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MM. Paget et Rasumowski ne font qu'un avec votre ministre Cobentzel. Voilà la vraie cause de la guerre ; et si Votre Majesté continue à se livrer à ces intrigans, elle ruinera toutes ses affaires et s'aliénera le cœur de ses sujets; elle cependant qui a tant de qualités pour être heureuse et aimée! L'empereur d'Allemagne ne cacha

point le mépris que lui inspirait la conduite de l'Angleterre : Les Anglais, s'écria-t-il, ce sont des marchands qui mettent le feu au continent pour s'assurer le commerce du monde... Il n'y a point de doute, dans sa querelle avec l'Angleterre la France a raison. — Un armistice et les principales conditions de la paix furent convenus entre les deux monarques,

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L'empereur d'Allemagne, en informant Napoléon que l'empereur de Russie voulait faire sa paix séparément, qu'il abandonnait également les affaires de l'Angleterre, et n'y prenait plus aucun intérêt, demandait qu'en attendant cette paix une trève fût aussi accordée aux restes de l'armée russe. Napoléon lui fit observer que les Russes étaient cernés, que pas un ne pourrait échapper.,.. Cependant, reprit-il, je désire faire une chose agréable à l'empereur Alexandre ; je laisserai passer l'armée russe ; j'arrêterai la marche de mes colonnes. Mais Votre Majesté me promet que cette armée retournera en Russie... C'est l'intention de l'empereur Alexandre, répliqua le monarque autrichien; et il se retira accompagné jusqu'à sa voiture par Napoléon, qui se fit présenter les princes de Lichtenstein et le général de Schwartzenberg: c'est du prince Jean de Lichtenstein dont il faisait surtout le plus grand cas. En revenant à son bivouaç Napoléon disait: Comment, lorsqu'on a des hommes d'aussi grande distinction, laisse-t-on mener ses affaires par des sots et des intrigans! On l'entendit répéter plusieurs fois, lorsqu'on lui parlait de M. de Cobentzel :- Je ne veux rien de commun avec cet homme qui s'est vendu à l'Angleterre pour payer ses dettes, et qui a ruiné son maître et sa nation en suivant les conseils de sa sœur et de Mad. Colloredo.

Napoléon disait encore dans son bivouac, en se rappelant ce qu'il venait de promettre à l'empereur d'Allemagne : Cet homme me fait faire une faute, car j'aurais pu suivre ma victoire, et prendre toute l'armée russe et autrichienne; mais enfin quelques larmes de moins seront versées.

En effet, le général Savary, aide-de-camp de Napoléon, qui avait accompagné l'empereur d'Allemagne après l'entrevue pour savoir les intentions de l'empereur Alexandre, trouva les débris de l'armée russe dans un épouvantable désordre; ainsi que Napoléon l'avait avancé, pas un homme n'aurait pu échapper. Aussitôt que l'empereur Alexandre aperçut l'aide-de-camp de Napoléon il lui cria :Dites à votre maître que je m'en vais ; qu'il a fait hier des miracles;

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que cette journée a accru mon admiration pour lui; que c'est un prédestiné du ciel; qu'il faut à mon armée cent ans pour égaler la sienne. Mais puis-je me retirer avec sûreté? · Oui, Sire, répondit le général Savary, si Votre Majesté ratifie ce que les deux empereurs de France et d'Allemagne ont arrêté dans leur entrevue. Et qu'est-ce? Que l'armée de Votre Majesté se retirera chez elle par les journées d'étape qui seront réglées par l'empereur, et qu'elle évacuera l'Allemagne et la Pologne autrichienne, A cette condition j'ai l'ordre de l'empereur de me rendre à nos avant-postes, qui vous ont déjà tourné, et d'y donner ses ordres pour protéger votre retraite, l'empereur voulant respecter l'ami du premier consul. Quelle garantie faut-il pour cela? — Sire, votre parole. — Je vous la donne. L'empereur Alexandre s'entretint quelques momens sur la journée du 11 avec le général Savary : Vous étiez inférieurs à moi, lui dit-il, et cependant vous étiez supérieurs sur tous les points d'attaque. Sire, c'est l'art de la guerre, et le fruit de quinze ans de gloire : c'est la quarantième bataille que donne l'empereur, Cela est vrai; c'est un grand homme de guerre. Pour moi c'est la première fois que je vois le feu. Je n'ai jamais eu la prétention de me mesurer avec lui... Je m'en vais donc dans ma capitale. J'étais venu au secours de l'empereur d'Allemagne : il m'a fait dire qu'il est content; je le suis aussi. — (1)

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Napoléon, qui dans un autre temps avait renvoyé, tout habillés et rééquipés, six mille hommes à l'empereur Paul, voulut encore essayer de se gagner la Russie par un acte de générosité. Il appela le prince Repnin, fait prisonnier à la tête des chevaliers-gardes, dont il était le colonel, et lui dit : Je ne veux pas priver l'empereur Alexandre d'aussi braves gens; vous pouvez réunir tous les prisonniers de sa garde impériale, et retourner avec eux en Russie.

