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est envahie; l'électeur de Bavière est chassé de sa capitale; toutes mes espérances se sont évanouies.

» C'est dans cet instant que s'est dévoilée la méchanceté des ennemis du continent : ils craignaient encore la manifestation de mon profond amour pour la paix ; ils craignaient que l'Autriche, à l'aspect du gouffre qu'ils avaient creusé sous ses pas, ne revînt à des sentimens de justice et de modération ; ils l'ont précipitée dans la guerre. Je gémis du sang qu'il va en coûter à l'Europe; mais le nom français en obtiendra un nouveau lustre.

» Sénateurs, quand à votre vœu, à la voix du peuple français tout entier, j'ai placé sur ma tête la couronne impériale, j'ai reçu de vous, de tous les citoyens, l'engagement de la maintenir pure et sans tache. Mon peuple m'a donné dans toutes les circonstances des preuves de sa confiance et de son amour. Il volera sous les drapeaux de son empereur et de son armée qui dans peu de jours auront dépassé les frontières.

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Magistrats, soldats, citoyens, tous veulent maintenir la patrie hors de l'influence de l'Angleterre, qui, si elle prévalait, ne nous accorderait qu'une paix environnée d'ignominie et de honte, et dont les principales conditions seraient l'incendie de nos flottes, le comblement de nos ports et l'anéantissement de notre industrie.

» Toutes les promesses que j'ai faites au peuple français je les ai tenues. Le peuple français à son tour n'a pris aucun engement avec moi qu'il n'ait surpassé. Dans cette circonstance si importante pour sa gloire et la mienne, il continuera à mériter ce nom de grand peuple dont je le saluai au milieu des champs de bataille.

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Français, votre empereur fera son devoir; mes soldats feront le leur; vous ferez le vôtre. »

EXPOSÉ de la conduite réciproque de la France et de l'Autriche depuis la paix de Lunéville: Lu par le ministre des relations extérieures

(Talleyrand).

« Toute l'Europe sait que dans la guerre, au milieu même des succès les plus signalés et les plus décisifs, l'empereur des Français n'a pas cessé de désirer la paix; qu'il l'a souvent offerte à ses ennemis; qu'après les avoir réduits à la recevoir comme un bienfait, il là leur a donnée à des conditious qu'ils n'auraient pas osé se promettre, et qui ont rendu sa modération non moins éclatante que ses victoires. Il sent tout le prix de la gloire acquise par les armes dans une guerre juste et nécessaire; mais il est une gloire plus douce et plus chère à son

cœur son premier vœu, le but constant de ses efforts ont toujours été la tranquillité de l'Europe, le repos et la félicité des peuples.

>> Ce but était atteint ; ce vœu se trouvait rempli par la paix d'Amiens. L'empereur fit tout pour la rendre durable; elle subsisterait encore si la prospérité croissante de la France n'en eût pas fixé le terme. D'abord elle fut altérée par les démarches artificieuses et bientôt rompue par la perfidie ouverte du cabinet de Saint-James; mais du moins la paix régnait sur le continent à travers les prétextes mensongers et vains dont l'Angleterre cherchait à se couvrir, l'Europe démêlait aisément ses véritables motifs.

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que

L'Angleterre craignait de voir se relever de leurs ruines, et comme renaître de leurs cendres, les colonies françaises, qui avaient été et qui pouvaient redevenir si florissantes; sa jalousie voulait étouffer ou du moins arrêter dans son essor l'industrie française, ranimée par la paix ; elle nourrissait le désir insensé d'éloigner le pavillon français des mers où il parut jadis avec tant d'éclat, ou du moins de le réduire à ne plus s'y montrer dans un état d'abaissement indigne du rang que la France tient entre les nations. Mais ce n'étaient pas là les seuls motifs de l'Angleterre ; elle était encore poussée par cette insatiable avidité qui lui fait convoiter le monopole de tous les commerces et de toutes les industries; par cet orgueil démesuré qui lui persuade qu'elle est la souveraine des mers et qui est l'unique fondement du despotisme monstrueux qu'elle cause que la France avait à défendre était donc la cause de l'Europe, et il était naturel de penser que ni les intrigues de l'Angleterre, ni l'or qu'elle annonçait à tous ceux qui voudraient servir son ambition (1), ni ses promesses fallacieuses ne pourraient engager dans son parti aucune des puissances continentales. Aucune en effet ne parut vouloir accueillir ses propositions et ses instances.

y exerce.

