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ment; mais il détruit le Conseil, rend tout le bien obligatoire, et obligatoire en vertu de la justice. Il a beau dire que la loi pénale ne doit point s'occuper de faire accomplir les devoirs positifs qu'il appelle devoir de servir 1; on peut toujours lui répondre que le droit strict (et c'est ainsi qu'il l'entend, on l'a vu) est toujours réclamable par la force, et que la loi pénale doit en assurer le respect et le protéger.

Quoi qu'il en soit, toujours est-il qu'il n'y a plus de bien facultatif, que le bien est toujours obligatoire, et que l'homme est broyé dans les étreintes d'un devoir excessif comme dans les serres d'un impitoyable vautour. Je sais ce qui a égaré M. Simon et l'a fait supprimer le Conseil. Il a vu que du côté de Dieu, l'obligation de charité est aussi rigoureuse que l'obligation de justice, que négliger l'une est enfreindre la loi du devoir aussi bien que mépriser l'autre. Il n'a plus vu la différence essentielle qui distingue ces deux obligations, savoir que l'obligation de charité ne pouvait être l'objet d'aucune loi coercitive, tandis que l'obligation de justice exige des dispositions pénales, et donne à la partie lésée droit à la réparation de l'injustice qu'elle a soufferte. La justice suppose le droit; la charité pas. Ou plutôt, pour nous expliquer catégoriquement et éviter tout malentendu, tout devoir suppose un droit, mais dans l'autorité législative, mais en Dieu, source première de tous les droits et de tous les devoirs. Aussi quiconque forfait à la loi du devoir commet envers Dieu une espèce d'injustice qui exige une réparation la sanction morale n'est pas autre chose. Par rapport à Dieu, souverain législateur, un péché contre la charité est aussi bien une violation de son droit souverain qu'un péché contre la justice; mais ce n'est pas à ce point de vue que se place M. Simon. Il se place au point de vue des hommes, nos égaux et nos frères, et prétend que nous blessons leurs droits, à eux, et non pas le droit du suprême législateur. Ceci demande à être prouvé; mais la preuve ne sera pas difficile. « Qu'est-ce que le devoir, dit M. Si<< mon, sinon l'obligation de respecter le droit d'autrui. » Est-ce Dieu qui est AUTRUI? Je voudrais bien savoir s'il y a égalité entre Dieu et nous, pour que nous puissions le traiter D'AUTRul. « Il suffit,

:

1 Le Devoir, p. 377 et 378.

2 Ibid., p. 253.

>> dit plus loin M. Simon, que l'idée de la justice soit conçue pour » que nous sachions parfaitement que tous les hommes ont des droits, » et qu'à chaque droit correspond un devoir 1. » Et encore: « « C'est » violer la loi de Dieu, et les DROITS de ses créatures que de fermer > notre cœur aux autres hommes 2. » Cette confusion de deux points de vue si dissemblables a fait considérer à M. Simon le devoir comme une obligation de rigoureuse justice. Or, il ne peut plus être question de Conseil, là où il s'agit de stricte justice, et de droit rigoureux la justice oblige, ou n'oblige pas, il n'y a pas de milieu. C'est ainsi qu'une erreur en appelle une autre, et que la logique force souvent un esprit égaré d'aller beaucoup plus loin qu'il ne l'eût soupçonné d'abord.

