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il restait encore un ennemi à la France; le 5 nivose de l'an 8 il proposa la paix au roi d'Angleterre (1).

»Le vainqueur généreux de l'an 5, le premier consul, pacificateur de l'an 8, devait se retrouver avec la même modération magnanime dans l'auguste souverain à qui le ciel a confié nos destinées. Les degrés du pouvoir, la diversité des positions ne changent rien à ces qualités éminentes qu'on pourrait justement appeler des vertus de caractère; et l'empereur a dû proposer une troisième fois la paix, pour prouver que ce n'était pas en vain qu'il avait dit dans une occasion solennelle ces paroles à jamais mémorables : « Soldat ou premier con» sul, je n'ai eu qu'une pensée ; empereur, je n'en ai point d'autre. >>

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Depuis deux ans la guerre est déclarée, et n'a pu commencer encore. Toutes les actions ont été en préparatifs, en projets; mais le moment étant arrivé où l'exécution devait amener des événemens réels, et faire naître les plus terribles chances l'empereur a pensé qu'il était dans les principes de cette religion politique, qui sans doute attire sur les pensées et sur les efforts des princes justes et généreux l'assistance du ciel, de faire tout ce qui était en son pouvoir pour prévenir de grandes calamités en faisant la paix.

>> J'ai l'ordre de vous communiquer la lettre que, dans cette vue de modération et d'humanité, l'empereur a jugé convenable d'écrire à S. M. le roi d'Angleterre.

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Lettre de l'empereur au roi d'Angleterre.

« Monsieur mon frère, appelé au trône de France par la » Providence et par les suffrages du Sénat, du peuple et de l'armée, mon premier sentiment est un vou de paix. La » France et l'Angleterre usent leur prospérité. Elles peuvent » lutter des siècles; mais leurs gouvernemens remplissent-ils » bien le plus sacré de leurs devoirs? et tant de sang versé » inutilement et sans la perspective d'aucun but ne les ac>>cuse-t-il pas dans leur propre conscience? Je n'attache point » de déshonneur à faire le premier pas : j'ai assez, je pense, prouvé au monde que je ne redoute aucune des chances de > la guerre ; elle ne m'offre d'ailleurs rien que je doive redou»ter. La paix est le vœu de mon cœur; mais la guerre n'a jamais été contraire à ma gloire. Je conjure Votre Majesté » de ne pas se refuser au bonheur de donner elle-même la paix

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(1) Voyez, dans le tome xvi de ce recueil, la lettre du premier consul au roi d'Angleterre, et la réponse de lord Grenville,

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au monde; qu'elle ne laisse pas cette douce satisfaction & ses enfans car enfin il n'y eut jamais de plus belle circons»tance ni de moment plus favorable pour faire taire toutes » les passions, et écouter uniquement le sentiment de l'hu» manité et de la raison. Ce moment une fois perdu, quel » terme assigner à une guerre que tous mes efforts n'auraient pu » terminer? Votre Majesté a plus gagné depuis dix ans en ter>> ritoire et en richesses que l'Europe n'a d'étendue ; sa nation » est au plus haut point de prospérité. Que veut-elle espérer » de la guerre ? Coaliser quelques puissances du continent? Le >> continent restera tranquille; une coalition ne ferait qu'ac

croître la prépondérance et la grandeur continentale de la » France. Renouveler des troubles intérieurs? Les temps ne » sont plus les mêmes. Détruire nos finances? Des finances

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fondées sur une bonne agriculture ne se détruisent jamais. » Enlever à la France ses colonies? Les colonies sont pour la >> France un objet secondaire ; et Votre Majesté n'en possède-t» elle déjà pas plus qu'elle n'en peut garder? Si Votre Majesté >> veut elle-même y songer, elle verra que la guerre est sans but, sans aucun résultat présumable pour elle. Eh! quelle » triste perspective de faire battre les peuples pour qu'ils se >> battent! Le monde est assez grand pour que nos deux nations puissent y vivre, et la raison a assez de puissance pour qu'on » trouve les moyens de tout concilier, si de part et d'autre on »en a la volonté. J'ai toutefois rempli un devoir saint et pré>> cieux à mon cœur. Que Votre Majesté croie à la sincérité » des sentimens que je viens de lui exprimer, et à mon désir » de lui en donner des preuves. Sur ce, etc., etc. Paris, ce 12 nivosé an 13 (2 janvier 1805). Signé Napo

