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frères en foi, « que la doctrine de l'Antiquité avait beaucoup con>> tribué à dissiper leurs doutes. » Le Père Cibot raconte qu'un empereur ayant ordonné aux Han-lin de réfuter les livres de la religion chrétienne, ces docteurs déclarèrent, après six mois d'examen, qu'ils ne le pouvaient sans tomber en contradiction avec les King, et sans s'exposer à la risée de tous les lettrés 1; et nous lisons dans les notes du Père Lacharme, sur le Chi-King, « que les > mythes des Chinois sur leurs héros nés de Vierges, facilitaient aux >> missionnaires la prédication du Verbe fait chair 2. »

Frédéric de ROUGEMONT.

1 Mémoires concernant les Chinois, t. 1x, p. 380. Comp. t. 1, p. 267 sq. 2 Chi-King, ed. Mohl, p. 303.

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Polémique philosophique.

EXAMEN DU LIVRE INTITULÉ
LE DEVOIR

PAR M. JULES SIMON,

ANCIEN MAÎTRE DES CONFÉRENCES DE PHILOSOPHIE A L'École normale. (4 article 1.)

de l'idée de lA JUSTICE EN TANT QUE RÈGLE MORALE.

Suite.

3° Quittons maintenant le champ de la spéculation, et descendons dans la sphère des applications. Nous y verrons M. Simon à l'œuvre et appliquant lui-même sa règle. Ce sera un moyen de contre-épreuve qui ne manquera pas d'un certain à-propos et d'une certaine importance.

Après avoir recherché assez longuement la nature de la justice, et critiqué avec plus ou moins de justesse les systèmes opposés au sien, M. Simon en vient à rechercher ce qu'il appelle la formule de la justice ou du devoir, c'est-à-dire un principe général qui exprime cette idée de la justice avec tous les caractères qu'il lui a assignés, et qui contienne dans sa généralité tous les devoirs particuliers engendrés par l'idée de la justice. Il commence par poser ce principe reconnu de tous, sauf les sceptiques : « Il faut obéir >> aux lois de la conscience, quelque préjudiciables qu'elles soient » à nos intérêts ou à ceux des personnes qui nous sont chères; >> c'est le principe même de l'inaliénable et inattaquable souve> raineté du droit 2. » On pourrait désirer que M. Simon nous eût dit si la conscience individuelle et subjective est toujours d'accord avec la justice, ou du moins à quel signe on peut reconnaître cet accord, quand il existe, ou savoir quand il n'existe pas. Quoi qu'il en soit, comme le droit n'est pas le privilége de quelques indi

1 Voir le 3 article au n° précédent, ci-dessus p. 210.

2 Le Devoir, p. 514.

vidus, il fait suivre le premier principe de cet autre non moins incontestable : « Tout droit engendre un devoir, » et les résume tous deux en cette formule : « Le droit est souverain, le devoir est » égal1. Or, l'égalité du devoir pour tous les hommes est précisément la marque à laquelle on le reconnaît souverain 2. Ceci serait un peu plus sujet à discussion; car il semblerait vouloir exclure tout devoir personnel, ce qui ne serait ni vrai ni logique. Mais laissons ces inexactitudes; de plus graves erreurs appellent notre attention.

C'est donc dans l'égalité du devoir qu'est le signe de sa souve raineté ; c'est dans elle que l'on doit trouver la formule de la justice par conséquent. « Cette égalité, poursuit M. Simon, se formule >> ordinairement ainsi : Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais » pas qu'on te fit à toi-même, formule admirable, également vraie, >> claire et pratique... Mais le devoir de ne pas nuire est un devoir >> purement négatif. Nous n'avons pas seulement droit à la neu>>tralité de nos frères; nous avons droit à leurs secours. La loi >> humaine dit : Tu ne tueras pas! et la conscience ajoute: Tu ne >> laisseras pas mourir. De là cette formule : Fais à autrui ce que » tu voudrais qui te fût fait à toi-même 3.