L'armistice entre les armées française et autrichienne fut conclu à Austerlitz même, le 15 frimaire, par le maréchal Berthier pour Napoléon, et le lieutenant général prince Jean de Lichtenstein pour l'empereur d'Allemagne. Ce même prince entra immédiatement en conférences pour la paix avec le ministre des relations cxtérieures de France, M. de Talleyrand.

Le 20 frimaire Napoléon écrivit en ces termes au cardinal archcvêque de Paris ;

« Mon cousin, nous avons pris quarante-cinq drapeaux sur nos ennemis le jour de l'anniversaire de notre couronnement,

(1) Ces différens détails sont consignés dans le trente-unième bulletin de la grande armée.

de ce jour où le Saint-Père, ses cardinaux et tout le clergé de France firent des prières dans le sanctuaire de Notre-Dame pour la prospérité de notre règne. Nous avons résolu de déposer lesdits drapeaux dans l'église de Notre-Dame, métropole de notre bonne ville de Paris. Nous avons ordonné en conséquence qu'ils vous soient adressés, pour la garde en être confiée à votre Chapitre métropolitain. Notre intention est que tous les ans audit jour un office solennel sot chanté dans ladite métropole, en mémoire des braves morts pour la patrie dans cette grande journée, lequel office sera suivi d'actious de grâces pour la victoire qu'il a plu au Dieu des armées de nous accorder. Cette lettre n'étant pas à une autre fip, nous prions Dieu qu'il vous ait, mon cousin, en sa sainte et digne garde.

>>

De son camp impérial d'Austerlitz, Napoléon décréta, entr'autres dispositions : « Les veuves des généraux morts à la » bataille d'Austerlitz jouiront d'une pension de six mille franes >> leur vie durant; les veuves des colonels et des majors, d'une pen»sion de deux mille quatre cents francs; les veuves des capitaines, » d'une pension de douze cents francs; les veuves des lieutenans et » sous-lieutenans d'une pension de huit cents francs; les veuves des » soldats, d'une pension de deux cents francs. Napoléon, etc. >> Nous adoptons tous les enfans des généraux, officiers et soldats >> français morts à la bataille d'Austerlitz. Ils seront tous entretenus » et élevés à nos frais, les garçons dans notre palais impérial de » Rambouillet, et les filles dans notre palais impérial de Saint» Germain. Les garçons seront ensuite placés et les filles mariées » par nous. Indépendamment de leurs noms de baptême et de »> famille, ils auront le droit d'y joindre celui de Napoléon. »

Dans un ordre du jour daté de Schoenbrunn, 4 nivose an 14, on lit:

« L'empereur a passé la revue, etc.

» Arrivé au premier bataillon du quatrième régiment de ligne, » qui avait été entamé à la bataille d'Austerlitz, et y avait perdu » son Aigle, l'empereur lui dit : Soldats, qu'avez-vous fait de » l'Aigle que je vous avais donnée? Vous aviez juré qu'elle vous » servirait de point de ralliement, et que vous la défendriez au péril » de votre vie; comment avez-vous tenu votre promesse ? Le major a » répondu que, le porte-drapeau ayant été tué dans une charge au >> moment de la plus forte mêlée, personne ne s'en était aperçu au » milieu de la fumée; que cependant la division avait fait un » mouvement à droite; que le bataillon avait appuyé ce mouve »ment, et que ce n'était que longtemps après que l'on s'était

» aperçu de la perte de son Aigle; que la preuve qu'il avait été » réuni, et qu'il n'avait point été rompu, c'est qu'un moment après » il avait culbuté deux bataillons russes et pris deux drapeaux, dont » il faisait hommage à l'empereur, espérant que cela mériterait qu'il » leur rendit une autre Aigle. L'empereur a été un peu incertain; » puis il a dit : Officiers et soldats, jurez-vous qu'aucun de vous ne » s'est aperçu de la perte de son Aigle, et que si vous vous en » étiez aperçu vous vous seriez précipités pour la reprendre, ou » vous auriez péri sur le champ de bataille? car un soldat qui a » perdu son drapeau a tout perdu. Au même moment mille bras se » sont élevés :- Nous le jurons! et nous jurons aussi de défendre » l'Aigle que vous nous donnerez avec la même intrépidité que nous » avons misé à prendre les deux drapeaux que nous vous présentons. » En ce cas, a dit en souriant l'empereur, je vous rendrai donc votre » Aigle.»

