le voudra bien, s'arrêter à un parti, mais il convient de s'entendre sur les idées directrices. On a parlé de réunir les départements ayant des intérêts identiques, des affinités, des liens ethniques; on a cherché M. Charles-Brun a publié un travail dans ce sens (1)— à renouer des traditions historiques. Pour aboutir, il ne faut pas multiplier les controverses. La controverse historique est la plus dangereuse de toutes, car la reconstitution des anciennes provinces - irréalisable, d'ailleurs, en beaucoup de points, -soulèverait des susceptibilités et des discussions à perte de vue. La France d'autrefois, si attachant que soit son souvenir, a disparu sous la poussée révolutionnaire et d'autres unités, nées il y a cent vingt ans, se sont déjà créées une autre histoire, puisqu'on a pu parler de patriotisme départemental. Tout au moins, la personnalité du département a pris assez de consistance pour constituer, en sa faveur, le fait acquis. Il serait donc tout à fait désirable de créer les régions avec les départements actuels, sans morcellement; on éviterait de la sorte des liquidations d'intérêts qui alourdiraient singulièrement les lois de réorganisation. La formation des régions semble devoir s'inspirer de deux sortes de considérations principales: le choix d'un certain nombre de grandes villes susceptibles de devenir des centres actifs de civilisation et la délimitation des départements qui les environnent, de telle manière que les circonscriptions soient le plus possible d'égale importance. Cela n'ira pas sans quelques froissements; il se pourra, par exemple, que la Bretagne soit partagée entre deux régions, Nantes et Rennes. Sera-t-elle moins la Bretagne ethnique et historique? Le sera-t-elle moins qu'avec ses départements actuels? Le partage le plus indiqué, entre tous ceux qui ont été envisagés, nous semblerait devoir être celui des régions militaires; il a déjà quarante ans d'existence affirmée par la réunion, dans les casernes et les camps d'instruction, des générations appelées sous les drapeaux et puis, il a été établi de manière à distribuer la population de la France suivant des fractions numériques sensiblement égales. Cependant cette répartition du territoire ne peut être adoptée (1) Voir le Petit Journal des 18, 20 et 22 septembre 1912. telle quelle, par la raison que les contingents de Paris et ceux de Lyon (Paris et Lyon sont le siège de deux gouvernements militaires indépendants) ont été affectés aux corps d'armée voisins, d'où il suit que les régions militaires qui reçoivent les réservistes parisiens et lyonnais ont une importance territoriale moindre. D'autre part, des considérations touchant à la situation de l'inscription maritime ont conduit à trop étendre dans le sens longitudinal les régions de Bordeaux et de Nantes qui embrassent à ́ elles deux tout le littoral de l'Atlantique. Enfin la création plus récente du 20e corps, dont le chef-lieu est à Nancy, ne se prête pas à l'organisation administrative. Il y aurait donc des retouches à faire, notamment pour les 2e, 3e, 4o, 5o, 6e et 20e régions. Il conviendrait de partir de l'idée qu'il n'y a pas lieu de désigner Paris comme chef-lieu de région. Paris et le département de la Seine ont une importance telle, au point de vue des ressources de l'impôt surtout, qu'il serait mieux de leur conserver leur organisation actuelle, ce qui ne veut pas dire que Paris et le département de la Seine, déjà soumis à un régime administratif exceptionnel, ne devraient pas profiter des lois décentralisatrices. Ce sera toujours dans une mesure différente et nous n'avons pas à traiter cette question spéciale.. La région parisienne à créer pourrait avoir Versailles comme capitale. Les administrés de la partie nord auraient, il est vrai, à traverser Paris pour se rendre au chef-lieu, mais véritablement cette considération n'est, à notre époque, que d'une importance secondaire. Nous venons de parler des ressources de l'impôt. C'est, en effet, une question de premier ordre, car si l'on veut réaliser la formule: « les affaires de la commune à la commune, celles de la région à la région, celles de l'État à l'État », il faut en arriver à constituer des finances communales et des finances régionales homogènes. Il importe, dès lors, à défaut d'une impossible égalité de partage, de donner à chaque région une dotation suffisante pour lui permettre d'assurer le fonctionnement de ses services, tout en lui laissant une marge assez large pour qu'elle puisse entreprendre les travaux publics nécessaires à son développement et promouvoir ses institutions locales. Pour qu'ils aient les moyens de vivre de leur vie propre, il faut éviter de mettre au jour des groupements inférieurs qui ne pourraient subsister sans le secours de l'État, ce qui est le cas en ce moment pour certains départements (1). La richesse publique, et partant la matière imposable, n'étant pas également répartie sur le sol de France, il ne peut être question de concéder aux diverses assemblées régionales des revenus d'égale importance. Il faut bien admettre, en revanche, que les exigences de la vie sociale et des services publics ne seraient pas, dans les régions à production industrielle et à population dense, les mêmes que dans les régions agricoles ou de montagnes. L'important est de permettre à chacune d'exister. Il n'est pas hors de propos de rappeler que les budgets départementaux, encore si enserrés dans leur cadre, ont été longtemps sous la dépendance absolue de l'État. Ces budgets étaient autrefois alimentés, en grande partie, par un fonds commun d'impositions dites départementales que le Pouvoir central répartissait à son gré. Ce système a disparu maintenant les conseils généraux disposent d'une certaine quotité de centimes additionnels au principal des quatre contributions directes, mais comme le principal est