Nous avons donc deux formules de la justice, correspondantes aux deux grandes classes d'obligations qu'elle engendre, et les comprenant toutes deux et par elles la morale entière. « Dans ces » deux simples phrases, dit M. Simon, toute la pratique de la mo» rale est contenue. » Nous reconnaissons la vérité et la beauté de ces deux maximes générales. Toutefois, nous avouerons fran-chement que nous préférons la simple sublimité de cette maxime de l'Évangile qui les résume toutes deux, en les rapportant à leur source, le cœur, au lieu de s'arrêter à l'extérieur : Aimez votre prochain comme vous-même; ou mieux encore: Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Nous ne pouvons non plus

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laisser passer la prétention qu'affiche M. Simon de réunir toute la pratique de la morale dans les deux formules qu'il nous donne. Où donc sont, en effet, dans ces formules, les devoirs de l'homme envers lui-même ? Où donc figurent les devoirs de l'homme envers Dieu? Faut-il appliquer à Dieu comme au prochain les deux formules de M. Simon? Nous ne lui prêterons pas cette pensée impie et sacrilége qui serait l'anéantissement de tout culte religieux. Nous aimons mieux croire qu'il s'est laissé fasciner par une formule incomplète et inexacte par cela même.

Or, cette insuffisance de la doctrine de M. Simon ne tient pas à un hasard malheureux dans le choix de ses formules, mais à l'essence même de sa théorie. N'est-ce pas l'idée de la justice qu'il donne pour unique fondement de la morale1? Ne définit-il pas le devoir l'obligation de respecter le droit d'AUTRUI ? Comment, avec une telle théorie eût-il pu faire entrer dans ses formules les devoirs de l'homme envers lui-même ? Le devoir ne suppose-t-il pas des droits dans le système de M. Simon? Et s'il n'en suppose pas, comment pourrait-il rattacher absolument le devoir à l'idée de la justice? Avons-nous maintenant des droits vis-à-vis de nousmêmes? La justice nous oblige-t-elle envers notre propre personne? Question ridicule, qui me suppose à la fois plus grand et plus petit que moi, à la fois supérieur et sujet de moi-même. Pour être conséquent, M. Simon eût dû rayer hardiment du catalogue de nos devoirs tous ceux qui se rapportent à nous, et nous nous étonnons qu'il ne l'ait pas fait, ou plutôt nous nous en félicitons, car il est toujours pénible de voir un frère s'égarer et s'éloigner de plus en plus de la voie de la vérité.

Non-seulement la théorie de M. Simon est incomplète en ce qu'elle ne peut rendre raison des devoirs de l'homme envers Dieu et envers soi-même; elle l'est encore en ce qu'elle ne suffit pas à expliquer tous nos devoirs à l'égard de notre prochain. Nous avons, en effet, à l'égard de nos frères d'autres devoirs que des devoirs de justice. Or, M. Simon qui prétend faire dériver tous nos devoirs de l'idée de la justice, qui nous donne les deux maximes

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générales que nous venons de rapporter pour les formules de la justice et du droit 1, ne peut leur donner un plus vaste domaine que celui de la justice. Il faut donc nécessairement effacer tous nos autres devoirs, et consommer l'absorption des autres vertus dans la justice, ou bien faire de tous nos autres devoirs autant de devoirs de justice, ce qui est l'essence même du Socialisme.

On dira peut-être que M. Simon ne prend pas les mots de Justice et de Droit dans un sens strict et rigoureux. Nous désirerions pouvoir accepter cette bénigne interprétation, mais, hélas! comme toutes les autres, elle nous est interdite par M. Simon lui-même. Quand il parle de justice, il entend bien cette justice qui suppose nécessairement des droits : « Il suffit, dit-il, qu'elle soit conçue » pour que nous sachions parfaitement que tous les hommes ont » des droits. » Et encore : « Le droit et le devoir, c'est la jus» tice 3. » Quand il parle du droit, il n'entend pas ce droit large et imparfait que l'on désigne lorsque l'on dit : Le droit à l'aumône, le droit à la reconnaissance, le droit au respect, à la vénération, etc. Mais il prétend bien que l'on prenne ses paroles dans le sens d'un droit strict et rigoureux. Il s'élève avec force contre la distinction du droit parfait et du droit imparfait, et surtout de la justice et de la charité.

« La qualification, dit-il, de devoir parfait et de devoir impar» fait pourrait induire en erreur: voici sur quoi elle est fondée. » Les devoirs parfaits comportent une désignation précise; ils peu» vent être nettement déterminés. Tu ne déroberas point. Cela » s'entend même d'une obole. Tu donneras. La loi ne peut pas >> dire dans quelle mesure. Elle n'ordonne pas de se dépouiller, ni » de donner pour des besoins qui ne seraient pas extrêmes. La limite » est donc laissée dans le vague; et c'est pourquoi le devoir est dit >> imparfait ".» Ainsi, voilà toute la différence : l'impossibilité de limites précises dans un cas, et dans l'autre la possibilité d'une détermination fixe. Mais sauf cela, le devoir est aussi rigoureux dans

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