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dont l'opinion avait le plus d'autorité. Je lui demandai si un Prophète devait encore se manifester en ce monde, voici ce qu'il me répondit :

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༦ Oui, certes, et celui-là sera le dernier; il n'y en aura pas » d'autres entre Jésus et lui ; il sera le sceau des envoyés divins ; » Jésus a ordonné de croire en lui. C'est le prophète arabe; son » nom est Ahmed1. Il est d'une taille moyenne; ses yeux ont une >> teinte rougeâtre; il n'est ni blanc, ni brun, ses cheveux sont il se couvre de vêtements grossiers; il se nourrit des » aliments qu'il trouve sous sa main; il porte le sabre sur la nuque; >> il ne tient compte ni du nombre, ni de la parenté de ses adver»saires, pour les combattre; ses compagnons lui sont dévoués jus» qu'à la mort, et leur attachement pour sa personne est plus » grand que leur amour pour leurs pères et pour leurs enfants; » il viendra d'un sanctuaire et s'enfuira vers un autre 2, dans la >> terre du sol aride et des palmiers. Il professera enfin la religion » d'Abraham. »

» Abou Miamin s'était arrêté là dans son discours; mais, sur mon invitation, il continua en ces termes : « Il se couvrira le milieu du » corps avec l'izâr; il fera l'ablution des quatre extrémités du » corps; il est enfin marqué de ces signes qui appartiennent exclu

sivement aux prophètes. Il est vraiment l'apôtre de Dieu (que la » paix et la bénédiction divine reposent sur lui!); il est envoyé à >> son peuple et à l'univers, en général ; la terre entière est partout, » pour lui, un lieu convenable pour la prière et pour l'ablution; >> en quelque endroit qu'il se trouve, aux heures de la prière, il » fait l'ablution, même avec du sable (teïemmum) et il prie; tan>> dis qu'avant lui, il était sévèrement prescrit de ne prier que » dans les églises et dans les temples. »

» Je recueillis ces paroles, dit El-Moughaïrah, je les gravai dans ma mémoire et, revenu dans mon pays, j'embrassai l'Islamisme. »

On touche ici, pour ainsi dire, du doigt, le grand vide que fait l'ignorance où étaient ces fidèles du nom et peut-être de l'existence du Pontife de Rome; leurs Evêques qui s'étaient séparés du centre de l'unité, pour suivre leurs

1 Voyez Monuments arabes, cachet n° 30.

2 La Mecque et Médine.

propres opinions ou celles d'Eutychès avaient eu soin de ne leur offrir que leur propre autorité. Les chrétiens remontèrent jusque-là, et ceux-ci, ayant perdu la vraie tradition, ne surent pas les instruire. C'est ce qui est toujours arrivé dans toutes les grandes apostasies; c'est ce qui est encore arrivé récemment en Russie, où il a suffi à l'empereur d'acheter quelques évêques pour recevoir en échange toutes leurs ouailles, comme un vil troupeau. Rien ne peut mieux faire comprendre la nécessité de cette union intime que tout fidèle doit avoir non-seulement avec son Evêque, mais encore avec l'Evêque des évêques, celui qui ne peut faillir, ni abandonner, ni tromper, ni vendre son troupeau.

Tout cela ressort avec évidence du récit précédent que nos lecteurs ont dû fire avec d'autant plus d'attention qu'il commence à expliquer la grande propagation de la loi de Mahomet. Quand les Musulmans connaîtront par quelle ignorance, de Chrétiens ils sont devenus Musulmans, ils ne tarderont pas à devenir, de Musulmans, Chrétiens. Nous assistons déjà à ce retour si désiré. A. B.

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Polémique philosophique.

EXAMEN DU LIVRE INTITULÉ
LE DEVOIR

PAR M. JULES SIMON,

ANCIEN MAÎTRE DES CONFÉRENCES DE PHILOSophie à l'école normale.

(2o article '.)

DU FONDEMENT DE LA MORALE.

L'homme est sans cesse en butte aux sollicitations de la Passion. C'est là cette loi des membres dont se plaignait l'apôtre, et qui faisait dire au poëte: Video meliora proboque, deteriora sequor. Mais, comme l'observe M. Simon, « le caractère propre de la passion est » d'être variable. Non-seulement le même objet affecte différem»ment des personnes différentes, mais le même homme n'éprouve » pas toujours les mêmes impressions dans les mêmes circon» stances. » La passion, c'est donc une force aveugle, un instrument de désordre et d'anarchie; c'est le vent qui soulève en tous sens les flots de la mer et les brise les uns contre les autres avec un tumulte et un désordre affreux. « Sommes-nous nés pour un >> tel maître? demande M. Simon. Sommes-nous condamnés à > changer d'heure en heure? à subir passivement toutes les in» fluences de la passion et du sentiment?.... Non; la vie ne serait » rien si elle n'était réglée 3. » Il y a donc une règle de notre vie ; il y a donc à nos passions un frein.

1° Quel est ce frein? Quelle est cette règle? D'où nous vientelle? et où devons-nous la chercher? « Elle ne peut nous venir >> que de Dieu, » car « le devoir vient de lui", » et si elle venait de la force, elle ne serait rien. Elle est en nous-mêmes'; et c'est là

Voir le 1 article au n° précédent, ci-dessus p. 62.