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>>

La

Tranquille sur les dispositions du continent, l'empereur tourna toutes ses pensées vers la guerre maritime, pour laquelle il lui fallait tout créer des flottes furent construites, des ports furent creusés, des camps s'élevèrent sur les bords de

(1) «MI. Pitt, dans la séance du 18 février 1805, après avoir présenté le budget de l'année, demanda et obtint, pour ce qu'il appela continental uses, cinq millions sterling; et, dans la séance du 12 juillet, jour de la clôture du parlement, il demanda et obtint, pour le même usage, un supplément de trois millions et demi sterling.

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l'Océan; l'empereur y réunit toutes les forces de son Empire, et ses troupes, se formant sous ses yeux à des opérations toutes nouvelles, se préparèrent à de nouveaux triomphes.

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L'Angleterre vit quels dangers la menaçaient; elle crut les détourner par des crimes : des assassins furent jetés sur les côtes de France; les ministres anglais près les puissances neutres devinrent les agens d'une guerre infâme autant qu'atroce, d'une guerre de conspirations et d'assassinats.

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L'empereur vit ces misérables complots; il les méprisa, et n'en offrit pas moins la paix aux mêmes conditions auxquelles elle avait été précédemment faite.

» Tant de générosité ne put calmer, et sembla plutôt accroître les fureurs du cabinet de Saint-James. Sa réponse fit voir clairement qu'il ne penserait à la paix qu'après avoir perdu l'espoir de couvrir le continent de carnage et de sang; mais il sentait que pour venir à bout d'un tel dessein il ne lui suffisait pas d'associer à ses vues une puissance étrangère presque autant que l'Angleterre, par sa position, au système continental; que, n'ayant rien à attendre de la Prusse, dont les sentimens étaient trop connus, son espérance serait vaine tant que l'Autriche resterait fidèle à sa neutralité.

» L'Autriche, après avoir éprouvé deux fois, à l'issue de deux guerres malheureuses, aux époques des traités de CampoFormio et de Lunéville, jusqu'à quel point la France aimait à se montrer généreuse envers un ennemi vaincu, n'avait pas, comme la France, religieusement observé ses traités. Nonobstant leurs stipulations formelles, la dette de Venise n'était point acquittée; elle était même déclarée anéantie: l'empereur savait que ses sujets de Milan et de Mantoue éprouvaient un déni de justice, et que la cour de Vienne n'en payait aucun, mépris des engagemens solennels qu'elle avait contractés.

au

» Il savait que les relations de commerce de son royaume d'Italie avec les états héréditaires étaient entravées, et que ses sujets, Français et Italiens, ne trouvaient en Autriche qu'un accueil bien différent de celui auquel l'état de paix leur donnait droit de s'attendre.

» Dans le partage des indemnités en Allemagne, l'Autriche avait été traitée avec une faveur qui devait combler ses désirs, et passer même ses espérances; cependant ses démarches annonçaient que son ambition n'était pas satisfaite : elle employait tour à tour la séduction et les menaces pour se faire céder par de petits princes des possessions à sa convenance. C'est ainsi qu'elle avait acquis sur le lac de Constance Lindau, et dans le lac même l'île de Menau, ce qui mettait entre ses mains l'une des clefs de la Suisse ; elle s'était fait céder par

l'ordre Teutonique Altkousen, ce qui la rendait maîtresse d'un poste important, le poste de la Rhinau; elle avait agrandi son territoire par une foule d'autres acquisitions; elle en méditait de nouvelles.

» Comme moyen d'agrandissement, elle ne craignait pas d'employer des usurpations évidentes, qu'elle cherchait à voiler par des formes légales.