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>> LÉON. >>

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» En calculant les avantages de notre position', et en pensant à cet élan unanime d'affection et de respect qui, dans les dernières circonstances, nous a fait voir la France entière toute disposée à se dévouer pour maintenir l'honneur du nom français, la gloire du trône et la puissance de l'Empire, je ne cacherai pas qu'étant seul admis, comme ministre, dans la confiance d'une telle détermination, j'ai dû, pour l'apprécier tout entière, la considérer moins en elle-même que dans son principe héroïque, et la voir plutôt comme conséquence de caractère que comme application d'une maxime d'état. Si tout autre prince m'eût manifesté une telle disposition, j'eusse cru l'honneur de ma place et mon dévouement personnel me faisaient une loi de la combattre par mes conseils.

que

» Et en effet, quelle est notre position, et de quel côté

sont les avantages de la guerre? Nous n'avons rien perdu; au dedans et au dehors tout s'est amélioré parmi nous. Nos flottilles, dont la création semblait une chimère, dont la réunion paraissait impossible, ont été créées et réunies comme par prestige. Nos soldats sont devenus marins on dirait que les ports, les rivages se transforment en villes, où les soldats de terre et de mer se livrent en pleine sûreté, et comme pendant la paix, aux terribles et périlleux exercices de la guerre, Nous avons sans doute moins de vaisseaux que l'Angleterre; mais leur nombre suffit pour que leur réunion, sagement préparée, puisse porter des coups mortels à l'ennemi.

"L'Espagne, engagée dans la lutte par des provocations sans prétexte et sans excuse, nous a donné pour auxiliaires la désapprobation de l'Europe contre une injuste aggression, l'indignation d'un peuple généreux, et les forces d'un grand royaume. Invulnérables sur notre territoire, nous avons éprouvé que la vigilance, et une énergie qui ne se dément jamais, suffisent à notre sûreté. Nos colonies sont à l'abri de toute attaque; la Guadeloupe, la Martinique, l'Ile-de-France, résisteraient à une expédition de vingt mille hommes.

» Nos villes, nos campagnes, nos ateliers prospèrent; la perception constante et facile des impôts atteste la fécondité inépuisable de l'agriculture et de l'industrie: le commerce accoutumé depuis dix ans à se passer de ses coûteuses relations avec l'Angleterre, se fait à une autre assiette, et trouve à remplacer ses relations par des communications plus profitables, plus indépendantes et plus sûres. Point de nouveaux impôts; point d'emprunts; une dette qui ne peut augmenter, et qui doit décroître; une réunion enfin de moyens suffisans pour soutenir pendant dix ans l'état actuel de la guerre : telle est la position de la France.

» Cette guerre a donc été peu offensive; mais elle est loin d'avoir été inactive: la France a été garantie. Elle s'est créé des forces jusqu'à ce jour inconnues. Elle a perpétué dans le sein du pays ennemi un principe d'inquiétude sans remède; et, par une prudence et une énergie sans relâche, elle a conquis pour toujours la confiance du continent, d'abord un peu ébranlée par le début d'une guerre incendiaire qui pouvait mettre l'Europe en feu, et dont le progrès a été arrêté par des efforts assidus de surveillance, de modération, de fermeté et de sagesse, Quelle est la situation de l'ennemi? Le peuple est en armes; et pendant que le besoin, secondé du génie, nous a fait inventer une nouvelle espèce de marine, le besoin et la frayeur ont forcé le cabinet anglais de substituer partout les piques aux armes ordinaires de la guerre. Ce cabinet est par

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tagé entre des projets d'invasion et des projets de défense; il prodigue d'inutiles retranchemens; il hérisse les côtes de forteresses; il établit et déplace sans cesse ses batteries; il cherche s'il ne pourrait pas arrêter ou détourner le cours des fleuves.

» Il projette des inondations sur ses propres campagnes. L'indolence des villes est dans ses camps; la turbulence des camps est dans ses villes.

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L'Irlande, les Indes, les rivages mêmes de l'Angleterre sont un objet perpétuel et indéterminé d'inquiétudes. Tout ce qui appartient à l'Angleterre est incessamment menacé par quinze cents bâtimens qui composent notre flottille; aujourd'hui par soixante vaisseaux de ligne, et par une armée valeureuse que les premiers généraux de l'univers commandent. La plus effrayante de toutes les menaces ne serait-elle pas celle de la patience facile, qui nous ferait persister pendant dix ans dans cet état d'arrêt et d'attente qui laisse à nos hostilités l'intelligence et le choix des lieux, du temps et des moyens de nuire?