Les succès combinés de toutes les armées françaises avaient fait que l'armée d'Italie, commandée par le général Masséna, était devenue le huitième corps de la grande armée, qui occupait tous les états des couronnes d'Allemagne et d'Autriche; et pendant que la paix se négociait la guerre était suspendue. La trahison la ralluma sur un point: Naples avait ouvert ses ports aux Anglais pour favoriser leurs projets hostiles. « Le général Saint-Cyr marcha à grandes » journées sur Naples pour punir la trahison de la reine, et préci» piter du trône cette femme criminelle, qui avec tant d'impudeur a » violé tout ce qui est sacré parmi les hommes. On a voulu intercéder » pour elle auprès de l'empereur; il a répondu : Les hostilités dus» sent-elles recommencer, et la nation soutenir une guerre de trente » ans, une si atroce perfidie ne peut être pardonnée. La reine de » Naples a cessé de régner; ce dernier crime a rempli sa destinée. » Qu'elle aille à Londres augmenter le nombre des intrigans, et » former un comité d'encre sympathique avec Drake, Spencer» Smith, Taylor, Wickam ; elle pourra y appeler, si elle le juge » convenable, le baron d'Armfeld, MM. de Fersen, d'Antraigues, » et le moine Morus.» (Trente. septième bulletin. )

Cependant un tel ennemi ne pouvait empêcher la paix ; elle fut en effet signée le 6 nivose; et le même jour parurent les trois proclamations qui suivent :

A L'ARMÉE D'ITALIE.

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De mon camp impérial de Schonbrunn, le 6 nivose an 14.

Soldats, depuis dix ans j'ai tout fait pour sauver le roi

de Naples; il a tout fait pour se perdre.

Après la bataille de Dégo, de Mondovi, de Lodi, il ne

pouvait m'opposer qu'une faible résistance; je me fiai aux paroles de ce prince, et fus généreux envers lui.

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y a peu

Lorsque la seconde coalition fut dissoute à Marengo, le roi de Naples, qui le premier avait commencé cette injuste guerre, abandonné à Lunéville par ses alliés, resta seul et sans défense. Il m'implora ; je lui pardonnai une seconde fois. de mois vous étiez aux portes de Naples. J'avais d'assez légitimes raisons et de suspecter la trahison qui se méditait, et de venger les outrages qui m'avaient été faits. Je fus encore généreux je reconnus la neutralité de Naples; je vous ordonnai d'évacuer ce royaume; et pour la troisième fois la maison de Naples fut raffermie et sauvée.

» Pardonnerons-nous une quatrième fois ? Nous fieronsnous une quatrième fois à une cour sans foi, sans honneur, sans raison? Non! non! la dynastie de Naples a cessé de régner; son existence est incompatible avec le repos de l'Europe et l'honneur de ma couronne.

» Soldats, marchez, précipitez dans les flots, si tant est qu'ils vous attendent, ces débiles bataillons des tyrans des mers! Montrez au monde de quelle manière nous punissons les parjures! Ne tardez pas à m'apprendre que l'Italie tout entière est soumise à mes lois ou à celles de mes alliés; que le plus beau pays de la terre est affranchi du joug des hommes les plus perfides; que la sainteté des traités est vengée, et que les mânes de mes braves soldats égorgés dans les ports de Sicile, à leur retour d'Egypte, après avoir échappé aux périls des naufrages, des déserts, et de cent combats, sont enfin apaisés !

>>

Soldats, mon frère (Joseph) archera à votre tête. Il connaît mes projets; il est le dépositaire de mon autorité : il a toute ma confiance; environnez-le de toute la vôtre.

«

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Signé NAPOLÉON. »

A LA GRANDE ARMÉE. - Schænbrunn, 6 nivose an 14.

Soldats, la paix entre moi et l'empereur d'Autriche est signée. Vous avez dans cette arrière-saison fait deux campagnes; vous avez rempli tout ce que j'attendais de vous. Je vais partir pour me rendre dans ma capitale. J'ai accordé de l'avancement et des récompenses à ceux qui se sont le plus distingués ; je vous tiendrai tout ce que je vous ai promis. Vous avez vu votre empereur partager avec vous vos périls et vos fatigues; je veux aussi que vous veniez le voir entouré de la grandeur et de la splendeur qui appartiennent au souverain du premier peuple de l'univers. Je donnerai une grande fête aux

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