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la veille il avait confié la garde de cette belle position au dixseptième régiment d'infanterie légère, et certes elle ne pouvait être gardée par de meilleures troupes. La division du général Suchet formait la gauche du maréchal Lannes; celle du général Caffarelli formait sa droite, qui était appuyée sur la cavalerie du prince Murat. Celle-ci avait devant elle les hussards et chasseurs sous les ordres du général Kellermann, et les divisions de dragons Walther et Beaumont, et en réserve les divisions de cuirassiers des généraux Nansouty et d'Haupoult, avec vingt-quatre pièces d'artillerie légère.

» Le maréchal Bernadotte, c'est à dire le centre, avait à sa gauche la division du général Rivaud, appuyée à la droite du prince Murat, et à sa droite la division du général Drouet.

» Le maréchal Soult, qui commandait la droite de l'armée, avait à sa gauche la division du général Vandamme; au centre la division du général Saint-Hilaire, à sa droite la division du général Legrand.

» Le maréchal Davoust était détaché sur la droite du général Legrand, qui gardait les débouchés des Etangs, et des vil lages de Sokolnitz et de Celnitz. Il avait avec lui la division Friand et les dragons de la division du général Bourcier. La division du général Gudin devait se mettre de grand matin en marche de Nicolsburg pour contenir le corps ennemi qui aurait pu déborder la droite.

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L'empereur, avec son fidèle compagnon de guerre le maréchal Berthier, son premier aide-de-camp le colonel général Junot, et tout son état major, se trouvait en réserve avec les dix bataillons de sa garde et les dix bataillons de grenadiers du général Oudinot, dont le général Duroc commandait une partie.

>> Cette réserve était rangée sur deux lignes en colonnes par bataillon, à distance de déploiement, ayant dans les intervalles quarante pièces de canon servies par les canonniers de la garde. C'est avec cette réserve que l'empereur avait le projet de se précipiter partout où il eût été nécessaire. On peut dire que cette réserve seule valait une armée.

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» A une heure du matin l'empereur monta à cheval pour parcourir ses postes, reconnaître les feux des bivouacs de l'ennemi, et se faire rendre compte par les grandes gardes de ce qu'elles avaient pu entendre des mouvemens des Russes. Il apprit qu'ils avaient passé la nuit dans l'ivresse et des cris tumultueux, et qu'un corps d'infanterie russe s'était présenté au village de Sokolnitz, occupé par un régiment de la division du général Legrand, qui reçut ordre de le renforcer.

» Le 11 frimaire le jour parut enfin. Le soleil se leva radieux;

et cet anniversaire du couronnement de l'empereur, où allait se passer un des plus beaux faits d'armes du siècle fut une des plus belles journées de l'autoinne.

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» Cette bataille, que les soldats s'obstinent à appeler la Journée des trois empereurs, que d'autres appellent la Journée de l'anniversaire, et que l'empereur a nommée la Bataille d'Austerlitz sera à jamais mémorable dans les fastes de la grande nation.

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L'empereur, entouré de tous les maréchaux, attendait pour donner ses derniers ordres que l'horizon fût bien éclairci. Aux premiers rayons du soleil les ordres furent donnés, et chaque maréchal rejoignit son corps au grand galop.

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L'empereur dit en passant sur le front de bandière de plusieurs régimens: Soldats, il faut finir cette campagne par un coup de tonnerre qui confonde l'orgueil de nos ennemis. Et aussitôt les chapeaux au bout des baïonnettes et des cris de vive l'empereur furent le véritable signal du combat. Un iustant après la canonnade se fit entendre à l'extrémité de la droite, que l'avant-garde ennemie avait déjà débordée ; mais la rencontre imprévue du maréchal Davoust arrêta l'ennemi tout court, et le combat s'engagea.

» Le maréchal Soult s'ébranle au même instant, se dirige sur les hauteurs du village de Pratzen avec les divisions des généraux Vandamme et Saint-Hilaire, et coupe entièrement la droite de l'ennemi, dont tous les mouvemens devinrent incertains. Surprise par une marche de flanc pendant qu'elle fuyait, se croyant attaquante et se voyant attaquée, elle se regarde comme à demi battue.

