trib. Confl., 10 déc. 1910, Mérot, Recueil, etc., 1910, p. 937. (2) Voir Cass., 5 déc. 1842, commune de Laître-sous-Amance, SIR. 1843, 1, 25; Cass., 24 août 1864, Lefèvre, DALL. 1864, 1, 366; Cass. 20 avril 1891, fabrique et curé de Saint-Hilaire-du-Harcouët, DALL. 1891, 1, 351; Trib. Confl., 27 déc. 1879, Sœurs de l'Instruction chrétienne, Recueil, etc., 1879, p. 886; 14 janv. 1880, Frères des Écoles chrétiennes, deux espèces, Recueil, etc., 1880, p. 23 et suiv.; 27 déc. 1880, Frères des Écoles chrétiennes, Recueil, etc., 1880, p. 1086. (3) Voir BREMOND, déjà cité, nos 1078 et suiv.; SANLAVILLE, De l'Occupation définitive sans expropriation, p. 166 et 167. tribunal civil, alors que la loi du 3 mai 1841 n'a en vue que le jury d'expropriation. Nous pensons donc qu'en l'espèce l'autorité administrative a qualité pour statuer, par application de la loi des 16-24 août 1790, suivant laquelle toute réclamation dirigée contre un acte de puissance publique appartient, en principe, au contentieux administratif. Telles sont, brièvement exposées, les règles de compétence auxquelles sont soumises, à notre avis, les questions de possession. Albert Roux, Docteur en droit, Conseiller de préfecture du Puy-de-Dôme. LES MINISTÈRES (Suite) (1) LES BUREAUX Sérieuses critiques auxquelles donne lieu l'organisation des bureaux. De nombreux reproches ont été adressés à l'organisation que nous venons d'étudier. Un des principaux vise la longueur de la filière hiérarchique (2). (1) Voir le numéro de janvier 1913, t. I, p. 5. (2) On a souvent critiqué aussi, comme excessif, le nombre des directions, des bureaux et des emplois. Il faudrait, pour se prononcer d'une façon tout à fait précise à ce sujet, examiner point par point l'organisation de chaque administration centrale, ce qui nous entraînerait hors des limites que nous nous sommes tracées. Mais, sans entrer autant dans le détail, on peut affirmer que, d'une façon générale, la critique a perdu, en ces dernières années, la plus grande partie de sa valeur. L'accroissement de travail que nous avons signalé précédemment et les réductions de personnel qui ont déjà été effectuées rendraient inacceptable, dans presque tous les ministères, une diminution même restreinte du nombre des fonctionnaires d'exécution. Seule, serait possible et souhaitable, comme nous le verrons, la transformation d'un certain nombre d'emplois en emplois d'une catégorie différente. Quant aux cadres des directions et bureaux, ils paraissent également fort peu compressibles; quelques bureaux pourraient encore, çà et là, être fusionnés, et ils le seront fatalement; en ce qui concerne les directions, elles sont, dans l'ensemble, fort logiquement comprises, et seul, le ministère de la Marine pourrait, de l'avis unanime, être, à ce point de vue, l'objet d'une utile réorganisation. Sans doute, il serait facile de concevoir dans des projets théoriques un certain nombre de modifications, parfois séduisantes au premier abord. Mais il faut, en pareille matière, se défier des exagérations et ne pas perdre de vue les difficultés pratiques. M. Chardon, par exemple, a proposé. dans son ouvrage sur les Travaux publics, la réunion en une seule direction de tous les services concernant les voies de communication ferrées, terrestres et fluviales. Tout autre d'ailleurs a été l'avis de M. Millerand qui, durant son passage au ministère des Travaux publics, n'a pas tardé à reconnaître, au contraire, la nécessité de fait d'y créer une direction nouvelle, afin de décharger la direction |