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à toutes les forces de la monarchie autrichienne; qu'elles se portaient à marches forcées sur l'Adige, dans le Tyrol et sur les rives de l'Inn; qu'on rappelait les semestriers, qu'on formait des magasins, qu'on fabriquait des armes, qu'on faisait des levées de chevaux, qu'on fortifiait les gorges du Tyrol, qu'on fortifiait Venise, qu'on faisait enfin tout ce qui annonce et caractérise une guerre imminente.

>>

L'empereur ne put d'abord croire que l'Autriche voulût sérieusement la guerre, qu'elle voulût se commettre à de nouveaux hasards, et condamner à de nouvelles calamités ses peuples, fatigués par tant de revers, épuisés par tant de sacrifices.

» Maître par deux fois de priver pour toujours la maison d'Autriche de la moitié de ses états héréditaires, loin de diminuer sa puissance, il l'avait accrue. S'il ne pouvait pas compter sur sa reconnaissance, il croyait pouvoir compter sur sa loyauté. Il lui avait donné la plus haute marque de confiance qu'il lui fût possible de donner en laissant dégarnies et désarmées ses frontières continentales. Il la croyait incapable d'en abuser parce qu'il l'aurait été lui-même. Il est des soupçons qui ne peuvent entrer dans les cœurs généreux, ni trouver place dans un esprit réfléchi.

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» L'empereur se plaisait à s'affermir dans ces favorables présomptions, et il ne craignait pas de manifester à quel point il désirait de les voir fondées. La cour de Vienne ne négligea rien pour en prolonger l'illusion. Elle multiplia les déclarations pacifiques; elle protesta de son religieux attachement aux traités; elle autorisa son ambassadeur à faire les déclarations les plus rassurantes; elle chercha enfin, soit par des explications plausibles, soit par des dénégations formelles, à dissiper les soupçons que ses mesures pouvaient faire naître.

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Cependant les préparatifs hostiles, redoublant tous les jours d'activité et d'étendue, devenaient plus difficiles à justifier. L'empereur ordonna que M. le comte Philippe de Cobentzel, ambassadeur de la cour de Vienne, fût invité à de nouvelles conférences, et que la correspondance des agens diplomatiques et commerciaux de Sa Majesté lui fût communiquée. Quatre jours consécutifs, M. de Cobentzel se rendit chez le ministre des relations extérieures, qui mit sous ses yeux les dépêches précédemment reçues, et celles qui arrivaient successivement de tous les points de l'Allemagne et de l'Italie. Les cabinets de l'Europe trouveront dans leurs archives peu d'exemples de communications semblables, faites dans des circonstances où le soupçon était si naturel. L'empereur ne pouvait donner une preuve plus convaincaute de sa bonne foi; il ne

pouvait porter plus loin la loyauté et la délicatesse. L'ambassadeur de Vienne prenait connaissance des renseignemens les plus positifs, les plus incontestables, qui de toutes parts annonçaient l'éclat prochain d'une guerre, toujours préparée et si soigneusement dissimulée.

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Que pouvait-il répondre? Jusqu'à ce moment la paix avait été hautement professée par sa cour à Paris et à Vienne; mais sur toutes ses frontières la guerre était enfin ouvertement organisée.

>> Toutefois l'empereur ne voulut pas rejeter tout espoir de rapprochement; il se persuada que l'Autriche pouvait être entraînée par des suggestions étrangères; il résolut de tout faire pour la ramener au sentiment de ses véritables intérêts. Il lui représenta que si elle ne voulait pas la guerre, tous ses préparatifs étaient sans objet, puisque tous ses voisins étaient en paix ; qu'elle servait alors, contre son intention et à son insu, le parti de l'Angleterre, en faisant en sa faveur une diversion non moins puissante et plus nuisible à la France que ne le serait une guerre déclarée.

» Si elle voulait la guerre, il lui en fit envisager les suites probables. Supérieur à toutes les considérations qui n'arrêtent que la faiblesse, il ne dissimula pas qu'il craignait la guerre ; non qu'après tant de combats livrés dans les trois parties de l'ancien monde, il puisse craindre des dangers bravés tant de fois et tant de fois surmontés; mais il craignait la guerre à cause du sang qu'elle fait verser, à cause des sacrifices sans nombre qu'elle devait coûter à l'Europe; et, par suite d'un amour peut-être excessif pour la paix, il conjura l'Autriche de cesser des préparatifs qui, dans l'état présent de l'Europe et dans la situation particulière de la France, ne pouvaient être considérés que comme une déclaration de guerre, comme le résul→ tat d'un accord qu'elle aurait fait avec l'Angleterre.

