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et que tous les astronomes réunis seraient, en certaines circonstances, assez embarrassés pour déterminer à quel jour telle année doit commencer; ce qui a lieu quand l'équinoxe arrive tout près de minuit.

» Il n'existe encore aucun instrument, aucun moyen assez précis pour lever le doute en ces circonstances; la décision dépendrait de savoir à quelles tables astronomiques on donnerait la préférence, et ces tables changent perpétuellement.

» Ce défaut, peu sensible pour les contemporains, a les conséquences les plus graves pour la chronologie. Il pourrait toutefois se corriger avec facilité; il suffirait de supprimer l'article 3 de la loi qui a réglé ce calendrier, et d'ordonner qu'à commencer de l'an 16 les sextiles se succédassent de quatre en quatre ans, les années sextiles séculaires de quatre cents en quatre cents ans.

>> Cette correction, réclamée par les géomètres et les astronomes, avait été accueillie par Romme, l'un des principaux auteurs du calendrier; il en avait fait la matière d'un rapport et d'un projet de loi, imprimé et distribué le jour même de la mort de son auteur, et que cette raison seule a empêché d'être présenté à la Convention.

» Mais un défaut plus important du calendrier français est dans l'époque assignée pour le commencement de l'année.

» On aurait dû, pour contrarier moins nos habitudes et les usages reçus, le fixer au solstice d'hiver, ou bien à l'équinoxe du printemps, c'est à dire au passage du soleil par le point d'où tous les astronomes de tous les temps et de tous les pays ont compté les mouvemens célestes.

» On a préféré l'équinoxe d'automne pour éterniser le souvenir d'un changement qui a inquiété toute l'Europe; qui, loin d'avoir l'assentiment de tous les Français, a signalé nos discordes civiles; et c'est du nouveau calendrier qu'ont daté en même temps la gloire de nos camps et les malheurs de nos cités.

» Il n'en fallait pas davantage pour faire rejeter éternellement ce calendrier par toutes les nations rivales, et même par une partie de la nation française.

C'est la sage objection qu'on fit dans le temps, et qu'on fit en vain aux auteurs du calendrier. Vous avez, leur disait-on, l'ambition de faire adopter un jour par tous les peuples votre système des poids et mesures, et pour cela vous ménagez tous les amours-propres. Rien dans ce système ne laissera voir qu'il est l'ouvrage des Français: vous faites choixd'un module qui appartient également à toutes les nations. Hé bien, il existe en Europe et en Amérique une mesure uni

verselle, qui ne doit pas plus appartenir à une nation qu'à aucune autre, et dont toutes, presque toutes du moins, sont convenues ; c'est la mesure du temps : et vous voulez la détruire; et vous mettez à la place une ère qui a pour origine une époque particulière de votre histoire, époque qui n'est pas jugée, et sur laquelle les siècles seuls prononceront. Les Français eux-mêmes, ajoutait-on, divisés d'opinion sur l'institution que vous voulez consacrer, résisteront à l'établissement de votre calendrier; il sera repoussé par tous les peuples, qui cesseront de vous entendre, et que vous n'entendrez plus, à moins que vous n'ayez deux calendriers à la fois, ce qui est beaucoup plus incommode que de n'en avoir qu'un seul, fûtil plús mauvais encore que le calendrier nouveau.

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» Cette prédiction, messieurs, s'est accomplie; nous avons en effet deux calendriers en France. Le calendrier français n'est employé que dans les actes du gouvernement, ou dans les actes civils, publics ou particuliers qui sont réglés par les lois; dans les relations sociales le calendrier romain est resté en usage; dans l'ordre religieux il est nécessairement suivi; et la double date est ainsi constamment employée.

» Si pourtant, messieurs, ce calendrier avait la perfection qui lui manque, si les deux vices essentiels que j'ai relevés plus haut ne s'y trouvaient pas, S. M. impériale et royale ne se serait pas décidée à en proposer l'abrogation.

» Elle eût attendu du temps, qui fait triompher la raison des préjugés, la vérité de la prévention, l'utilité de la routine, l'occasion de faire adopter par toute l'Europe, par tous les peuples civilisés un meilleur système de mesure des années, comme on peut se flatter qu'ils adopteront un jour un meilleur système des mesures des espaces et des choses.