2 Le Devoir, p. 233.

Ibid.. p, 234.

Ibid., p. 226.

5 Idid. préface, p. 1.
Ibid., p. 226.
7 Ibid., p. 229.

Ive SÉRIE. TOMe xi.

- N° 62; 1855. (50° vol. de la coll.)

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que nous la devons chercher. « Or cette règle est une. Elle ne > change pas dans le cours d'une même vie, ni d'un homme à un » autre homme ; elle est la même pour tous les pays et pour tous » les siècles. C'est dire qu'elle est placée dans une sphère bien su>périeure aux orages de la Passion, et qu'au lieu d'être éphémère » et mobile, elle a toute la solidité, toute la fixité, toute l'éternité » d'un Principe. Il faut donc la demander à l'intelligence. La règle » de la passion, c'est l'Idée 1. »

C'était très-bien commencer pour mal finir. Sans doute, la Règle et le Devoir ne peuvent venir que de Dieu, et c'est pour cela que nous prétendons que c'est en Dieu et en Dieu seul que réside la Règle, que c'est de lui seul que descendent l'obligation et le devoir, parce que lui seul est stable et ne change point, lui seul est constant, lui seul immobile, et que sa sagesse et sa nature ne lui permettent pas de placer la règle morale, dont la stabilité est la première condition, dans un être inconstant et mobile à tous les vents. M. Simon veut cependant que Dieu l'ait placée en nous. Quelle preuve nous fournit-il de cette assertion? Aucune; il devrait pourtant bien la prouver, car il semble bien plus naturel qu'une règle, destinée à nous régir et à nous gouverner, soit placée en dehors de ceux qu'elle dirige, qu'elle leur soit impersonnelle, qu'elle leur soit supérieure pour pouvoir les obliger. Dire le contraire, c'est dire que l'on n'a pas besoin de règle, c'est dire que le pilote n'a besoin ni de boussole, ni d'étoile polaire pour se conduire, c'est dire que nous sommes règle à nous-mêmes : chose absurde et révoltante que personne n'osera soutenir, et qui cependant ne diffère que par l'expression de la théorie de M. Simon et de toute l'école Rationaliste.

Il y a plus, cette règle n'en est pas une, ou elle nous prive de la liberté. Une règle est une, fixe, immuable; et comment le serat-elle, si elle réside dans l'une ou l'autre de nos facultés? Quelle est en nous la faculté qui ne change pas? La Passion est essentiellement variable, dit M. Simon; quelle autre faculté, sinon l'instinct, qui ne partage pas le même sort? Ouvrez les annales de l'esprit humain, et dites si les sables de la mer sont plus nombreux 1 Le Devoir, p. 234.

qué les fluctuations de la Raison. Regardez au fond de votre âme, et tâchez d'y fixer cette fantasmagorie d'idées qui s'y succèdent sans interruption. Il faudrait donc immobiliser nos facultés pour qu'elles pussent nous servir d'une règle quelconque. Mais alors nous sommes réglés par une sorte d'harmonie préétablie, et nous n'avons nul besoin de l'être autrement. Si nous suivons toujours et naturellement la Raison, si la raison est la supérieure naturelle de nos facultés, il n'y a plus de liberté. Nos facultés s'enchaînent et se compliquent selon les lois de la nature; et là où la raison triomphera, il y aura nécessité, et là où elle sera vaincue, égale nécessité. Le serf-arbitre, de Luther, et la délectation victorieuse de Jansénius sont le vrai. L'instinct est une règle naturelle donnée pour certains cas et certaines actions à notre activité ; l'instinct est-il libre, et là où l'instinct fonctionne, y a-t-il place pour la liberté ? Voilà une règle naturelle, voilà ce qu'est une règle prise dans notre nature, dans nos facultés. En veut-on à ce prix ? On n'en aura pas à d'autres conditions.

On dira que nous sommes libres, et que la conscience l'atteste d'une façon irréfragable. C'est vrai; et c'est pour nous la preuve que la théorie que nous combattons n'est pas la vérité. On dira encore que cette harmonie préétablie n'existe pas entre nos facultés, puisque la passion se révolte souvent contre la raison. Cela est vrai encore; mais cela ne serait pas, et cette harmonie existerait plus ou moins, si la théorie de M. Simon était vraie. La passion se révolterait, mais comme la roue se révolte par le frottement contre le rail qui l'enferme; si le frottement devient trop violent, la roue s'échappe, et franchit l'obstacle qui la retenait ; si la passion est trop forte, elle dépassera la règle et la franchira; elle restera captive, si le ressort qui la comprime ou la règle est la plus forte. Ou plutôt la règle étant règle naturelle, la passion sera nécessairement vaincue, puisque toute faculté qui est naturellement une règle imposée aux autres leur sera toujours supérieure, sans quoi elle ne serait plus règle. La liberté n'aura d'autre emploi que de ne pas lever ce ressort qui comprime la passion, c'est-à-dire de ne pas détruire la faculté qui nous sert de règle; ce qu'elle n'a garde de faire, puisqu'il ne dépend pas plus d'elle de supprimer une

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