» Ces considérations et ce contraste eussent dû, ce me semble, inspirer au gouvernement anglais la sage résolution de faire les premières démarches pour prévenir les hostilités : il ne l'a point fait. Il a laissé à l'empereur tout l'avantage de cette initiative honorable. Toutefois il a répondu aux propositions qui lui ont été faites ; et si on compare sa réponse aux déclamations si honteusement célèbres de lord Grenville en l'an 8, j'aime à le dire, elle n'est pas dépourvue de modération et de sagesse. Je vais avoir l'honneur de vous en faire la lecture.

Lettre de lord Mulgrave à S. Exc. M. de Talleyrand, ministre des relations extérieures.

« Sa Majesté a reçu la lettre qui lui a été adressée par le >> chef du gouvernement français, datée du deuxième jour de ce mois.

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Il n'y a aucun objet que Sa Majesté ait plus à cœur que de » saisir la première occasion de procurer de nouveau à ses sujets les avantages d'une paix fondée sur des bases qui ne >> soient pas incompatibles avec la sûreté permanente et les » intérêts essentiels de ses états. Sa Majesté est persuadée que » ce but ne peut être atteint que par des arrangemens qui puis» sent en même temps pourvoir à la sûreté et à la tranquillité » à venir de l'Europe, et prévenir le renouvellement des dan

gers et des malheurs dans lesquels elle s'est trouvée enve»loppée. Conformément à ce sentiment, Sa Majesté sent qu'il > lui est impossible de répondre plus particulièrement à l'ou» verture qui lui a été faite, jusqu'à ce qu'elle ait eu le temps

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de communiquer avec les puissances du continent avec lesquelles elle se trouve engagée par des liaisons et des rapports » confidentiels, et particulièrement avec l'empereur de Russie, qui a donné les preuves les plus fortes de la sagesse et de l'élévation des sentimens dont il est animé, et du vif intérêt qu'il prend à la sûreté et à l'indépendance de l'Europe. "Downing-Street, 14 janvier 1805. Signé MULGRAVE. »

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» Le caractère qui domine dans cette réponse est vague et sans détermination. Une seule idée se montre avec quelque précision, celle du rècours à des puissances étrangères; et cette idée n'est point pacifique : une intervention superflue ne doit point être réclamée, si on n'a pas l'envie d'embarrasser les discussions et de les rendre interminables. Le résultat ordinaire de toutes les négociations compliquées est d'aigrir les esprits, de lasser les bonnes intentions, et de rejeter les états dans une guerre devenue plus ardente par le dépit d'une tentative de rapprochement sans succès.

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Cependant, dans une question qui tient à une multitude d'intérêts et de passions qui sont loin d'avoir jamais été en harmonie, il ne faut pas s'arrêter à un seul indice. » Le temps nous dévoilera bientôt le secret des résolutions du gouvernement d'Angleterre. Si ces résolutions sont justes et modérées, nous verrons finir les calamités de la guerre ; si, au contraire, cette première apparence de rapprochement n'était qu'une lueur trompeuse, destinée seulement à servir des spéculations de crédit, à faciliter un emprunt, des rentrées d'argent, des achats et des entreprises, alors nous saurions sans incertitude à quel point les dispositions de l'ennemi sont implacables et obstinées, et nous n'aurions plus qu'à rejeter loin de nous des espérances d'un attrait dangereux, et à nous confier sans réserve en la bonté de notre cause, à la justice de la Providence et au génie de l'empereur.

»En attendant que de nouvelles lumières nous éclairent sur l'obscurité de la situation des affaires, S. M. l'empereur a pensé que la révélation imparfaite que S. M. le roi d'Angleterre a jugé à propos de faire des premières démarches de la France exigeait de sa part une exposition complète de ce qu'elle a voulu, de ce qu'elle a fait, et de la réponse du gouvernement. anglais.

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En même temps elle me charge d'annoncer qu'elle tre sa vera toujours une satisfaction réelle et chère à son cœur de faire connaître au Sénat et à son peuple, par des communications franches, entières, et jamais douteuses, tout ce qui tiendra aux grands intérêts de sa prospérité et de sa gloire, toutes

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