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assis pour le salut de toutes les sociétés civilisées. Veuillez nous accorder le bonheur d'être vos sujets; Votre Majesté n'en saurait avoir de plus dévoués, de plus fidèles. »

RÉPONSE de l'empereur.

<< Monsieur le doge, messieurs les députés du Sénat et du peuple de Gênes, les circonstances et votre vœu m'ont plusieurs fois appelé depuis dix ans à intervenir dans vos affaires intérieures. J'y ai constamment porté la paix, et cherché à faire prospérer les idées libérales, qui seules auraient pu donner à votre gouvernement cette splendeur qu'il avait il y a plusieurs siècles; mais je n'ai pas tardé moi-même à me convaincre de l'impossibilité où vous étiez, seuls, de rien faire qui fût digne de vos pères. Tout a changé: les nouveaux principes de la législation des mers que les Anglais ont adoptés, et obligé la plus grande partie de l'Europe à reconnaître; le droit de blocus qu'ils peuvent étendre aux places non bloquées, et même à des côtes entières et à des rivières, qui n'est autre chose que le droit d'anéantir à leur volonté le commerce des peuples; les ravages toujours croissans des Barbaresques, toutes ces circonstances ne vous offraient qu'un isolement dans votre indépendance. La postérité me saura gré de ce que j'ai voulu rendre libres les mers, et obliger les Barbaresques à ne point faire la guerre aux pavillons faibles, mais à vivre chez eux en agriculteurs et en honnêtes gens. Je n'étais animé que par l'intérêt et la dignité de l'homme. Au traité d'Amiens l'Angleterre s'est refusée à coopérer à ces idées libérales. Depuis une grande puissance du continent y a montré tout autant d'éloignement. Seul pour soutenir ces légitimes principes, il eût fallu avoir recours aux armes; mais je n'ai le droit de verser le sang de mes peuples que pour des intérêts qui leur sont propres.

» Dès le moment où l'Europe ne put obtenir de l'Angleterre que le droit de blocus fût restreint aux places vraiment bloquées ; dès le moment que le pavillon des faibles fut sans défense et livré à la piraterie des Barbaresques, il n'y eut plus d'indépendance maritime; et dès lors les gens sages prévirent ce qui arrive aujourd'hui.

Où il n'existe pas d'indépendance maritime pour un peuple commerçant, naît le besoin de se réunir sous un plus puissant pavillon. Je réaliserai votre vœu ; je vous réunirai à mon grand peuple. Ce sera pour moi un nouveau moyen de rendre plus efficace la protection que j'ai toujours aimé à vous accorder. Mon peuple vous accueillera avec plaisir; il sait que dans toutes les circonstances vous avez assisté ses armées avic ami

tié, et les avez soutenues de tous vos moyens et de toutes vos forces. Il trouve d'ailleurs chez vous des ports et un accroissement de puissance maritime qui lui est nécessaire pour soutenir ses légitimes droits contre l'oppresseur des mers. Vous trouverez dans votre union avec mon peuple un continent, vous qui n'avez qu'une marine et des ports; vous y trouverez un pavillon, que, quelles que soient les prétentions de mes ennemis, je maintiendrai sur toutes les mers de l'univers constamment libre d'insultes et de visites, et affranchi du droit de blocus, que je ne reconnaîtrai jamais que pour les places véritablement bloquées par terre comme par mer; vous vous y trouverez enfin absolument à l'abri de ce honteux esclavage dont je souffre malgré moi l'existence envers les puissances plus faibles, mais dont je saurai toujours garantir mes sujets. Votre peuple trouvera dans l'estime que j'ai toujours eue pour lui, et dans ces sentimens de père que je lui porterai désormais, la garantie que tout ce qui peut contribuer à son bonheur sera fait.

