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LA TAXE VICINALE

En attendant que la suppression de la prestation trouve une majorité au Parlement, le législateur de 1903 a donné aux populations intéressées une première satisfaction, en accordant aux conseils municipaux la faculté de substituer à cet impôt une taxe vicinale représentée par des centimes additionnels aux quatre contributions directes. Le mécanisme de cette réforme sera précisé dans la suite de la présente étude.

Toutefois, il serait erroné de croire que cette réforme fût un produit spontané de la législation de 1903. Nombreuses, en effet, sont les propositions faites précédemment dans le même but, et dont la loi de 1903 n'a été que l'heureux aboutissement. Il semble donc qu'on ne puisse apprécier le caractère et la portée de cette dernière, si on ne connait préalablement ces propositions. Le bref exposé qui va suivre est destiné à répondre à cette nécessité.

LE MOUVEMENT LÉGISLATIF PRÉCURSEUR DE LA LOI DE 1903 (1)

I.

Les ancêtres lointains de la loi de 1903.

Dès 1824, au cours de la discussion qui devait donner pour la première fois une base légale à la prestation, M. de La Pasture avait préconisé un impôt vicinal portant sur les quatre contributions directes, comme le plus efficace et le plus propre aussi à assurer la

(1) Ce chapitre ne contient pas l'analyse de tous les projets et propositions déposés au sujet de la réforme faisant l'objet de notre étude, mais seulement une brève énumération des principaux de ces projets et propositions.

proportionnalité de sa charge avec les facultés de chacun des assujettis.

Après lui, de nombreux membres des deux Chambres reprennent cette idée. La discussion de la loi du 21 mai 1836, notamment, en trouva plusieurs défenseurs, au nombre desquels MM. Estancelin, Goupil de Préfeln et Salverte (1).

A son tour, la Révolution de 1848 remet à l'ordre du jour des réformes à opérer la question de la suppression de la prestation en nature. Une commission extra-parlementaire formée par les soins de Ledru-Rollin, membre du Gouvernement provisoire et ministre de l'Intérieur, se réunit sous la présidence de M. Cormenin et élabore un projet, aux termes duquel la prestation-travail est remplacée par des centimes additionnels aux quatre contributions directes, dont le nombre ne peut excéder vingt. Il appartient au conseil général de déterminer le chiffre d'impôts directs au-dessous duquel les contribuables sont exonérés de la taxe vicinale (2).

En présence des profondes modifications que comporte ce projet, M. Dufaure, qui, dans l'intervalle, a succédé à Ledru-Rollin au ministère de l'Intérieur, croit devoir consulter sur son objet les conseils généraux. A une forte majorité, ces assemblées se montrent hostiles au changement du statu quo, et le projet de la commission est abandonné.

Le principe en est repris, cependant, par plusieurs propositions de loi déposées en 1849 et en 1850; elles n'ont pas un meilleur sort que les précédentes.

Pendant près de trente ans, la question cesse même d'être agitée devant le Parlement. Il faut venir jusqu'en 1876 pour se trouver de nouveau en présence d'une proposition de réforme de la prestation. Elle émane de MM. Escanyé, Massot et Rougé, députés, et tend à la substitution à l'impôt en nature d'une contribution proportionnelle aux facultés des contribuables, et exclusivement pécuniaire. Cette substitution-facultative, d'ailleurs, pour chaque conseil municipal doit, en cas d'adoption, être approuvée par le conseil général du département (3). Malgré le rapport favorable

(1) Voir Monit. univ., numéros des 22, 25 et 26 février 1836.

(2) Voir Monit. univ. des 2 et 3 nov. 1848, p. 3055.

(3) J. off., 2 juin 1876, annexe no 130, p. 3777.

dont elle est l'objet de la part de M. Casimir-Périer (1), cette proposition ne voit pas le jour de la discussion publique et devient caduque, la commission instituée pour son examen n'ayant pu terminer ses travaux avant la fin de la législature.

Le Gouvernement prend alors l'initiative de la réforme. D'après le projet de loi déposé à la Chambre, en 1888, par MM. Floquet, président du Conseil, ministre de l'Intérieur, et Peytral, ministre des Finances, la prestation est remplacée par une taxe communale spéciale, d'un montant équivalent à celui de la prestation, et répartie au prorata du principal des contributions directes. Les indigents peuvent être exemptés par le conseil municipal. La faculté de libération en nature est conservée; toutefois, en cas d'option pour ce mode, l'exécution doit nécessairement avoir lieu à la tâche (2). Soucieux de se conformer à la tradition inaugurée en cette matière par ses prédécesseurs, le Gouvernement, représenté en la personne de M. Léon Bourgeois, sous-secrétaire d'État au ministère de l'Intérieur, envoie aux préfets des questionnaires destinés à être soumis aux conseils généraux. Le résultat de cette nouvelle consultation est derechef favorable au maintien du statu quo. Le projet tombe dès lors dans l'oubli.

II. Les propositions de réforme Antonin Dubost et Brincard.

Mais deux nouvelles propositions de loi, d'une exceptionnelle importance, surgissent bientôt : l'une, dont le dépôt primitif remonte au 21 novembre 1881 (3) et est reproduite successivement en 1886 (3) et en 1889 (3), ayant pour auteurs MM. Antonin Dubost et de La Porte, a pour objet d'accorder aux conseils municipaux la faculté de substituer à la totalité, ou à une partie seulement des journées de prestations, un nombre de centimes additionnels aux quatre contributions directes suffisant pour donner un produit équivalent au montant des journées remplacées; l'autre, émanant de MM. Brincard, Haussmann, Gauthier (de Clagny) et Argeliès,

(1) J. off., 2 nov. 1876, annexe no 484, p. 8067.

