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représentant du Pouvoir central, ce n'est point contraire à la décentralisation. Cette haute fonction ne pourra être remplie que par des hommes distingués; leur rôle auprès de l'assemblée délibérante sera important, leur champ d'action sera vaste. Ils auront le noble désir de rappeler les grands intendants d'autrefois et, malgré le changement de cadre, l'occasion d'appliquer leurs talents à des actes de haute administration ne leur manquera pas.

Le Parlement local ne pourra pas les renverser sur un ordre du jour? Serait-il salutaire de lui attribuer tant d'omnipotence? Nous avons vu depuis quarante ans quel a été le rôle des préfets auprès des conseils généraux. Il semble bien que les conseils régionaux puissent évoluer sous le même régime.

Néanmoins, il faut convenir qu'après une période transitoire de réformation, l'Administration de l'avenir devra prendre un aspect nouveau. Lorsque, le mouvement achevé, les collectivités futures seront de plein exercice, c'est-à-dire lorsque leurs représentants auront acquis la pleine possession de leur budget, en recette et en dépense · car le pouvoir financier intégral est une condition nécessaire du gouvernement local; quand l'antique tutelle administrative aura vécu, ne pouvant être opposée à la souveraineté des assemblées, alors un contre-poids sera nécessaire: il faudra protéger les assemblées contre leurs propres entraînements et les citoyens contre les abus du pouvoir.

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Ce contrepoids, nous serions tenté de l'emprunter à la tradition révolutionnaire, par l'institution de recours devant l'assemblée supérieure contre les actes de l'assemblée inférieure, depuis le conseil municipal jusqu'au pouvoir législatif. Il faudrait entendre cependant que ces assemblées supérieures, statuant en quelque sorte comme jury, ne pourraient se saisir elles-mêmes et que leur jugement serait provoqué ou par le représentant permanent du Pouvoir central agissant dans l'intérêt public, ou par la minorité des assemblées, ou par les citoyens. Ces recours seraient trop nombreux? Ne nous en inquiétons pas. Ils s'exerceraient en pleine publicité, sous le contrôle de l'opinion, et c'est là la meilleure des garanties, la seule qu'on doive rechercher aujourd'hui. Rien n'empêcherait, d'ailleurs, de conserver en toute matière touchant à l'application des lois, les voies d'appel au Conseil d'État.

Ces transformations profondes, pour intéressantes qu'elles soient

au point de vue de l'acceptation franche et complète du régime représentatif, peuvent être l'objet de longues controverses. On concevra que nous nous en tenions à une simple esquisse. Ce n'est pas, d'ailleurs, l'œuvre immédiate de demain. A nos yeux. la décentralisation régionaliste doit s'accomplir progressivement par étapes successives, aucune ne devant être franchie avant que les résultats de la précédente n'aient été soigneusement constatés et classés. Mais nous croyons fermement qu'au point où nous en sommes, les réformes se feront par la voie régionaliste, ou qu'elles ne se feront pas.

Sous le couvert de cette marche prudente et à l'abri de la législation préexistante, la décentralisation ne peut être dangereuse pour l'unité nationale. D'aucuns prétendront encore que la création de parlements provinciaux pourra nuire à l'unité politique du pays. A ceux-là qui sont nécessairement des républicains nous répondrons que les libertés locales sont l'essence même du régime républicain et qu'elles ont toujours été considérées comme le meilleur procédé éducatif de la démocratie. Au surplus, ce ne serait pas chose nouvelle que de voir des représentants du Gouvernement de la République en butte à l'hostilité des assemblées près desquelles ils seraient accrédités.

Et puis, enfin, un dilemme domine tout le débat veut-on donner aux institutions administratives du pays un jeu équitable et nécessaire, ou préfère-t-on, avec le régime impérialiste de la centralisation, courir les risques de commotions violentes?

Si c'est le statu quo, pourquoi, de toutes parts, en signale-t-on les inconvénients et les dangers?

L'esprit régionaliste s'est manifesté sous diverses formes. D'abord par une sorte de sentimentalité, dont la spontanéité est un phénomène curieux. Au moment précis où la vie devient plus mouvementée, où les nécessités de l'existence déracinent tant d'individus, le culte de la petite patrie refleurit de toutes parts sur la terre de France; il suggère des manifestations pittoresques charmantes; il crée, dans les grandes villes, un courant d'association tout nouveau entre les enfants d'un même terroir; il pro

voque, enfin, tout un mouvement de renaissance artistique et littéraire. C'est le côté sympathique et gracieux du régionalisme. Il ne faut pas trop subir ce charme. Quelques bons esprits semblent s'y attarder, allant jusqu'à avancer qu'il faut laisser le grain germer, de telle sorte que le législateur n'ait plus qu'à cueillir le fruit mûr, lorsque les provinces auront d'elles-mêmes fixé leurs limites et établi leur capitale. Telle n'est pas notre impression.