» Bien plus, il désira que des représentations semblables fussent adressées à la cour de Vienne par tous ses voisins, qui, quoique étrangers à la cause de la guerre, quelle que puisse être cette cause, devaient craindre d'en être les victimes.

» La conduite de la cour de Vienne affaiblissait chaque jour l'espérance. Loin de cesser ses préparatifs, elle les augmentait; elle effrayait par ses armemens les peuples de la Bavière et de la Souabe; elle faisait craindre à ceux de l'Helvétie de se voir ravir le repos que l'acte de médiation leur a rendu. Tous invoquaient la France comme leur appui, comme le garant de leurs droits.

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Cependant elle dissimulait encore, et, comme un gage de ses intentions pacifiques, elle offrait une sorte d'intervention

XIX.

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qu'il est difficile de caractériser, nais qui, à ne considérer que son objet apparent, pouvait être regardée comme oiseuse et puérile. L'empereur de Russie avait fait demander des passeports pour l'un de ses chambellans, qu'il était dans l'intention d'envoyer à Paris. L'empereur ignorait quelles étaient les vues du cabinet de Pétersbourg; elles ne lui furent jamais officiellement communiquées; mais, toujours prêt à saisir tout ce qui pouvait conduire à un rapprochement, il avait accordé les passe-ports, sans délai comme sans explication. Toute l'Europe sait quel était le prix de sa déférence. L'empereur apprit ensuite par des voies indirectes, et aussi par les bruits qui s'en sont répandus en Europe, que le dessein de la cour de Russie avait été d'essayer par des pourparlers de faire goûter à Paris un système de médiation fort étrange, d'après lequel elle aurait à la fois stipulé pour l'Angleterre, dont elle avait, disait-elle, les pleins pouvoirs (ce qui prouve jusqu'à quel point l'Angleterre était sûre d'elle), et négocié pour son propre compte ; de sorte que, médiatrice de nom, elle aurait été partie de fait, et à deux titres différens. Tel était le but de l'intervention que la Russie avait projetée, et à laquelle elle avait elle-mêine renoncé, sans doute parce que la réflexion lui en avait fait sentir l'inconvenance. Or c'était précisément cette même intervention que les bons offices de l'Autriche auraient eu pour objet de reproduire. Il n'était pas vraisemblable que la France se laissât placer dans une situation où ses ennemis réels, sous le doux nom de médiateurs, osaient se flatter de lui imposer une loi dure et outrageante; mais le cabinet de Vienne, sans espérer peut-être que ses bons offices pussent être acceptés, trouvait un grand avantage à les offrir, celui d'abuser plus longtemps la France, de lui faire perdre du temps et d'en gagner lui-même.

» Enfin, levant le masque, l'Autriche a, dans une réponse tardive, manifesté par son langage ce qu'elle avait annoncé par ses préparatifs; aux représentations de la France, elle a répondu par des accusations. Elle s'est faite l'apologiste de l'Angleterre; et, annonçant qu'elle ouvrait ses états à deux armées russes elle a avoué hautement le concert dans lequel elle est entrée avec la Russie en faveur de l'Angleterre.

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» Cette réponse de la cour de Vienne, pleine à la fois d'allégations injurieuses, de menaces et d'astuce, avait dû naturellement exciter l'indignation de l'empereur; mais, à travers ces injures et ces menaces, croyant entrevoir quelques idées qui semblaient permettre d'espérer qu'un arrangement serait encore possible, l'empereur fit céder sa fierté naturelle à des considérations toutes puissantes sur son cœur.

L'intérêt de ses peuples, celui de ses alliés et de l'Allemagne, qui allait devenir le théâtre de la guerre ; le désir aussi de faire quelque chose d'agréable pour un prince qui, repoussant avec une honorable constance les insinuations, les instances, les offres tant de fois réitérées de l'Angleterre et de ceux qu'elle avait séduits, s'était montré toujours prêt à concourir par ses bons offices soit au rétablissement, soit au maintien de la paix; tous ces motifs portèrent l'empereur à faire taire ses justes ressentimens. Il se détermina à demander à la cour de Vienne des explications qui fissent connaître les bases sur lesquelles on pourrait négocier. Il ordonna au ministre des relations extérieures de préparer une note à cet effet: le courrier qui devait la porter était au moment de partir lorsque l'empereur apprit l'invasion de la Bavière.

