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était vraiment intéressant. Depuis deux jours la pluie tombait à sceaux; tout le monde était trempé ; le soldat n'avait point eu de distributions; il était dans la boue jusqu'aux genoux : mais la vue de l'empereur lui rendait la gaieté, et du moment qu'il apercevait des colonnes entières dans le même état, il faisait retentir le cri de vive l'empereur.

» On rapporte aussi que l'empereur répondit aux officiers qui l'entouraient, et qui admiraient comment dans le moment le plus pénible les soldats oublient toutes les privations, et ne se montrent sensibles qu'au plaisir de le voir : Ils ont raison, car c'est pour épargner leur sang que je leur fais essuyer de si grandes fatigues.

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L'empereur, lorsque l'armée occupait les hauteurs qui dominent Ulm, fit appeler le prince de Lichtenstein, général major, enfermé dans cette place, pour lui faire connaître qu'il désirait qu'elle capitulât; lui disant que s'il la prenait d'assaut il serait obligé de faire ce qu'il avait fait à Jaffa, où la garnison fut passée au fil de l'épée ; que c'était le triste droit de la guerre; qu'il voulait qu'on lui épargnât, et à la brave nation autrichienne, la nécessité d'un acte aussi effrayant ; que la place n'était pas tenable; qu'elle devait donc se rendre. Le prince insistait pour que les officiers et soldats eussent la faculté de retourner en Autriche. Je l'accorde aux officiers, et non aux soldats, a répondu l'empereur; car qui me garantira qu'on ne les fera point servir de nouveau? Puis, après avoir hésité un moment, il ajouta : Hé bien, je me fie à la parole du prince Ferdinand. S'il est dans la place, je veux lui donner une preuve de mon estime, et je lui accorde ce que vous me demandez, espérant que la cour de Vienne ne démentira pas la parole d'un de ses princes.. Sur ce que M. de Lichtenstein assura que le prince Ferdinand n'était point dans la place, alors je ne vois pas, dit l'empereur, qui peut me garantir que les soldats que je vous renverrai ne serviront pas.

» Une brigade de quatre mille hommes occupe une porte de la ville d'Ulm.

>> Dans la nuit du 24 au 25 il y a eu un ouragan terrible ; le Danube est tout à fait débordé, et a rompu la plus grande partie de ses ponts, ce qui nous gêne beaucoup pour nos subsistances.

» Dans la journée du 23 le maréchal Bernadotte a poussé ses avant-postes jusqu'à Wasserbourg et Haag, sur la chaussée de Braunau. Il a fait encore quatre à cinq cents prisonniers à l'ennemi, lui a enlevé un parc de dix-sept pièces d'artillerie de divers calibres; de sorte que depuis son entrée

à Munich, sans perdre un seul homme, le maréchal Bernadotte a pris quinze cents prisonniers, dix-neuf pièces de canon, deux cents chevaux, et un grand nombre de bagages.

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L'empereur a passé le Rhin le 9 vendémiaire; le Danube le 14, à cinq heures du matin ; le Lech le même jour, à trois heures après midi. Ses troupes sont entrées à Munich le 20. Ses avant-postes sont arrivés sur l'Inn le 23. Le même jour il était maître de Memmengen, et le 25 d'Ulm.

» Il avait pris à l'ennemi, aux combats de Wertingen, de Güntzbourg, d'Elchingen, aux journées de Memmengen et d'Ulm, et aux combats d'Albreck, de Langenau et de Neresheim, quarante mille hommes, tant infanterie que cavalerie, plus de quarante drapeaux, un très grand nombre de pièces de canon, de bagages, de voitures, etc.; et pour arriver à ces grands résultats il n'avait fallu que des marches et des

manœuvres.