Car supprimer le Conseil en morale, sait-on bien ce que c'est? En prévoit-on bien les conséquences? C'est non-seulement faire injure au sens commun, à la conscience, à l'humanité tout entière qui proclament à l'envi qu'on n'est pas obligé de faire tout le bien, pas même tout le bien possible, pas même le mieux ou le plus parfait; mais c'est imposer à l'homme un fardeau importable, c'est l'écraser sous un joug que des forces divines peuvent seules scutenir. Atlas trouve à supporter le ciel un poids moins lourd; et Encelade peut au moins, pour se soulager, soulever la masse qui l'écrase; mais l'homme sera broyé mille fois sous la loi de fer du devoir sans pouvoir y toucher du doigt, ou, s'il veut s'en affranchir, ce ne sera qu'en se dévouant à toutes les peines qui doivent venger la morale outragée. Et l'on croit que l'homme courbera silencieux son front sous un pareil joug! Et l'on croit qu'il ne se révoltera pas contre une pareille tyrannie? que le désespoir ne s'emparera pas de son âme à la vue d'un fardeau si peu proportionné à sa faiblesse ! Le relâchement et une sévérité excessive aboutissent par des chemins opposés au même résultat, l'abandon de la morale et la désertion de la vertu. Tel est l'effet définitif de toute théorie qui supprime le Conseil; par excès de zèle pour le bien, elle compromet le succès de sa cause ici-bas. Telle serait, à n'en pas douter, la conséquence dernière de la théorie de M. Simon. L'abbé A. BIDARD.

1 Le Devoir, p. 264.

2 Ibid., p. 318,

IV SÉRIE. TOME XI.

N° 64; 1855. (50° vol. de la coll.) 18

Traditions primitives,

NOUVELLES DÉCOUVERTES

SUR LES

TRADITIONS PRIMITIVES

conservées chez les anciens habitants de l'Amérique,

D'APRÈS LEURS livres et la LECTURE DE LEURS HIÉROGLYPHES.

1er Article.

En 1851, M. l'abbé Brasseur de Bourbourg, publia à Mexico un curieux mémoire en 76 pages in-4°, intitulé: Lettres pour servir d'introduction à l'histoire primitive des nations civilisées de l'Amérique méridionale. A M. le duc de Valmy. Ces lettres ne sont pas connues en France, où il n'en existe pas peut-être 10 exemplaires. Aussi, aucun journal n'en a parlé. Les documents nouveaux et bien importants qu'il y annonce sont donc à peu près inconnus. C'est ce qui nous décide à les faire connaître aux lecteurs des Annales, qui, nous devons le dire, sont toujours les premiers au courant de toutes les découvertes qui peuvent perfectionner la grande histoire des révélations que Dieu a faites à l'homme, et des souvenirs que les peuples en ont conservé. — Ce sera un appendice essentiel à l'ouvrage de M. de Rougemont, que nous avons annoncé. Sans nous astreindre à une reproduction entière, nous donnerons cependant des extraits assez longs pour appeler l'attention sur ces belles découvertes.

1. Importance des découvertes faites en Amérique. - Note de tous les travaux déjà publiés par les Annales.

Nous avons plusieurs fois fait observer que les monuments découverts en Amérique avaient changé toute la polémique philosophique. D'après la philosophie (même catholique), des 17° et 18o s ècles, les sauvages de l'Amérique étaient des peuples qui vi

vaient dans l'état primitif, dans l'état de nature, d'où l'homme était sorti par la force et le bon usage de sa raison seule, comme le redit aveuglément à présent toute une école de rationalistes catholiques. Or, les découvertes faites en Amérique ont prouvé, sans phrases, que l'état sauvage était non pas l'état de nature, mais un état contre nature, non pas l'état primitif, mais un état de dégradation; ce qui montre que la Raison seule ne peut, nous ne disons pas sortir de l'état sauvage, mais se conserver dans l'état civilisé, dès qu'elle s'isole de la société.

Les documents que nous allons publier vont nous apprendre une autre chose, c'est que les philosophes et les légistes qui gouvernaient en Espagne, gênés dans leurs conceptions de philosophie scholastique par ces découvertes, résolurent de les supprimer. Ils avaient appelé le continent un monde nouveau, et ses habitants un peuple sauvage, et ils résolurent d'anéantir le souvenir et les vestiges des traditions conservées par ces peuples. De là la destruction des monuments, et la défense qu'ils firent de recueillir ou de publier les ouvrages composés par les membres du clergé, et même imprimés à Rome sous les yeux du Pape.

Voilà qui est instructif et curieux à apprendre.

Vu donc son importance, nous croyons devoir remettre sous les yeux de nos lecteurs l'ensemble des articles qui ont été insérés dans les Annales sur cette question.

1.