» L'électeur avait été sommé de joindre son armée à celle de l'Autriche, et comme si son refus prévu de faire cause commune avec l'Autriche, dont il n'a jamais reçu que du mal contre la France, dont il n'a jamais reçu que du bien, eût été pour la cour de Vienne un juste motif de guerre, l'armée autrichienne, sans déclaration préalable, au mépris des dévoirs qu'imposent à l'empereur d'Autriche sa qualité d'empereur d'Allemagne, au mépris de la constitution germanique et de l'empire germanique lui-même, au mépris enfin de tous les droits les plus saints, avait passé l'Inn, et envahi la Bavière en pleine paix.

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Après un tel acte de la cour de Vienne, l'empereur ne pouvait plus rien avoir à lui demander. Il devenait évident que ce même congrès, proposé d'un ton si impérieux, et dans des vues si visiblement hostiles contre la France, n'était qu'un nouveau piége tendu à sa bonne foi; que l'Autriche, irrévocablement décidée à la guerre, ne reviendrait point à des idées pacifiques, et qu'elle n'était même plus libre d'y revenir. Les changes de toutes les places prouvaient jusqu'à l'évidence qu'une partie des sommes accordées au ministère anglais pour servir à ses fins sur le continent était arrivée à sa destination, et la puissance qui avait ainsi trafiqué de son alliance ne pouvait plus épargner le sang de ses peuples, de ses peuples, dont elle venait de recevoir le prix.

»Toute explication ultérieure avec la cour de Vienne étant ainsi devenue impossible, la voie des armes est désormais la seule compatible avec l'honneur.

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Que l'Angleterre s'applaudisse d'avoir enfin trouvé des alliés; qu'elle se réjouisse de ce que le sang va couler sur le continent; qu'elle se flatte que le sien sera épargné; qu'elle espère trouver sa sûreté dans les discordes des autres états! Sa

joie sera de courte durée; son espérance sera vaine, et le jour n'est pas éloigné où les droits des nations seront enfin vengés !

» L'empereur, obligé de repousser une agression injuste, qu'il s'est vainement efforce de prévenir, a dû suspendre l'exécution de ses premiers desseins. Il a retiré des bords de l'Océan ses vieilles bandes tant de fois victorieuses, et il marche à leur tête. Il ne posera les armes qu'après avoir obtenu satisfaction pleine et entière, et sécurité complète, tant pour ses propres états que pour ceux de ses alliés.»

MOTIFS du projet de senatus-consulte relatif à la levée de quatre-vingt mille conscrits; exposés par M. Regnault ( d'Angely ), orateur du gouvernement. (1)

« Sire, les aigles de vos armées allaient traverser les mers; les violateurs du traité d'Amiens, tourmentés par le remords, agités par la crainte, allaient être punis par votre justice; encore quelques jours, et la liberté des mers pouvait être conquise pour le monde dans le siége même de la tyrannie des mers.

» Mais voilà qu'un autre parjure appelle Votre Majesté à d'autres combats. Au mépris de la foi jurée à Lunéville, l'empereur d'Allemagne menace l'Empire français ; il fait marcher contre vos frontières ses propres troupes, et des troupes russes, débris de celles que Votre Majesté a vaincues ou renvoyées sans rançon, recrutées par des hommes sans patrie, et payées par les subsides de l'Angleterre.

» Votre armée, Sire, formée des mêmes légions qui ont vaincu les Autrichiens et les Russes, complétée par des citoyens français pris dans toutes les classes comme dans toutes les parties de l'Empire, votre armée, dont la composition accroît la force, dont le dévouement à votre personne double l'énergie ; votre armée, qui sait sentir et penser comme elle sait se battre, dont l'indignation augmenterait la valeur s'il était possible; votre armée suffit pour combattre et vaincre; et la diversion si chèrement payée par l'Angleterre n'aura fait que retarder son humiliation et changer le champ de vos premiers triomphes.

» Mais si, se préparant d'un côté à combattre la Grande

(1) La proposition de mettre la conscription de 1806 à la disposition du gouvernement avait été faite à l'empereur par le ministre de la guerre, M. Berthier; M. Daru avait été immédiatement chargé d'en faire un rapport au Conseil d'état. Les motifs exposés par M Regnault sont puisés dans les rapports de MM. Berthier et Daru. Ce dernier était conseiller d'état depuis le mois de messidor an 13.

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