très faible dans quelques départements, il a fallu suppléer à son insuffisance par un fonds de subventions qui est une survivance du fonds commun d'autrefois. Les départements à faible revenu, qui ont, toutes proportions gardées, les mêmes charges que les départements importants, notamment l'entretien des palais de justice, des casernes de gendarmerie, des prisons et des écoles normales, reçoivent donc, sous forme de subvention de l'État, une certaine somme qui constitue le préfixe de leur budget. Supposons le département agrandi jusqu'aux limites régionales de quatre ou cinq départements; immédiatement le fonds de subvention n'a plus d'utilité, à moins qu'on n'unisse des départements pauvres, dans une trop forte proportion, ce qu'il faudrait précisément éviter (2). (1) Le centime départemental rapporte 199.000 francs dans le Nord, 135.000 francs dans la Seine-Inférieure, 8.000 francs seulement dans les Hautes-Alpes et la Lozère (Situation financière des départements en 1908, publiée en 1912 par le ministère de l'Intérieur). (2) Voir dans la Revue générale d'Administration de novembre et décembre 1912 (Berger-Levrault, éditeurs) une étude sur l'incidence des subventions. de P'État Les Subventions de l'État et leur effet utile au point de vue départemental. On fera des économies d'administration? Pour le moment, ne nous arrêtons pas à cette considération. Allons plus loin. Supposons maintenant que l'État se décharge sur les régions d'un certain nombre de services administratifs dans le domaine de la voirie, de l'instruction publique et de l'assistance; il devra abandonner en même temps des ressources correspondantes et nous nous acheminons ainsi vers l'application de la formule fiscale la plus nette « L'impôt indirect à l'État, l'impôt direct pour les dépenses locales ». Dès 1890, M. Léon Say déposait à la Chambre des Députés (1) une proposition de loi ayant pour objet d'attribuer aux départements et aux communes le principal des deux contributions foncières, à charge par eux d'assumer les dépenses de certains services publics. « On a pu constater, depuis un certain nombre d'années, écrivait-il dans l'exposé des motifs, un fait qui tend de plus en plus à se généraliser en matière de division des impôts, selon leur nature, entre les budgets généraux et les budgets locaux. Dans les grandes fédérations, qu'elles soient républicaines ou monarchiques, les impôts fédéraux sont surtout indirects et les impôts des cantons, États, royaumes fédérés, sont partout directs. La raison en est que l'impôt direct ne peut être bien perçu et surtout bien réparti que si chaque contribuable peut en constater l'emploi près de soi. » Qu'on nous permette une seconde citation; elle est empruntée au rapport de la commission qui a été chargée d'arrêter un mode d'assiette des impôts départementaux et communaux, à la suite du vote de l'impôt général sur le revenu (2) : « Il est bon, il est salutaire, écrivait le rapporteur, au point de vue politique comme au point de vue administratif, que les taxes locales ne soient pas enchevêtrées avec les impôts d'État; il faut, d'une part, que le Parlement soit à même de réformer les contributions générales sans troubler le mécanisme des impositions départementales et communales; il est, d'autre part, essentiel de permettre aux citoyens de nettement distinguer les charges qui leur sont imposées par les diverses représentations qu'ils élisent, tandis qu'aujour (1) Documents parlementaires. Chambre des Députés. Session de 1890, annexe no 599, Journal officiel, p. 892. (2) Voir l'École des Communes, novembre et décembre 1910. d'hui, la juxtaposition, pour ne pas dire la confusion, des taxes générales et des taxes locales place les électeurs dans l'impossibilité d'exercer efficacement leur droit de contrôle. »> On ne peut mieux dire. Cependant, la commission s'est heurtée à des difficultés inextricables. Elle a pu éprouver la complexité extrême de la solution qu'elle a dégagée en fait foi combien il est difficile de réformer les contributions générales sans troubler le mécanisme des impositions départementales et communales lorsque les taxes locales sont enchevêtrées avec les impôts d'État. Au lieu d'agir ainsi sur la masse du système financier, il serait infiniment plus simple d'adopter le système de M. Léon Say et de procéder par voie de discrimination des dépenses en rendant aux budgets locaux tout ce qui peut leur être remis, tout ce qui, en somme, est de leur ressort. Il éclate aux yeux que la personnalité régionale serait seule assez puissante pour recueillir cet héritage. Recevant, en échange des charges dont l'État se débarrasserait sur elle, le produit des contributions directes, elle ne tarderait pas, en scrutant à la fois les recettes et les dépenses, à transformer cet héritage et il y a tout lieu de penser que ce serait dans un sens profitable à la collectivité. Les solutions ne seraient pas les mêmes partout et ce serait tant mieux : la diversité est un avantage du régionalisme. Les erreurs qui seraient commises ne se répéteraient pas et les solutions heureuses feraient école. Il est douloureux de le rappeler, mais nous avons sous les yeux un véritable champ d'expériences des plus remarquables. Le Parlement d'Alsace-Lorraine nous a montré ce que peuvent devenir les lois françaises de centralisation dans une province rendue à son autonomie administrative. L'exemple a été maintes fois invoqué; on a même pensé à le copier, notamment pour la transformation de la contribution foncière en impôt de quotité. Les provinces françaises ne subissent pas le même joug politique; elles vivent sous l'égide de lois libérales. Pourquoi ne leur donnerait-on pas la faculté d'améliorer de la même manière leur régime fiscal et administratif? (A suivre.) Louis BOUCHERON, Chef de division à la préfecture d'Indre-et-Loire. |