Page images
PDF
EPUB

plus importans de l'Empire; et en même temps l'objet de ces pensées se lie par les plus intimes rapports aux grands principes de la politique extérieure, à la sûreté d'un grand nombre d'états qui ne peuvent se maintenir et prospérer sans votre appui, et enfin à la tranquillité de toutes les puissances du

continent.

Depuis plusieurs mois l'Europe entière a les yeux fixés sur l'Italie. Les plus grands souvenirs, une longue suite de malheurs, et l'immense gloire que Votre Majesté y a recueillie attachent tous les esprits à sa destinée. On se demande si le sort de cette belle contrée, qui si longtemps gouverna le monde, qui, depuis qu'elle est déchue de sa première grandeur, de siècle en siècle est devenue le théâtre et le jouet de toutes les ambitions, sera enfin déterminé ; de toutes parts on entend éclater le vœu généreux que l'Italie retire, de l'honneur d'avoir décidé du sort de la dernière guerre, l'avantage inespéré d'exister par elle-même, de se conduire par les règles d'une politique indépendante, et enfin de rester pour toujours étrangère aux débats, à la mésintelligence, à la jalousie des grandes puissances.

» Sire, sous un règne tel que le vôtre toutes les conjectures qui s'attachent à des choses justes et grandes ne sont que le pressentiment et le présage des desseins magnanimes du souverain. L'Italie, ses intérêts, ses besoins n'ont cessé d'être l'objet de votre sollicitude; et, on peut l'annoncer avec confiance, le sort que vous lui destinez comblera toutes les espérances qu'elle put former lorsqu'à la suite de vos belles victoires, la première entre toutes les nations, elle fit éclater son admiration et sa reconnaissance, et vous exprima le vœu de s'attacher pour toujours à votre grande destinée.

» Ce fut par suite de ce vou, souvent renouvelé, que vingt peuples réunis, impatiens de consolider leur liberté et de consacrer leur obéissance par la solennité d'une transaction publique, reçurent à Lyon une organisation commune, et déférèrent à Votre Majesté la première magistrature. Cette institution, indéterminée par sa dénomination et indécise par sa durée, ne répondait qu'à l'intérêt et au besoin d'associer les affections et d'apaiser les inquiétudes du moment; mais si l'organisation de la France avait permis à ces peuples de s'ouvrir sans réserve sur le gouvernement qu'ils préféraient, dès lors ils auraient exprimé à Votre Majesté tout ce que, depuis la fondation de l'Empire, l'armée italienne, les autorités constituées et des réunions nombreuses de citoyens, doués de prévoyance et de lumières, lui ont unanimement exposé dans leurs adresses, que, même quand le système héréditaire ne se

[ocr errors]

rait

pas établi en France, le nombre, la diversité, la rivalité, la faiblesse, les habitudes, les opinions des peuples qui habitent l'Italie y rendaient son rétablissement indispensable.

» De telles considérations ont dû prévaloir sur toutes les théories. Votre Majesté voulait assurer à ce peuple une existence indépendante. Elle a senti que, quelle que fût la force de son autorité et celle de son génie, elle ne pourrait remplir ce généreux dessein si elle entreprenait de lutter contre l'empire de toutes les circonstances et contre la tendance de toutes les opinions; et la monarchie italienne a été fondée.

» Mais un autre obstacle s'opposait à l'accomplissement des destinées de cet état. Deux trônes réunis ont paru présenter à Votre Majesté une complication difficile et dangereuse de puissance et de devoirs, et elle a voulu queTM la séparation des couronnes fût positivement déterminée. A regret ses sujets d'Italie ont dû se soumettre à cette disposition; mais ils ont hautement demandé que l'exécution en fût différée : « Sire, vous » ont-ils dit, il n'appartient à aucun homme, quelque grand qu'il puisse être, de subordonner à des vues de modération » les sentimens libres et unanimes des peuples.

[ocr errors]

» Il n'appartient à aucun homme, quelque puissant qu'il soit, de devancer la marche des temps. Plus d'un grand dessein a échoué par l'effet d'une précipitation peu réfléchie; plus d'une nation a manqué sa destinée parce qu'on a voulu >> accélérer pour elle ce qui, faute de patience et de durée, » n'avait pu acquérir une suffisante maturité.

