Page images
PDF
EPUB

Bretagne, et se confiant de l'autre dans la fidélité de ses alliés ; se reposant peut-être sur le sentiment éclairé de leurs intérêts, qui leur conseillait du moins la neutralité, Votre Majesté n'a pas grossi son armée, et n'en a pas préparé par des levées extraordinaires le recrutement complet et successif, d'autres circonstances commandent d'autres mesures.

» Dans les années qui ont suivi la paix, comme dans les années qui ont suivi la guerre, Votre Majesté n'a appelé aux drapeaux que la même quantité de conscrits; elle a voulu laisser le plus grand nombre d'hommes possible à l'agriculture et aux arts aujourd'hui, Sire, votre sagesse veut que la jeunesse française se prépare à payer à la patrie sa dette tout entière, et même avant l'époque où elle en réclamait l'acquitte

ment.

» Les orateurs de votre conseil demandent par votre ordre aux sages de l'Empire d'armer le génie d'une partie plus considérable de la force de la nation, et d'ordonner pour l'an 1806 une levée de quatre-vingt mille conscrits.

» Plusieurs raisons ont porté Votre Ma.esté à Sénat devait décréter cette mesure.

J

penser que le

» La levée de la conscription a été à la vérité ordonnée jusqu'à ce jour par des actes du Corps législatif.

» La proposition qui est déférée au Sénat n'intervertira pas l'ordre, ne détruira pas l'usage suivi jusqu'à présent; elle y formera seulement une exception que les circonstances justifient.

» Et d'abord, quand Sa Majesté s'éloigne pour mener ellemême, ses légions à la victoire, sa prudence lui prescrit de préparer, d'assurer avant de quitter le centre de l'Empire tous les moyens de succès que sa sagesse a conçus; les délais nécessaires à la convocation du Corps législatif retarderaient des mesures auxquelles l'intervention du Sénat garantit une célérité devenue nécessaire.

» Secondement, le changement de calendrier prolonge l'exercice de l'an 14, qui sera le même que celui de 1806, jusqu'au 1er janvier 1807, et il sera composé de quinze mois. Il en résulte le besoin d'un changement dans l'époque de la conscription de l'an 15.

» En suivant la règle de division de l'année à laquelle la France vient de renoncer, cette conscription ne devrait comprendre que les jeunes gens qui auront atteint, le 22 septembre 1805, dernier jour de l'an 14, l'âge de vingt ans.

» Pour régulariser cette partie comme les autres branches d'administration publique, la conscription de l'an 14, ou 1806, doit enfin comprendre les jeunes gens qui auront vingt aus

du 23 septembre 1806 au 31 décembre de la même année, afin que cette levée s'opère sur les conscrits de quinze mois, et que la levée suivante puisse compter du 31 décembre 1806 au 31 décembre 1807, et ainsi de suite d'année en année.

» Votre Majesté a jugé que l'intervention du Sénat rendrait cette régularisation plus solennelle.

» Troisièmement, les conscrits se trouveront cette fois appelés avant l'âge de vingt ans, d'après ce que je viens d'exposer; et cette détermination nécessaire, mais qui, par cela même qu'elle est extraordinaire, ne doit pas être dans la législation de la conscription, doit être décrétée par le corps qui a reçu la mission de pourvoir aux cas imprévus, aux besoins urgens de l'Empire.

[ocr errors]
[ocr errors]

Quatrièmement enfin, tout ce qui touche à l'appel des conscrits de l'an 15, qui sera l'an 1806, même ce qui était du domaine de la loi, comme la confection des tableaux, sera fait par des décrets impériaux, et cette utile dérogation au droit commun doit encore être l'ouvrage du Sénat.

[ocr errors]

» Parlerai-je à présent, Sire, de la prudence qui ordonne, et du zèle qui exécutera, et du dévouement qui facilitera', et du succès qui suivra cette nouvelle levée de la jeunesse française ? Sire, Votre Majesté l'a déclaré dans son conseil; vos armées ont dès cet instant en hommes, en armes, en munitions, tous les moyens de triompher de l'attaque inopinée, de la déloyauté mal avisée de vos ennemis.

» Une ligue plus nombreuse et plus redoutable se forma naguère contre la France, et ces armées alliées', grossies, enflées comme les vagues dans la tempête, se sont brisées comme elles contre les digues que nos bataillons, dirigés et guidés par vous, leur ont opposées.