>> Monsieur le doge, messieurs les députés du Sénat et du peuple de Gênes, retournez dans votre patrie; sous peu de temps je m'y rendrai, et là je scellerai l'union que mon peuple et vous contracterez. Ces barrières qui vous séparent du continent seront levées pour l'intérêt commun, et les choses se trouveront placées dans leur état naturel. Les signatures de tous vos citoyens, apposées au bas du vœu que vous me présentez, répondent à toutes les objections que je pourrais me faire; elles constituent le seul droit que je reconnaisse comme légitime en le faisant respecter je ne ferai qu'exécuter la garantie de votre indépendance, que je vous ai promise. »

Le 22 prairial an 13 (11 juin 1805) le pavillon tricolore fut arboré dans les ports, forteresses et états de Gênes, en présence du ministre de l'intérieur de l'Empire français, M. Champagny, délégué à cet effet par l'empereur. Dans le mois de messidor suivant, conformément à un décret rendu à Milan le 17 prairial, et dont l'exécution fut confiée à l'archi-trésorier, M. Lebrun, le territoire de la république Ligurienne fut divisé et organisé en trois départemens français les départemens de Génes, de Montenotte, des Apennins. De Milan, Napoléon se rendit à Gênes pour présider aux différentes nominations. Bientôt après il appela le doge, M. Durazzo, au Sénat conservateur. Trois mois s'étaient écoulés depuis la réunion de ce pays à l'Empire lorsqu'il en informa le Sénat, à qui il fit en même temps soumettre l'acte relatif à la représentation au Corps législatif des trois nouveaux départemens.

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MOTIFS du senatus-consulte organique portant réunion, de Gênes à l'Empire français, et contenant sa division en départemens, la fixation du nombre de ses députés, etc.; présenté au Sénat par M. Regnault (de Saint-Jean-d'Angely), conseiller d'état, le 13 vendémiaire an 14 (5 octobre 1805), en séance présidée par le grand électeur, prince Joseph. (1)

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Monseigneur, le respect des gouvernemens pour le droit des gens est la seule garantie de l'existence et de l'indépendance des petits états; ils fleurissent sous sa protection, comme le faible est heureux et libre dans les empires bien constitués sous la protection de la loi civile.

» Mais lorsque les principes du monde civilisé sont méconnus, alors les états trop faibles pour résister à la violence pour repousser les agressions, pour défendre leur territoire, pour faire respecter leur pavillon, sont obligés, par le sentiment de leur impuissance et par le besoin de leur conservation, de s'agréger à un état plus étendu, plus fort, qui les couvre de sa protection, et les défende par sa puissance.

» C'est ce qui est arrivé, messieurs, à la république Ligurienne. Déchue de son antique splendeur, réduite par la force des événemens successifs à son territoire européen, privée depuis longtemps du commerce immense qui la fit fleurir, dépouillée des places et comptoirs qu'elle occupa jadis en Afrique et en Asie, Gênes ne pouvait plus être défendue que par le droit des nations et la justice des gouvernemens.

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Mais cette république avait en même temps pour ennemis les puissances barbaresques et l'Angleterre; elle n'était conséquemment défendue ni par le droit des gens ni par la justice.

» Dans son port neutre, alors sous le canon impuissant de ses batteries, sous les yeux de ses citoyens indignés, de son gouvernement opprimé, des vaisseaux français ont été attaqués et pris, leurs équipages massacrés ou mis aux fers.

» Exilée des ports qu'elle souille par des violations inouïes, l'Angleterre se venge aujourd'hui en les fermant à toutes les

(1) Napoléon, alors à l'armée, avait délégué à son frère la présidence suprême du Sénat, comme un garant que son absence ne retarderait en rien la marche des affaires.

nations commerçantes; elle exerce ce prétendu droit de blocus par lequel elle met en interdit les côtes et les mers où l'on méconnaît sa domination.

» Le pavillon gênois ne pouvait donc se montrer dans la Méditerranée sans être la proie ou des flottes anglaises ou des corsaires barbaresques; et ses marins gémissaient dans les prisons d'Angleterre ou dans les bagnes d'Alger et de Tunis.

>> Nul vaisseau neutre n'osait risquer de se destiner pour ce pays malheureux, et les objets de première nécessité comme les objets de commerce, devenus rares d'abord, pouvaient d'un moment à l'autre cesser d'y aborder.