>> C'est ainsi que, sous le prétexte d'un droit d'épave, droit auquel elle avait expressément renoncé par un traité, et dont l'exercice était incompatible avec l'exécution du recès de l'empire germanique, elle s'appropriait des possessions qu'elle feignait de croire en deshérence et sans propriétaires légitimes, quoique le recès en eût formellement disposé pour la répartition des indemnités; elle frustrait par là plusieurs princes de celles qu'il avait été trouvé juste de leur assigner. Sous prétexte de ce même droit d'épave, que relativement aux Suisses elle appelait droit d'incamération, elle enlevait à l'Helvétie des capitaux considérables. Elle sequestrait en Bohême les fiefs appartenans à un prince voisin, sous le prétexte de compensations dues à l'électeur de Salzbourg, et dont elle prétendait, contre tout droit, se constituer seule l'arbitre. Elle insistait, avec menaces, pour conserver des recruteurs dans les provinces bavaroises, en Franconie et en Souabe, et elle y entravait de tout son pouvoir la conscription pour l'armée électorale. Abusant de prérogatives autrefois données au chef de l'empire germanique pour l'utilité commune des états qui le composent, et tombées en désuétude, elle les faisait revivre pour troubler l'exercice de la souveraineté des princes voisins sur les possessions qui leur étaient échues en partage, et pour les priver dans les diètes de l'accroissement d'influence qui devait résulter de ces possessions.

» Le recès de l'empire, conséquence et complément du traité de Lunéville, avait pour objet, indépendamment de la répartition des indemnités, d'établir par cette répartition même, dans le midi de l'Allemagne, un équilibre qui en assurât l'indépendance, et de prévenir les causes éventuelles de mésintelligence et de guerre qu'un contact immédiat des territoires de la France et de l'Autriche aurait pu fréquemment faire naître. Tel était le vœu des médiateurs et de l'empire germanique; c'était le vœu de la justice, de la raison, d'une politique humaine, et conforme aux vrais intérêts de l'Autriche ellemême.

» L'Autriche renversait donc ce que le recès avait établi si sagement, lorsque, par ses acquisitions en Souabe, elle affaiblissait la barrière qui devait la séparer de la France; lorsqu'elle

tendait à s'interposer entre la France et les principaux états du midi de l'Allemagne, et lorsque, par un système combiné de sequestres, de prétentions, de caresses et de menaces, elle tendait sans relâche à s'assurer une influence exclusive, universelle et arbitraire sur cette partie de l'empire germanique; elle violait donc évidemment les traités, et chacun de ses actes devait être considéré comme une infraction de la paix.

"Depuis la rupture du traité d'Amiens, l'Autriche s'était plus d'une fois montrée partiale en faveur de l'Angleterre ; elle avait reconnu par le fait ce prétendu droit de blocus que le cabinet de Saint-James a osé s'arroger, et suivant lequel une simple déclaration de l'amirauté anglaise suffit pour mettre en interdit toutes les côtes d'un vaste empire; elle avait souffert sans réclamer et sans se plaindre que la neutralité de sou pavillon fût continuellement violée au détriment de la France, contre laquelle toutes les violences faites aux pavillons neutres étaient évidemment dirigées.

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Tous ces faits étaient connus de l'empereur: plusieurs excitèrent sa sollicitude. C'étaient de véritables griefs; ils auraient été de justes motifs de guerre; mais, par amour de la paix, l'empereur s'abstint même de toute plainte, et la cour de Vienne ne reçut de lui que de nouveaux témoignages de déférence.

>> Il s'était fait une loi d'éviter tout ce qui aurait pu causer à l'Autriche le plus léger ombrage.

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Lorsqu'appelé par les voeux de ses peuples d'Italie il se rendit à Milan, des troupes furent rassemblées, des camps furent formés, dans l'unique vue de mêler les pompes militaires aux solennités religieuses et politiques, et de présenter la majesté souveraine au milieu de cet appareil qui plaît aux yeux des peuples: l'empereur conviendra qu'il avait aussi quelque plaisir à voir réunis ses compagnons d'armes dans des lieux et sur les terreins mêmes consacrés par la victoire ; mais, voulant prévenir les inquiétudes de la cour de Vienne, s'il était possible qu'elle en conçût aucune, il la fit assurer de ses intentions pacifiques en déclarant que les camps qui avaient été formés seraient levés au bout de quelques jours, et cette promesse fut exactement remplie.

» L'Autriche répondit par des protestations également amicales et pacifiques, et l'empereur quitta l'Italie avec la douce persuasion que la paix du continent serait maintenue.

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Quel fut son étonnement lorsqu'à peine de retour en France, étant à Boulogne, hâtant les préparatifs d'une expédition qu'il était enfin au moment d'effectuer, il reçut de toutes parts la nouvelle qu'un mouvement général était imprimé

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