[ocr errors]
[ocr errors]

>> Nous sommes un peuple nouveau, et vous êtes le souverain » d'un grand empire. En séparant aujourd'hui les deux cou>> ronnes, que deviendrons-nous, éloignés que nous sommes » des regards immédiats de notre fondateur, et délaissés, sans appui et sans guide, au milieu des discussions qui peuvent » s'élever dans notre sein et autour de nous ? Qui nous dé» fendra des agitations, suite nécessaire d'une situation longtemps indécise? Qui nous préservera du tort de trop nous » défier de nous-mêmes, ou du malheur d'une trop aveugle » confiance?

"

"

» La séparation des deux couronnes déterminera-t-elle l'éloignement des troupes françaises de notre territoire ? Mais » le royaume d'Italie n'est pas isolé; il est contigu à de puis" sans voisins.

» Il se compose d'un grand nombre d'éléniens autrefois en» nemis, récemment incorporés. Il touche à des rivages qui peuvent être exposés à des invasions soudaines. La forma» tion d'une armée nouvelle, quelle que soit sa fidélité, quel » que soit son courage, calmera-t-elle toutes les alarmes qui

[ocr errors]

peuvent s'élever? Garantira-t-elle l'Etat contre la possibilité » de toute entreprise ? dans un

» Et si la séparation des couronnes ne détermine que » avenir indéfini l'éloignement des troupes françaises, il n'en » faut pas douter, une confiance juste, mais fâcheuse par ses » suites, en nous rendant moins nécessaire le devoir pénible » et dispendieux de pourvoir nous-mêmes à notre défense, éloignerà peut-être pour jamais l'établissement d'une armée » nationale, sans laquelle cependant toute nation, quelles que » soient sa population et son étendue, perd le droit de prendre » la part qui lui appartient dans les sentimens réciproques de considération et de respect que les peuples se doivent les

K

"J uns aux autres.

>> Si de ces considérations nous passons à celles que présente la politique extérieure, le danger devient plus pressant. Une » armée française occupe l'état de Naples, où elle n'a rien » à faire; elle y existe pour observer une armée anglaise qui » occupe Malte, et une armée russe qui peut-être n'existe dans » les îles Ioniennes que pour observer l'armée française. Dans >> cette attente confuse d'événemens, dans cette complication » de rapports incertains, et lorsqu'une fausse mesure, de quelque part qu'elle vienne, peut attirer sur nous les plus grandes calamités, couvrir notre pays de sang et de deuil, >> nous rendre victimes de la guerre, et, ce qui est plus effrayant encore, nous rendre peut-être victimes de la paix, » que pouvons-nous faire que de nous attacher, tant que le danger existe, à notre seul garant, à notre seule espérance, » à notre seul défenseur, et de l'enchaîner, s'il se peut, par sa généreuse volonté, à l'ouvrage de son génie et de sa bien>> faisance ! »

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

Sire, tels sont les voeux de vos peuples d'Italie. Ils sont si pressans, si décisifs et si légitimes, que vous avez dû les

exaucer.

[ocr errors]

Ainsi Votre Majesté régnera en Italie, et pendant quelque temps encore l'empire et le royaume que vous avez institués liés par les mêmes affections, engagés par les mêmes sermens, s'éleveront, se raffermiront à l'abri du même pouvoir.

» Et le temps étant venu où cette association ne sera plus indispensable à l'Italie, ne sera d'aucun intérêt pour la France, et n'importera plus à la tranquillité de l'Europe, elle sera rompue. Votre Majesté en a marqué irrévocablement le terme : sur ce point elle a résisté aux plus vives, aux plus touchantes sollicitations. Elle n'a voulu laisser aucun doute, aucune illusion, aucune espérance à ses peuples d'Italie: elle a sagement pensé que dans d'aussi grands intérêts, et dans une aussi

solennelle circonstance, il lui convenait avant tout de faire un libre et digne usage de sa puissance.

» Tout n'est pas incertain dans l'avenir; les âmes fortes et les esprits élevés savent y distinguer ce qui est du domaine de leur prudence et ce qui appartient au grand arbitre des événemens. Votre Majesté prévoit avec certitude l'événement futur de l'affranchissement de Malte, et de l'indépendance légitime de la république Ionienne. Elle ne veut pas mettre un prix à la séparation des couronnes d'Italie et de France, et c'est pour, cela même qu'elle en détermine l'époque, pour ne pas s'exposer un jour à s'entendre proposer l'alternative offensante de la séparation des couronnes ou de la guerre ; car alors le soin de sa dignité lui imposerait de faire prévaloir la voix de l'honneur sur le vœu même de l'humanité.