» D'un autre côté la culture d'un territoire peu étendu ne pouvait fournir à la subsistance, et les lois des douanes de l'Empire, protectrices du commerce, favorables aux consommateurs français, interdisaient aux Gênois l'usage des ressources qu'invoquaient inutilement leurs besoins, trop parcimonieusement satisfaits par des concessions et des facilités accordées par la France à ses alliés au préjudice du commerce de Nice et de Marseille.

>> C'est dans cet état de choses, messieurs, que le peuple gênois a tourné vers la nation française des regards d'espérance, et s'est flatté de renaître sous sa protection au repos et au bonheur.

» Le Sénat ligurien, interprète du vœu des citoyens, a consigné dans ses registres celui qu'il avait recueilli de l'opinion publique.

» Bientôt il a pu s'assurer qu'il l'avait bien entendu ; qu'il ne s'était pas mépris dans le sens qu'il lui avait donné, puisque quatre-vingt mille signataires, c'est à dire le sixième de la population entière de la Ligurie, c'est à dire les habitans inscrits sur les registres civiques, archevêques, évêques, prêtres, membres des universités, militaires, marins, citoyens, tous enfin, hors trente-six, ont ratifié le vœu de réunion à la France.

» Ce vœu, messieurs, a été déposé au pied du trône de sa Majesté à Milan, le 4 juin (15 prairial dernier), par une députation du Sénat et du peuple de Gênes, ayant le doge à sa tête.

» Sa Majesté l'a accueillie; elle a promis la réunion désirée par le peuple entier de la Ligurie; et vous allez, messieurs, consacrer cette promesse par le senatus-consulte que Sa Majesté nous a ordonné de vous apporter.

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Déjà ce pays, que les aigles françaises couvrent depuis quelques mois de leurs ailes tutélaires, jouit des effets de leur puissance protectrice.

» Une escadre défend ses côtes contre les Anglais, et a fait respirer son commerce.

» Son port, franc, appellera bientôt tous les navigateurs, et redeviendra un dépôt de toutes les consommations de l'Italie et d'une partie des richesses territoriales de la France.

» Les Barbaresques n'attaquent plus ses vaisseaux, où flotte un pavillon respecté.

» Les bagnes de l'Afrique se sont ouverts; les fers des Gênois qui y étaient renfermés ont été brisés; nos vaisseaux rédempteurs les ont ramenés dans leur patrie, et rendus à leur famille.

>> Les lois civiles françaises y sont publiées, et y font sentir leurs bienfaits.

» Les tribunaux, régénérés, y rendent avec sagesse et impartialité des jugemens que le gouvernement fait exécuter avec fermeté et avec rigueur.

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La propriété y est respectée, et les brigands qui infestaient son territoire se cachent devant la police sévère, ou tremblent devant la justice inflexible.

» Les produits du commerce, de l'industrie ou de la culture ligurienne franchissent les Apennins et les Alpes, et les barrières des douanes françaises, enlevées, laissent arriver en échange tous les approvisionnemens nécessaires à la vie, et toutes les matières premières réclamées par l'industrie et les

arts.

» Le territoire ligurien, qui formait la frontière maritime de nos départemens au delà des Alpes, fondu avec ces départemens, qui lui étaient nécessaires, et auxquels il sera utile, est amalgamé avec le territoire français, et jouit déjà des avantages d'une administration plus forte, plus habile, plus exercée.

» Sa Majesté a désigné des citoyens distingués parmi ces nouveaux Français pour siéger au Sénat et au conseil de l'Empire.

» Il ne reste plus qu'à appeler au Corps législatif un nombre de députés proportionné à la population des départemens

réunis.

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» Le senatus-consulte que nous vous présentons, messieurs, assurera à la Ligurie devenue française, à la Ligurie, que nous appelons de ce nom pour la dernière fois, tous ces avantages. Il consacre son incorporation avec le grand peuple.

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Il détermine sa division en départemens, en fixe les limites d'après les convenances, les rapports de localité, de mœurs ou d'intérêts, en modifiant, pour y mieux satisfaire, l'ancienne formation du département de Marengo, en supprimaut entièrement celui du Tauaro.

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