(2) J. off., 24 août 1888, doc. parl., Ch. des Dép., annexe no 2859, p. 906. (3) J. off., 1881, doc. parl., Ch. des Dép., annexe no 110, p. 1792. 1886, session extraord., annexe no 1248, p. 1064. 1889, session extraord., annexe no 123,

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REVUE D'ADM. 36 ANNÉE, T. I MARS 1913

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députés, et comportant, outre la faculté de la proposition précédente à l'adresse des conseils municipaux, celle, ouverte aux con tribuables, de se libérer en nature de leurs obligations (1).

Au nom de la commission, à l'examen de laquelle ces propositions sont renvoyées, ainsi que deux autres de MM. Bourgeois (du Jura) et Peyrusse, tendant au remplacement de la prestation par un impôt d'État, M. Dupuy-Dutemps rédige un très remarquable rapport exposant le projet élaboré par la commission. Ce projet fusionne les propositions Antonin Dubost et Brincard (2). Comme la première, il pose le principe du remplacement de la prestation, concédé aux conseils municipaux, par des centimes communaux additionnels aux quatre contributions directes; comme la seconde, il maintient aux contribuables le droit, en vigueur sous le régime de la prestation, de se libérer en nature, à la condition d'en faire la déclaration à la mairie, dans la quinzaine qui suit la date de la publication du rôle. Mais, à ces propositions, il est fait plusieurs adjonctions d'abord, le remplacement de la prestation peut être total ou partiel; s'il est partiel, le rachat de la prestation individuelle doit nécessairement précéder celui de la prestation réelle (animaux et véhicules). Puis, l'exécution en nature doit obligatoirement avoir lieu à la tâche d'après un tarif fixé par le conseil municipal et arrêté définitivement par la commission départementale. Enfin, certaines limites sont posées à la faculté d'acquittement en travail d'une part, les cotes inférieures à la valeur d'une journée de travail (hommes) sont exigibles en espèces; d'autre part, celles qui excèdent la valeur de trente journées de travail (hommes) ne sont susceptibles d'être acquittées en nature que jusqu'à concurrence des deux tiers de leur montant.

Soumis, le 16 janvier 1892, à la Chambre des Députés, le projet est adopté en première délibération par cette assemblée, sans y avoir rencontré une opposition bien vive (3). Puis, sauf en quelques points de détail qui n'affectent en rien les principes de la réforme, il est voté en deuxième délibération, sans plus de difficulté, dans les séances des 26 et 27 avril 1893 et transmis, dès le lendemain, au Sénat. Celui-ci institue, pour l'examiner, une commission spé

(1) J. off., doc. parl., Ch. des Dép., annexe no 131, p. 252.
(2) J. off., 1881, Ch. des Dép., annexe no 1557, p. 1534 et suiv.
(3) J. off., 1892, déb. parl., Ch. des Dép., p. 10 et suiv.

ciale (1). Le rapporteur de cette commission, M. Labiche, fait, dès le 20 juillet suivant, un rapport provisoire signalant l'insuffisance des renseignements mis à la disposition de la commission et concluant à la nécessité de les compléter. Enfin, le 19 février 1895, il dépose son rapport définitif, comportant plusieurs modifications au texte adopté par la Chambre (2). L'une de ces modifications est d'une grande importance: d'après elle, la délibération du conseil municipal, qui continue d'être exécutoire par elle-même, lorsque le nombre de centimes nécessaire au remplacement de la prestation n'excède pas 20, doit, au delà de ce chiffre, être revêtue de l'approbation du préfet, après avis du conseil général. Le désir de protéger les finances communales contre les entraînements municipaux, aboutit ainsi à une restriction des pouvoirs conférés à ces assemblées. Le projet de la commission sénatoriale supprime, en outre, l'obligation du travail à la tâche, en cas d'option pour l'acquittement en nature et rétablit la faculté d'exécution à la journée. Enfin, le délai d'option est porté de quinze jours à un mois.

C'est sur ces bases que la discussion s'engage au Sénat. En dépit des efforts réitérés de M. Buffet, qui se montre un adversaire résolu de tout changement au régime de la prestation, le projet de la commission est voté en première délibération avec quelques légères modifications (3).

On passe alors, le 11 mars 1895, à la deuxième délibération (4). La physionomie de la discussion apparaît dès le début de la séance. Dans une motion préjudicielle qu'il commente assez longuement, M. Buffet demande l'ajournement du débat, afin de permettre à la commission, de préparer un projet de réorganisation du régime vicinal instauré en 1836 condition préliminaire, selon lui, à la modification de la prestation - et, au Gouvernement, de consulter à nouveau les conseils généraux sur l'opportunité du changement du mode actuel d'entretien des chemins. Après une réplique du rapporteur, cette motion est écartée. Mais son auteur ne se tient pas pour battu; il présente un amendement tendant au remplacement facultatif de la prestation par des centimes départementaux.

(1) J. off., 1893, Débats, Ch. des Dép., p. 1225 et 1237 et suiv.

(2) J. off., 1895, Sénat, annexe no 27, p. 21 et suiv.

(3) J. off., déb. parl., Sénat, numéro du 1er mars 1895, p. 89 et suiv.

(4) J. off., déb. parl., Sénat, numéros des 12 et 13 mars 1895, p. 166 et suiv., 179 et suiv.

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