[ocr errors]

La générosité est un sentiment qui dans les âmes élevées s'associe toujours à une sorte de délicatesse jalouse. Renoncer à une couronne, dissoudre soi-même ces liens de dépendance et de fidélité, d'autant plus flatteurs qu'ils sont un résultat légitime et comme un monument consacré d'une grande gloire, acquise par des efforts heureux de courage et de génie, abdiquer enfin le suprême pouvoir est une détermination assez grande pour qu'on ait le droit de vouloir que rien n'altère la satisfaction noble et pure de l'avoir prise par la simple et libre impulsion d'une disposition magnanime et modérée.

» Et la France, sur qui doit rejaillir l'éclat d'une telle modération, ne peut que sentir avec orgueil et reconnaissance toute la grandeur de la position à laquelle Votre Majesté l'élève. Cette noble détermination l'honore et l'agrandit autant et plus que la plus brillante conquête : elle peut se dire, et dire à l'univers, qu'ainsi que l'Océan elle a vu poser les bornes de sa puissance et les limites de l'ascendant de son souverain dans ses propres lois, dans la mesure de ses droits, dans la règle de ses intérêts, et non pas dans de vaines digues qui pourraient être élevées par les prétentions de la jalousie, de la susceptibilité et de la haine.

[ocr errors]

L'avenir, le passé sont pour la malveillance un texte inépuisable de mensonges: elle calomnie par de vains présages; elle calomnie par de vaines comparaisons. N'a-t-elle pas souvent affecté d'abuser de l'éclat des victoires de Votre Majesté en exagérant leurs résultats ? N'a-t-elle pas cherché à répandre l'alarme en rappelant la gloire, le nom et la destinée d'Alexandre et de Charlemagne ? Frivoles et trompeuses analogies! Charlemagne n'a eu ni successeurs ni voisins: empire ne lui a pas survécu; il fut partagé, et il devait l'être. Charlemagne a été conquérant, et non pas fondateur. Les fon

son

dateurs gouvernent pendant leur vie, et ensuite pendant des siecles. Charlemagne vivait à une époque où l'esprit humain, affaibli par l'ignorance, ne pouvait se porter sur l'avenir.

[ocr errors]

Alexandre, en reculant sans cesse les limites de ses conquêtes, ne fit que se préparer des funérailles sanglantes; la grande, l'héroïque pensée de succession n'entra jamais dans son esprit.

[ocr errors]

Charlemagne, Alexandre léguèrent leur empire à

l'anarchie.

[ocr errors]

>> Comme ces grands hommes, nous avons vu Votre Majesté porter avec rapidité ses armes en Europe et en Asie; son activité comme la leur, a su embrasser en peu de temps la plus vaste étendue, et franchir les plus grandes distances. Mais dans ses plus glorieuses expéditions et dans ses plus hardies entreprises a-t-elle été entraînée par une passion vague et indéfinie de dominer et d'envahir? Non, sans doute, et l'histoire l'a déjà inscrit dans ses fastes dès le début de sa noble carrière. Votre Majesté voulut rappeler la France à des idées d'ordre, et l'Europe à des idées de paix. Elle vit avec horreur une guerre qui menaçait de ramener la barbarie, et avec effroi une révolution qui couvrait la France de deuil, de destruction et de débris, et elle crut que la Providence l'avait suscitée pour mettre un terme à ces deux grandes calamités. En Italie elle a vaincu pour réconcilier l'Allemagne avec la France : elle est allée vaincre en Asie pour attendre le temps où elle pourrait en revenir triomphante, et à son retour réconcilier la France avec elle-même. Telles ont été les vues, telle a été la noble ambitiou de Votre Majesté.

» Et, agissant toujours d'après l'impulsion d'un caractère incapable de se démentir, aujourd'hui, en organisant un état nouveau, Votre Majesté est occupée du désir de manifester encore à tous les peuples ses principes de stabilité, de conservation et de justice; et en même temps elle donne à la paix future un gage généreux de ses invariables dispositions.

et

» J'ose l'assurer à Votre Majesté, quelque effort que l'on puisse faire pour égarer l'opinion, cet irrésistible penchant qui entraîne tous les esprits vers la gloire des nobles actions, qui attache tous les coeurs par l'enthousiasme qu'inspirent les grands sacrifices, triomphera de toutes les mécréances. La France, l'Italie vous chérissent comme fondateur de leurs lois, et comme défenseur de leurs droits et de leur puissance; l'Europe révère en vous le conservateur de ses intérêts; et, pourquoi craindrais-je de le dire! un teinps viendra où l'Angleterre même, vaincue par l'ascendant de votre modération, abjurera ses haines, et, à l'exemple de tous les peuples com

« PreviousContinue »