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ÉMILE DE LAVELEYE

Membre de l'Académie royale de Belgique,

correspondant des Académies royales de Madrid, de Lisbonne dei Lince
et de l'Institut de France, etc.

TOME SECOND

PARIS

ANCIENNE LIBRAIRIE GERMER BAILLIÈRE ET Cle
FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR

108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 108

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DANS

LA DÉMOCRATIE

LIVRE VIII

LE POUVOIR LÉGISLATIF

CHAPITRE PREMIER

LES ASSEMBLÉES DÉLIBÉRANTES DOIVENT ÊTRE
PEU NOMBREUSES

Aucune assemblée délibérante ne devrait être composée de plus de 300 membres 1.

La Constitution des États-Unis offre encore en ce point un exemple qui mérite d'être étudié.

. Le but constant du législateur a été de limiter le nombre des représentants à des bornes très étroites. Ce nombre ne s'est pas accru en proportion de la population, et il a même été réduit. En 1789, la Chambre comptait 65 membres pour 4 millions d'habitants. En 1802, il a été fixé à 244 pour plus de 30 millions d'habitants. En 1833, on l'avait réduit de 240 à 223.

(1) La Chambre des députés a compté en France 745 membres en 1791, 459 sous Louis-Philippe, 283 sous le second empire et aujourd'hui 573. En Prusse, en Italie, en Espagne, il y a un député par 50,000 habitants; dans l'Empire germanique, un par 100,000; en Hollande, un par 45.000; en Suisse, un par 20.000; en Grèce, un par 10,000; en Belgique, un par 40,000; aux États-Unis, un par 150,000; sauf en Angleterre, le nombre des représentants est fixé d'après la population.

E. DE LAVELEYE. DÉMOCRATIE.- II.

1

L'act du 25 février 1882 a fixé le nombre des représentants à 325, répartis entre les différents États dans la proportion de un représentant par 150,000 habitants.

A chaque nouveau cens, les anciens États voient diminuer le nombre de leurs représentants, parce que l'augmentation. de la population y a été moins rapide que dans les États nouveaux. Tous les États ont accepté cette mesure qui semblait diminuer leur importance, parce qu'ils étaient convaincus de sa nécessité. C'est une grande preuve de sagesse politique.

Les dispositions de la loi américaine sont fondées sur une appréciation très juste des conditions dans lesquelles une assemblée délibérante peut le mieux remplir sa mission. C'est grâce à cette excellente précaution, que nous voyons aux ÉtatsUnis une Chambre, quoique troublée parfois par les scènes les plus grossières, adopter d'ordinaire des mesures très sages, et les débats les plus orageux aboutir à des transactions qui révèlent un grand esprit de modération.

Dans une réunion très nombreuse, un homme éminent, s'il a la voix faible et des idées différentes de celles de la majorité, parviendra difficilement à se faire écouter. Il suffit de ces sourds murmures que le président le plus sévère ne peut réprimer, pour empêcher l'orateur d'être entendu, tandis que s'il est doué d'un organe sonore, il se fera comprendre malgré tout, quand même il n'aurait à débiter que des lieux communs creux, mais retentissants, et ainsi la puissance des poumons l'emportera sur la force de l'esprit.

Une assemblée nombreuse a les entraînements de la foule 1. La foule est soumise à des impressions communicatives, soudaines, électriques. Ce qui agit sur elle, c'est le langage des passions, tantôt celui des passions élevées et généreuses, tantôt celui des passions désordonnées ou aveugles, mais toujours celui des passions. La foule a horreur des tempéraments, elle se porte du premier coup aux extrêmes, parce que chaque im

(1) C'est ce qu'écrivait en 1751 lord Chesterfield à son fils à propos d'une discussion au Parlement: « Toute assemblée nombreuse est foule, quelles que soient les individualités qui la composent, et il ne faut jamais tenir à la foule le langage de la raison pure. C'est seulement à ses passions, à ses sentiments et à ses intérêts apparents qu'il faut s'adresser. Une collectivité d'individus n'a plus la faculté de compréhension.

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pulsion se fortifie et s'accélère, en raison de la masse de ceux qui la partagent.

Réunissez dans une même salle sept ou huit cents individus très sensés: il est à craindre qu'ils ne fassent plus d'une sottise.

En tout pays, quelque riche qu'il soit en hommes capables de diriger les affaires publiques, il est déjà très difficile de trouver 300 députés préparés à exercer une si haute fonction. Croit-on qu'en leur adjoignant 400 collègues médiocres on renforce le système parlementaire? On l'affaiblit toujours, et parfois on le déconsidère ou on le tue.

Sera-ce au nom des minorités qu'on réclamera une représentation nombreuse?

Sans doute il est désirable que toutes les opinions, même les nuances les plus extrêmes, soient représentées au sein du Parlement, afin que toutes soient jugées au grand jour de la discussion publique. Mais il est dans l'intérêt des partis, aussi bien que du pays, que ces opinions aient pour organes ceux qui les défendront le plus dignement.

La force relative des partis restant la même, les minorités exerceront plus d'influence, si elles sont représentées par quelques orateurs éloquents, au lieu de l'être par tout un groupe d'hommes impatients, indisciplinés et provoquant l'irritation de la majorité.

Dans une assemblée de 300 membres, un orateur sensé se fera écouter, même s'il blesse les convictions du plus grand nombre; mais sont-ils 800, les conversations particulières, à défaut même des interpellations ou des couteaux de bois, suffiront pour le réduire au silence.

Un homme supérieur rend plus de service aux idées nouvelles que cinquante énergumènes; Stuart Mill, pendant son court passage au Parlement, l'a bien prouvé.

Est-ce au nom de la démocratie qu'on s'élèvera contre la mesure qui restreint le nombre des représentants?

Mais qu'on veuille bien le remarquer, c'est précisément dans l'État le plus démocratique que cette mesure a été appliquée avec le plus de rigueur. Aucun grand État n'a eu des assemblées moins nombreuses que les États-Unis.

La grande république, avec son immense territoire et ses

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