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>> Dans ces combats partiels les pertes de l'armée française ne se montent qu'à cinq cents morts et à mille blessés ; aussi le soldat dit-il souvent: l'empereur a trouvé une nouvelle méthode de faire la guerre ; il ne se sert que de nos jambes, et pas de nos baionnettes. Les cinq sixièmes de l'armée n'ont pas tiré un coup de fusil, ce dont ils s'affligent; mais tous ont beaucoup marché, et ils redoublent de célérité quand ils ont l'espoir d'atteindre l'ennemi.

» On peut faire en deux mots l'éloge de l'armée ; elle est digne de son chef.

»On doit considérer l'armée autrichienne comme anéantie. Les Autrichiens et les Russes seront obligés de faire beaucoup d'appels de recrues pour résister à l'armée française, qui est venue à bout d'une armée de cent mille hommes sans éprouver pour ainsi dire aucune perte. (Suivait la capitulation d'Ulm, dont la garnison, prisonniere, était de trente-six mille hommes, avec soixante pièces de canon )

Au milieu des acclamations qui s'élèvent à la lecture du me ssage de l'empereur et du bulletin de la grande armée, la proposition est faite et adoptée de rédiger, séance tenante, une adresse à S, M., qui lui sera portée dans son camp par une députation des membres du Sénat. La rédaction de cette adresse est aussitôt confiée à une commission composée de MM, Lacépède, Clément de Ris, François (de Neufchâteau), le prince Louis Bonaparte, et l'archi-chancelier de l'Empire. Après quelques minutes, sur la proposition de M. Lacepède, organe de cette commission, le Sénat adopte l'adresse qui suit. Les sénateurs chargés de la porter à l'empereur sont

MM. Colaud, Sainte-Suzanne, Monge et Garnier-Laboissière. C'est à Lintz qu'ils la lui ont présentée.

ADRESSE du Sénat à l'empereur.

« Sire, il nous semblait entendre encore Votre Majesté impériale et royale nous adresser, du haut de son trône, les paroles mémorables qui ont donné, il n'y a que peu de jours, le signal des combats; et déjà Votre Majesté a fixé le destin de la Germanie.

» Elle a paru, et les armées de l'Autriche ont été détruites ou dispersées.

» La grande nation répond par ses vives acclamations aux chants de victoire dont la grande armée fait retentir les rives du Danube, de l'Iller et de l'Iser, délivrées par les armes de Votre Majesté.

»De toutes les parties de l'Empire s'élancent de nombreuses phalanges, impatientes de combattre sous les yeux de Votre Majesté. Ces jeunes Français n'ont qu'un désir, celui d'arriver dans les camps de Votre Majesté impériale avant que tous les ennemis de la tranquillité de l'Europe n'aient disparu devant Votre Majesté.

» Le Sénat, Sire, pénétré de la nouvelle et si honorable marque de la bienveillance de Votre Majesté, vous présente l'hommage de l'admiration et de l'amour du grand peuple.

» Les trophées de votre gloire, ces témoins de la valeur des braves, que dirige la puissance irrésistible de votre génie, vont orner le lieu de nos séances; ils y attesteront à la postérité vos merveilleux triomphes, et la reconnaissance des Français. Il faudra bien des monumens, Sire, pour que l'histoire puisse rendre croyables les prodiges que vous opérez !

» Le Sénat tout entier voudrait aller vous exprimer tous les sentimens qui l'animent. Un devoir sacré peut seul le retenir loin de Votre Majesté son respect, son dévouement et ses vœux vous suivront partout où la gloire conduira vos légions victorieuses. »

DIRE de Napoléon aux généraux autrichiens. PROCLAMATION aux soldats de la grande armée.

Le sixième bulletin était daté du 26 vendémiaire; le neuvième l'était du 29: une victoire par jour. C'est dans le neuvième que l'on trouve le passage suivant :

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L'empereur a dit, aux généraux autrichiens qu'il avait appelés près de lui pendant que l'armée ennemie défilait :

« Messieurs, votre maître me fait une guerre injuste. Je » vous le dis franchement, je ne sais point pourquoi je me >> bats; je ne sais ce qu'on veut de moi.