» Lesentiment aveugle et froid d'une obéissance passive menera au combat les troupes que rassemblent nos ennemis; le sentiment éclairé et brûlant de l'amour de leur patrie et de leur monarque précipitera les soldats français au milieu des périls.

» Les chefs des puissances et des armées étrangères, séparés d'intérêts entre eux, s'unissent un moment dans des traités pour se diviser ensuite sur leur exécution. D'accord dans leurs cabinets, ils le sont rarement durant la campagne, et plus rarement encore leurs généraux s'entendent sur le champ de bataille.

» En France, au contraire, aux conseils et aux armées un seul esprit unit toutes les âmes, confond tous les intérêts, associe toutes les forces, conçoit toutes les ressources, crée tous les moyens, prévoit toutes les difficultés, dispose de toutes les

affections, dirige tous les mouvemens, prépare tous les succès; 'et cet esprit se compose de l'amour, de la confiance de la nation, et du génie de son chef.

» Toutefois, Sire, Votre Majesté sait que, même à ses favoris, la fortune ne donne jamais, et que souvent elle vend chèrement la victoire père du peuple comme de l'armée, vous serez cependant forcé de payer du sang de vos enfans les triomphes auxquels vous les conduirez!

» Mais, Sire, un noble sentiment de dévouement et de patriotisme donnera au peuple comme à l'armée le courage de vouloir, d'exécuter, de réparer les sacrifices nécessaires : un brave remplacera un brave; dans les bataillons de réserve, toujours complets, Votre Majesté sera sûre de trouver constamment de quoi remplir les vides que les combats auraient laissés dans les bataillons de guerre. Les conscrits que vous appellerez le disputeront de zèle et de fidélité, d'empressement et de bravoure aux vieux guerriers de vos légions.

་་་

» J'en atteste, Sire, et cette marche de votre armée des côtes de l'Océan aux rives du Rhin, cette marche presque sans séjour, durant laquelle nul soldat ne s'est éloigné de son drapeau! J'en atteste le vœu de ces conscrits désolés d'être condamnés à l'inaction d'un dépôt, et qui ont réclamé leurs places dans les rangs des combattans.

[ocr errors]

» Le peuple français, Sire, vous a remis le droit de vouloir pour lui, et sa volonté, libre, fiere, courageuse, est, comme la vôtre, de maintenir l'intégrité de son territoire, et de défendre ses intérêts, sa gloire et tous les biens qu'elle tient de Votre Majesté.

» Votre Majesté soutiendra de sa force toute puissante, de l'énergie de ses regards inspirateurs, la force et l'énergie de la nation, et vous ne prononcerez, vous ne lui ferez entendre le nom de paix que quand elle sera par vous victorieuse et véngée.

» Tel est, Sire, le vœu de la France, à l'accomplissement duquel le Sénat va concourir en ordonnant la levée de quatrevingt mille guerriers, qui assureront que nos bataillons et nos escadrons seront toujours complets, toujours renouvelés jusqu'à la dernière victoire.

[ocr errors]

Quand Votre Majesté, dont la personne est infatigable comme la pensée, se fait du travail un devoir qui remplit ses jours et abrége ses nuits; quand elle va présenter aux hasards de la guerre sa tête auguste, les Français, Sire, nous en jugeons, nous en jurons d'après nos cœurs, ne disputeront que d'émulation, d'empressement, de dévouement: les regrets ne seront que pour ceux qui, soumis à d'autres devoirs ou con

damnés à suivre une autre carrière, ne peuvent aspirer à l'honneur de partager les périls et la gloire de vos braves, d'affronter les dangers avec eux, et de vaincre ou de mourir sous les yeux de Votre Majesté, pour elle et pour la patrie. » (Suivait le projet de sénatus-consulte.)

Motifs du projet de senatus-consulte relatif à la réorganisation des gardes nationales; exposés par M. de Ségur, orateur du gouvernement. (1)

"

Sire, Votre Majesté se voit contrainte d'aller chercher de nouveaux combats: elle y est forcée par l'injuste agression d'une puissance dont le trône, ébranlé par vos armes, avait été relevé par votre générosité. La passion de la jalousie fait taire la voix de l'humanité; la séduction ferme les yeux sur les leçons de l'expérience; les Autrichiens oublient Marengo. Le vainqueur voulait conserver la paix ; les vaincus redemandent la guerre. Hé bien, la guerre ne tardera pas à leur apprendre qu'une politique artificieuse ne peut tromper votre vigilance, qu'on ne brave pas en vain vos armées, qu'on expose ses propres états en attaquant ceux de nos alliés, que toute proposition contre l'honneur est une offense pour nous, et qu'un grand peuple ne reçoit jamais la loi de ses ennemis.