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Mémoire extrait de l'Archeologia americana dans lequel on prouve qu'il y a eu en différents tems et en différens lieux des peuples civilisés en Amérique, et qu'il n'a fallu que l'espace de quelques siècles pour faire disparaître le souvenir de ces monuments, et faire descendre ces peuples dans l'état sauvage (t. I, p. 153, 1 série).

2. Mémoire sur les monuments trouvés dans l'Etat d'Ohio et autres parties des États-Unis (Ibid. p. 233 et 305).

3.Extrait du voyage de M. de Humboldt, aux régions équinoxiales, indiquant l'influence du catholicisme sur les Indiens (t. 11, p. 295).

4.

Mémoire sur l'origine japonaise des Muyscas de l'Amérique du sud, d'après MM. Siebold et de Humboldt, par M. de Paravey (Ibid., t., p. 179).

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5.. Extrait de la Vue des Cordillères et monuments des peuples indigènes de l'Amérique, de M. de Humboldt, et prouvant les analogies de ces peu

ples avec ceux de l'ancien monde (1er art.) t. II, p. 407.
d'or; le déluge mexicain; sacrifices hébreux.
tartare, etc. (t. iv, p. 19).

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Zodiaque mexicain et

6. — Extrait de l'ouvrage de M. Assal, inspecteur des mines de l'État de Pensilvanie, sur les indigènes de l'Amérique septentrionale et sur les antiquités indigènes (Ibid., t. v, p. 352).

7. Le chapitre de l'ouvrage précédent de M. de Humboldt, dans lequel il décrit le buste d'une prêtresse ou divinité méxicaine aztèque, avec la gravure de cette figure (t. vII, p. 248).

8.-L'explication du Calendrier mexicain et ses rapports avec celui des peuples de l'ancien continent, par M. de Humboldt, (Ibid., p. 387), et de plus une gravure.

9. Représentation de la forme de ce calendrier et ses hiéroglyphes trèscompliqués et très-curieux, avec l'explication de ces figures, par M. de Humboldt (Ibid., p. 393).

10. — Explication des quatre époques du renouvellement de la nature, d'après les aztèques; extrait de M. de Humboldt. On y trouve les traditions sur les géants, sur le déluge, sur un homme et une femme qui en sont sauvés, sur l'arbre du paradis terrestre, sur la femme au serpent et le combat de deux enfants, ou Caïn et Abel, etc. (t. x. p. 38).

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11. Nouveau Mémoire sur l'origine japonaise des Muyscas, avec les preuves d'analogie, tirées des noms de nombre et de jours, etc., et sur la variété des races américaines, avec gravures, offrant les formes hiéroglyphi- ̄ ques muyscas, comparées aux formes japonaises et chinoises, et la figure de la trinité japonaise, par M. de Paravey (Ibid., p. 81).

12. - Description des antiquités mexicaines, d'après les trois expéditions du capitaine Dupaix. — C'est la liste complète, avec explication plus ou moins longue, suivant l'importance des objets, de tous les monuments, de toutes les ruines, et tous les ustensiles, statues ou objets, trouvés par le capitaine Dupaix, et publiés dans le bel ouvrage Antiquités mexicaines, 2 vol. in-folio, imprimé en 1846 et suiv., par M. de Saint-Priest, avec les dessins originaux; avec diverses gravures représentant une montagne artificielle, le plan des souterrains taillés dans le roc, édifice en forme de croix, fer de lance en pierre, figures mexicaines avec les hiéroglyphes de leur nom (Ibid. t. xi, p. 274). (2° article.) Analyse des objets trouvés à la 2o expédition (Ibid. p. 435). (3 article.) Description des Monuments zapotèques de Mitla, d'après Dupaix, avec figure de Grecques, et le plan d'un des palais de Mitla (Ibid. t. x11, p. 42). — (4° article.) Voyage à Palenque; descrip tion de cette ville et surtout du bas-relief connu sous le nom de Croix de Palenque, avec gravure et explication, par le capitaine Dupaix, et une critique de l'explication donnée par le docteur Contancio (Ibid. p. 441).

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