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» Ce n'est pas dans cette seule armée que consistent mes ressources. Cela serait-il vrai, mon armée et moi ferions bien du » chemin. Mais j'en appelle au rapport de vos propres prisonniers, qui vont bientôt traverser la France; ils verront quel esprit anime mon peuple, et avec quel empressement il » viendra se ranger sous mes drapeaux. Voilà l'avantage de ma » nation et de ma position. Avec un mot, deux cent mille » hommes de bonne volonté accourront près de moi, et en » six semaines seront de bons soldats; au lieu que vos recrues ne marcheront que par force, et ne pourront qu'après plusieurs années faire des soldats.

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»Je donne encore un conseil à mon frère l'empereur d'Alle» magne; qu'il se hâte de faire la paix. C'est le inoment de se rappeler que tous les empires ont un terme : l'idée

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que la >> fin de la dynastie de la maison de Lorraine serait arrivée doit l'effrayer. Je ne veux rien sur le continent; ce sont des vais»seaux, des colonies, du commerce que je veux, et cela vous » est avantageux comme à nous. » (M. Mack a répondu que l'empereur d'Allemagne n'aurait pas voulu la guerre, mais qu'il y avait été forcé par la Russie.) «En ce cas, a repris »l'empereur, vous n'êtes donc plus une puissance! »

PROCLAMATION.

Du quartier général impérial d'Elchingen, le 29 vendémiaire an 14.

« Soldats de la grande armée, en quinze jours nous avons fait une campagne. Ce que nous nous proposions est rempli : nous avons chassé les troupes de la maison d'Autriche de la Bavière, et rétabli notre allié dans la souveraineté de ses états. Cette armée, qui, avec autant d'ostentation que d'imprudence, était venue se placer sur nos frontières, est anéantie. Mais qu'importe à l'Angleterre ? Son but est rempli; nous ne sommes plus à Boulogne, et son subside ne sera ni plus ni moins grand.

>> De cent mille hommes qui composaient cette armée, soixante mille sont prisonniers : ils iront remplacer nos conscrits dans les travaux de nos campagnes. Deux cents pièces de canon, tout le parc, quatre-vingt-dix drapeaux, tous les généraux sont en notre pouvoir; il ne s'est pas échappé de cette armée quinze mille hommes. Soldats, je vous avais annoncé une grande bataille; mais, grâce aux mauvaises combinaisons de l'ennemi, j'ai pu obtenir les mêmes succès sans courir aucune chance; et, ce qui est sans exemple dans l'histoire des nations, un aussi grand résultat ne nous affaiblit pas de plus de quinze cents hommes hors de combat.

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Soldats, ce succès est dû à votre confiance sans borne dans votre empereur, à votre patience à supporter les fatigues et les privations de toute espèce, à votre rare intrépidité.

» Mais nous ne nous arrêterons pas là; vous êtes impatiens de commencer une seconde campagne. Cette armée russe que l'or de l'Angleterre a transportée des extrémités de l'univers, nous allons lui faire éprouver le même sort.

» A ce combat est attaché plus spécialement l'honneur de l'infanterie; c'est là que va se décider pour la seconde fois cette question qui l'a déjà été en Suisse et en Hollande, si l'infanterie française est la seconde ou la première de l'Europe. Il n'y a point là de généraux contre lesquels je puisse avoir de la gloire à acquérir; tout mon soin sera d'obtenir la victoire avec le moins possible d'effusion de sang: mes soldats sont mes enfans. Signé NAPOLÉON. »

<< NAPOLÉON, etc.

De mon camp impérial d'Elchingen, le 29 vendémiaire an 14.

>> Considérant que la grande armée a obtenu par son courage et son dévouement des résultats qui ne devaient être espérés qu'après une campagne ;

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