» Le prince Murat s'ébranle avec sa cavalerie. La gauche, commandée par le maréchal Lannes, marche en échelons par régimens, comme à l'exercice. Une canonnade épouvantable s'engage sur toute la ligne; deux cents pièces de canon et près de deux cent mille hommes faisaient un bruit affreux : c'était un véritable combat de géans. Il n'y avait pas une heure qu'on se battait, et toute la gauche de l'ennemi était coupée. Sa droite se trouvait déjà arrivée à Austerlitz, quartier général des deux empereurs, qui durent faire marcher sur le champ la garde de l'empereur de Russie pour tâcher de rétablir la communication du centre avec la gauche. Un bataillon du quatrième de ligne fut chargé par la garde impériale russe à cheval, et culbuté; mais l'empereur n'était pas loin ; il s'aperçut de ce mouvement; il ordonna au maréchal Bessières de se porter au secours de sa droite avec ses invincibles, et bientôt les deux gardes furent aux mains.

Le succès ne pouvait être douteux; dans un moment la

garde russe fut en déroute: colonel, artillerie, étendards, tout fut enlevé. Le régiment du grand-duc Constantin fut écrasé; lui-même ne dut son salut qu'à la vitesse de son cheval.

» Des hauteurs d'Austerlitz les deux empereurs virent la défaite de toute la garde russe. Au même moment le centre de l'armée, commandé par le général Bernadotte, s'avança; trois de ses régimens soutinrent une très belle charge de cavalerie. La gauche, commandée par le maréchal Lannes, donna plusieurs fois. Toutes les charges furent victorieuses. La division du général Caffarelli s'est distinguée. Les divisions de cuirassiers se sont emparées des batteries de l'ennemi. A une heure après midi la victoire était décidée; elle n'avait pas été un moment douteuse. Pas un homme de la réserve n'avait été nécessaire, et n'avait donné nulle part. La canonnade ne se soutenait plus qu'à notre droite. Le corps ennemi, qui avait été cerué et chassé de toutes ses hauteurs, se trouvait dans un bas-fond et acculé à un lac. L'empereur s'y porta avec vingt pièces de canon. Ce corps fut chassé de position an position, et l'on vit un spectacle horrible, tel qu'on l'avait vu & Aboukir; vingt mille hommes se jetant dans l'eau et se noyant dans les lacs.

» Deux colonnes, chacune de quatre mille Russes, mettent bas les armes et se rendent prisonnières; tout le parc ennemi est pris. Les résultats de cette journée sont quarante drapeaux russes, parmi lesquels sont les étendards de la garde impériale; un nombre considérable de prisonniers : l'état-major ne les connaît pas encore tous; on avait déjà la note de vingt mille douze ou quinze généraux; au moins quinze mille Russes tués, restés sur le champ de bataille. Quoiqu'on n'ait pas encore les rapports, on peut au premier coup d'œil évaluer notre perte à huit cents hommes tués, et à quinze ou seize cents blessés. Cela n'étonnera pas les militaires, qui savent que ce n'est que dans la déroute qu'on perd des hommes, et nul autre corps que le bataillon du quatrième n'a été rompu. Parmi les blessés sont le général Saint-Hilaire, qui, blessé au commencement de l'action, est resté toute la journée sur le champ de bataille: il s'est couvert de gloire : les généraux de division Kellermann et Walther, les généraux de brigade Valhubert, Thiebaud, Sebastiani, Compan et Rapp, aidede-camp de l'empereur : c'est ce dernier qui, en chargeant à la tête des grenadiers de la garde, a pris le prince Repuin, commandant les chevaliers de la garde impériale de Russie. Quant aux hommes qui se sont distingués, c'est toute l'armée, qui s'est couverte de gloire; elle a constamment chargé aux cri.

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de vive l'empereur! et l'idée de célébrer si glorieusement l'anniversaire du couronnement animait encore le soldat.

» L'armée française, quoique nombreuse et belle, était moins nombreuse que l'armée ennemie, qui était forte de cent cinq mille hommes, dont quatre-vingt mille Russes et vingt-cinq mille Autrichiens. La moitié de cette armée est détruite; le reste a été mis en déroute complète, et la plus grande partie a jeté ses armes.