Mais en partant, pour exiger une juste et éclatante satisfaction, Votre Majesté a voulu prendre toutes les mesures propres à maintenir dans l'intérieur de l'Empire l'ordre et la paix; la guerre ne doit troubler que le sein des pays qui osent la recommencer contre nous. Vous avez voulu que l'armée sédentaire reprît les armes au moment où l'armée active portait les siennes loin de nos frontières; et vous nous avez chargés de présenter au Sénat un projet de senatus-consulte dont l'objet est de réorganiser la garde nationale.

» Je vais, d'après les ordres de Votre Majesté, expliquer au Sénat les dispositions de ce projet, et lui en développer les motifs.

» Sénateurs, vous venez de l'entendre! On menace la France, on envahit les états de ses alliés : l'indignation que

(1) L'idée de cette réorganisation des gardes nationales appartient à M. Champagny, qui la soumit à l'empereur le 1er jour complémentaire an 13. Elle devint aussitôt l'objet d'un rapport au Conseil d'état par Regnault (d'Angely). Les motifs exposés devant le Sénat par M. de Ségur sont la substance des rapports faits à l'empereur par MM, Champagny et Regnault.

vous éprouverez sera le sentiment de tous les citoyens de l'Empire. Cette attaque, injuste autant que téméraire, va réveiller avec une nouvelle force dans le cœur des Français ce dévouement au prince qui dans tous les temps enfanta tant de prodiges. L'ennemi a déjà senti ce que produisent sur nous les mots sacrés d'honneur et de patrie; bientôt nos efforts lui prouveront plus que jamais quelle est leur puissance.

» Mais si le génie qui nous gouverne vole à la victoire à la tête de nos armées, et poursuit loin de nos frontières un ennemi qu'il a déjà tant de fois forcé à la retraite, sa sagesse, qui veille à notre tranquillité intérieure, a cru devoir vous proposer la mesure la plus propre à garantir cette, tranquillité et à prévenir tous les projets hostiles que l'éloignement d'une partie de nos troupes pourrait faire naître. Sa Majesté a pensé qu'il était convenable et nécessaire de réorganiser la garde nationale.

[ocr errors]

Cette institution, dont le nom seul réveille tant de glorieux souvenirs, est encore autorisée par nos lois; elle n'est pas en activité, mais elle existe: les décrets des 7 janvier et 16 mars 1790, des 14 octobre et 3 août 1791, et du 28 prairial an 3, n'ont pas été révoqués. L'empereur lui-même a de nouveau sanctionné cette institution; il a convoqué à son couronnement les députés de toutes les gardes nationales de l'Empire il a reçu leur serment dans le champ de Mars; il leur a solennellement donné ces mêmes drapeaux qu'à sa voix ils doivent déployer aujourd'hui. Qu'ils s'arment donc ! que leur barrière imposante garnisse au besoin nos frontières, défende nos côtes, garde nos places fortes! que cette armée intérieure déconcerte tout espoir hostile! que cette force en repos apprenne à l'ennemi que la guerre n'existera que sur son sol, et qu'il tenterait vainement de la porter sur notre territoire!

» Il est d'autres devoirs aussi sacrés qu'ils ont à remplir. Tandis que leurs amis, leurs frères, leurs enfans, sous les drapeaux de l'armée active, portent au loin notre gloire, il faut que notre armée sédentaire, occupée de notre repos, veille au maintien de l'ordre et des lois, assure le respect dû à la religion et aux autorités publiques, garantisse les propriétés, protége la paix des champs, l'industrie des ateliers, la sûreté des routes, et maintienne cette prospérité qui excite à la fois et l'étonnement et l'envie de nos rivaux. Mais, sénateurs, pour recueillir tous les avantages qu'on doit attendre de cette institution salutaire, il est indispensable qu'elle reçoive une organisation nouvelle et plus parfaite; les lois qui l'ont précédemment réglée doivent subir aujourd'hui des changemens dont l'expérience a démontré la nécessité.

« PreviousContinue »