D'autres voient dans le régionalisme un puissant agent de développement des énergies françaises. Ils ont noté que l'individualisme créé par la centralisation révolutionnaire et napoléonienne donne lieu, de nos jours, à un choc en retour se manifestant sous la forme d'un puissant mouvement d'association. A bon droit, ils pensent qu'on ne peut laisser cette puissance d'association face à face avec l'État-Providence et ils songent à assurer, dans la région organisée, un développement normal et une représentation équitable au syndicalisme, à la mutualité, à la coopération. Tout cela est juste. Il est bien certain, par exemple, que le jour où nous cesserons d'envoyer à Paris l'argent de nos caisses d'épargne et des retraites ouvrières, nous pourrons, sur place, donner satisfaction aux nombreux besoins des collectivités de libre agrégation. Mais il ne faut pas construire la maison en commençant par le toit, créons d'abord la région.

Il est manifeste qu'en France l'initiative individuelle ne se développe aisément que dans le cadre tracé d'avance par les lois. Sans doute quelques sceptiques prétendent, à l'encontre des projets régionalistes, qu'il n'est nullement besoin de créer de nouvelles circonscriptions, attendu que la législation actuelle permet aux départements et aux communes de s'associer pour des projets communs. Or, il est constant que la loi de 1890, sur les syndicats de communes, n'a donné que des résultats insignifiants. Quant aux départements, il en est de même. A peine, de temps à autre, quelques commissions interdépartementales se réunissent-elles pour l'étude d'une question spéciale, notamment en vue de s'entendre au sujet d'un chemin de fer d'intérêt local, mais pour des projets d'une portée générale, d'un intérêt permanent, presque jamais. En voici un exemple frappant : la loi de 1879 qui prescrivait aux Conseils généraux de pourvoir à l'entretien d'écoles normales d'instituteurs et d'institutrices, leur donnait la faculté de s'asso

cier dans ce but; il y eut en tout deux ou trois exemples d'ententes interdépartementales; dans la généralité, les conseils généraux attendirent les uns les autres des invitations qui ne se produisirent pas et quand les écoles furent partout construites, à raison de deux par département, on s'aperçut qu'il aurait été avantageux de s'entendre avec le voisin.

Il faut en conclure que la région administrative est l'armature indispensable et que toutes les formations régionalistes, dans l'ordre intellectuel, artistique ou économique, ne trouveront leur épanouissement que dans la terre promise. La parole est d'abord au législateur.

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Les régionalistes ont le dessein tout naturel de faire triompher leur cause. La meilleure des tactiques consisterait à s'attacher aux solutions les plus simples. Si la création de régions administratives était présentée comme l'aboutissement logique et inéluctable — de la décentralisation; si l'on voulait, selon la conception que nous défendons, donner à la réforme une marche progressive, les premières assises de l'édifice pourraient se poser aisément. Au contraire, si les nombreux intérêts que le régionalisme doit promouvoir, se heurtent dans la discussion, si la réforme prend le caractère d'une révolution profonde, il est douteux qu'on l'obtienne de longtemps.

Non pas que le Parlement doive se tromper sur la portée du mouvement que la division de la France en régions administratives est susceptible de déclencher. I devra, au contraire, en avoir une exacte conscience. Du moins, l'acte à accomplir ne doit-il pas, de prime abord, prendre à ses yeux, l'aspect redoutable d'un tournant de l'histoire, d'un saut dans l'inconnu.

Sous des apparences modestes, mais pleines de promesses dont les événements, nous en sommes convaincu, apporteraient la réalisation, la réforme initiale pourrait se formuler très simplement.

Il suffirait d'arrêter la carte des régions et de décider la création d'un organisme régional. Un préfet supérieur ou gouverneur rem

plirait, selon les principes traditionnels, les fonctions de commissaire du Pouvoir central et d'administrateur de la collectivité; la représentation serait constituée par les conseils généraux formant ensemble un parlement régional, tout en conservant séparément, telles qu'elles sont définies par la loi du 10 août 1871, leurs attributions actuelles pour l'administration du département, à la tête duquel serait maintenu le préfet.

Les dispositions de cette loi pourraient être adaptées provisoirement à la nouvelle organisation, tant pour le mode de délibérer de l'assemblée, que pour l'administration de la collectivité. On pourrait peut-être cependant se dispenser de créer un pouvoir permanent correspondant à la commission départementale; mieux vaudrait laisser au Parlement la faculté de constituer des commissions permanentes d'études. La commission départementale a des pouvoirs de tutelle qui ne correspondraient à rien dans l'organisation régionale. Quant à son rôle de conseiller de l'Administration, il n'est pas essentiel. L'harmonie des pouvoirs exigerait même que l'agent d'exécution conservât toutes ses responsabilités, sous le bénéfice des consultations officieuses auxquelles il peut toujours recourir sans y être obligé. Au contraire, on conçoit très bien que le Parlement régional ait le désir de confier des études à quelques-uns de ses membres dans l'intervalle des sessions. La loi de 1871 l'interdit aux conseils généraux; on sait que ce n'est pas sans accomodements dans la pratique.

Il va de soi que l'arrondissement serait supprimé, avec son sous-préfet et son conseil d'arrondissement. Ce n'est pas la seule opération du sous-répartement de l'impôt qui justifierait le maintien de cette assemblée.

Quant à l'organisation judiciaire, elle serait évidemment modifiée par la suite, mais rien n'obligerait à lier son sort, au début, à la réforme administrative.

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Pour créer une organisation régionale, il faut nécessairement commencer par établir une carte des régions. A cet égard, on compte déjà de nombreux essais; le Parlement a même été saisi de plusieurs propositions de lois. On pourra toujours, quand on

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