» Cette journée coûtera des larmes de sang à St.-Pétersbourg. Puisse-t-elle y faire rejeter avec indignation l'or de l'Angleterre! et puisse ce jeune prince, que tant de vertus appelaient à être le père de ses sujets, s'arracher à l'influen e de ces trente freluquets que l'Angleterre solde, et dont les impertinences obscurcissent ses intentions, lui font perdre l'amour de ses soldats, et le jettent dans les opérations les plus erronées ! La nature, en le douant de si grandes qualités, l'avait appelé à être le consolateur de l'Europe: des conseils perfides, en le rendant l'auxiliaire de l'Angleterre, le placeront dans l'histoire au rang des hommes qui, en perpétuant la guerre sur le continent, auront consolidé la tyrannie britannique sur les mers, et fait le malheur de notre génération. Si la France ne peut arriver à la paix qu'aux conditions que l'aide-de-camp Dolgorouki a proposées à l'empereur, et que M. Novozilzof avait été chargé de porter, la Russie ne les obtiendrait pas quand même son armée serait campée sur les hauteurs de Montmartre.

» Dans une relation plus détaillée de cette bataille, l'état-` major fera connaître ce que chaque corps, chaque officier, chaque général ont fait pour illustrer le nom français, et donner un témoignage de leur amour à leur empereur

Le 12, à la pointe du jour, le prince Jean de Lichtenstein, commandant l'armée autrichienne, est venu trouver l'empereur à son quartier général, établi dans une grange. Il en a eu une longue audience. Cependant nous poursuivons nos succès. L'ennemi s'est retiré sur le chemin d'Austerlitz à Godding. Dans cette retraite il prête le flanc; l'armée française est déjà sur ses derrières, et le suit l'épée dans les reins.

» Jamais champ de bataille ne fut plus horrible. Du milieu de lacs immenses on entend encore les cris de milliers d'hommes qu'on ne peut secourir. Il faudra trois jours pour que tous les blessés ennemis soient évacués sur Brunn. Le cœur saigne. Puisse tant de sang versé, puisse tant de malheurs retomber enfin sur les perfides insulaires qui en sont la cause! puisse les lâches olygarques de Londres porter la peine de tant de

inaux ! »

PROCLAMATION.

Austerlitz, le 12 frimaire an 14.

«Soldats, je suis content de vous! Vous avez à la journée d'Austerlitz justifié tout ce que j'attendais de votre intrépidité. Vous avez décoré vos aigles d'une immortelle gloire. Une armée de cent mille hommes, commandée par les empereurs de Russie et d'Autriche, a été en moins de quatre heures ou coupée ou dispersée; ce qui a échappé à votre fer s'est noyé dans les lacs.

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Quarante drapeaux, les étendards de la garde impériale de Russie, cent vingt pièces de canon, vingt généraux, plus de trente mille prisonniers, sont le résultat de cette journée à jamais célèbre. Cette infanterie tant vantée, et en nombre supérieur, n'a pu résister à votre choc, et désormais vous n'avez plus de rivaux à redouter. Ainsi en deux mois cette troisième coalition a été vaincue et dissoute! La paix ne peut plus être éloignée; mais, comme je l'ai promis à mon peuple, avant de repasser le Rhin je ne ferai qu'une paix qui nous donne des garanties, et assure des récompenses à nos alliés. Soldats, lorsque le peuple français plaça sur ma tête la couronne impériale, je me confiai à vous pour la maintenir toujours dans ce haut éclat de gloire qui seul pouvait lui donner du prix à mes yeux; mais dans le même moment nos ennemis pensaient à la détruire et à l'avilir; et cette couronne de fer, conquise par le sang de tant de Français, ils voulaient m'obliger à la placer sur la tête de nos plus cruels ennemis : projets téméraires et insensés, que le jour même de l'anniversaire du couronnement de votre empereur vous avez anéantis et confondus! Vous leur avez appris qu'il est plus facile de nous braver et de nous menacer que de nous vaincre. » Soldats, lorsque tout ce qui est nécessaire pour assurer le bonheur et la prospérité de notre patrie sera accompli, je vous ramenerai en France. Là vous serez l'objet de mes plus tendres sollicitudes. Mon peuple vous reverra avec joie, et il vous suffira de dire : J'étais à la bataille d'Austerlitz, pour que l'on réponde: Voilà un brave! -Signé NAPOLÉON. »

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Dans la journée du 13 Napoléon reçut à son bivouac l'empereur d'Allemagne. L'entrevue dura deux heures. `Je vous reçois dans le seul palais que j'habite depuis deux mois, dit Napoléon à l'empereur d'Autriche en le faisant approcher du feu. Vous tirez si bien parti de cette habitation qu'elle doit vous plaire, répondit le monarque vaincu. Dans la conversation Napoléon lui reprocha sa faiblesse pour les agens du cabinet anglais, et il ajouta : M. et Mad. Colloredo

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