» Mais les défauts de notre calendrier ne lui permettaient pas d'aspirer à l'honneur de devenir le calendrier européen. Ses auteurs n'ont pas profité des leçons qu'après l'histoire les savans contemporains leur avaient données. Il faut, quand on veut travailler pour le monde et les siècles, oublier le jour où l'on compte, le lieu où l'on est, les hommes qui nous entourent; il faut ne consulter que la sagesse, ne céder qu'à la raison, ne voir que l'avenir.

» En méconnaissant ces principes on ne fait que montrer des institutions passagères, auxquelles l'opinion résiste, que l'habitude combat, même chez le peuple pour qui elles sont faites, et qu'au dehors la raison repousse comme une innovation sans utilité, comme une difficulté à vaincre sans bienfait à recueillir.

» Le calendrier grégorien, auquel S. M. vous propose,

messieurs, de revenir, a l'avantage inappréciable d'être commun à presque tous les peuples de l'Europe.

» Longtemps à la vérité les protestans le repoussèrent; les Anglais, en haine du culte romain, l'ont rejeté jusqu'en 1753; les Russes ne le reconnaissent pas encore : mais, tel qu'il est, il peut être regardé comme le calendrier commun de l'Europe, tandis que le nôtre nous mettait pour ainsi dire en scission avec elle, et en opposition avec nous-mêmes, puisque le calendrier grégorien était resté en concurrence avec le nouveau, puisqu'il était constamment dans nos usages et dans nos mœurs, quand le calendrier français n' n'était que dans nos lois et dans nos actes publics.

>> Dans cette position, messieurs, S. M. a cru qu'il vous appartenait de rendre à la France, pour ses actes constitutionnels, législatifs et civils, l'usage du calendrier qu'elle n'a pas cessé d'employer en concurrence avec celui qui lui fut donné en 1793, et dont l'abrogation de la division décimale avait fait disparaître les principaux avantages.

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Quand vous aurez consacré le principe, les détails d'application seront réglés suivant les besoins du gouvernement et de l'administration.

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» Un jour viendra sans doute où l'Europe, calmée, rendue à la paix, à ses conceptions utiles, à ses études savantes, sentira le besoin de perfectionner les institutions sociales de rapprocher les peuples en leur rendant ces institutions communes; où elle voudra marquer une ère mémorable manière générale et plus parfaite de mesurer le temps.

par une

» Alors un nouveau calendrier pourra se composer, pour l'Europe entière, pour l'univers politique et commerçant, des débris perfectionnés de celui auquel la France renonce en ce moment afin de ne pas s'isoler au milieu de l'Europe; alors les travaux de nos savans se trouveront préparés d'avance et le bienfait d'un système commun sera encore leur ouvrage. »

RAPPORT au Sénat sur le rétablissement du calendrier grégorien, fait par M. Laplace, au nom d'une commission spéciale. Séance du 22 fructidor

an 13.

« Sénateurs, le projet de senatus-consulte qui vous a été présenté dans la dernière séance, et sur lequel vous allez délibérer, a pour but de rétablir en France le calendrier grégorien à compter du 11 nivose prochain, 1er janvier 1806. Il ne s'agit point ici d'examiner quel est de tous les calendriers

1

par

Le

possibles le plus naturel et le plus simple; nous dirons seulement que ce n'est ni celui qu'on veut abandonner, i celui qu'on propose de reprendre : l'orateur du gouvernement vous a développé avec beaucoup de soin leurs inconvéniens et leurs avantages. principal défaut du calendrier actuel est dans son mode d'intercalation. En fixant le commencement de l'année au minuit qui précède à l'Observatoire de Paris l'équinoxe vrai d'automue, il remplit à la vérité de la manière la plus rigoureuse la condition d'attacher constamment à la même saison l'origine des années; mais alors elles cessent d'être des périodes du temps régulières et faciles à décomposer en jours, ce qui doit répandre de la confusion sur la chronologie, déjà trop embarrassée la multitude des ères. Les astronomes, pour qui ce défaut est très sensible, en ont plusieurs fois sollicité la réforme. Avant que la première bissextile s'introduisît dans le Houveau calendrier, ils proposèrent au comité d'instruction publique de la Convention nationale d'adopter une intercalation régulière, et leur demande fut accueillie favorablement. A cette époque la Convention, revenue à de bons principes, et s'occupant de l'instruction et des progrès des lumières, montrait aux savans une considération et une déférence dont ils conservent le souvenir. Ils se rappelleront toujours avec une vive reconnaissance que plusieurs de ses membres, par un noble dévouement au milieu des orages de la révolution, ont préservé d'uné destruction totale les monumens des sciences et des arts. Romme, principal auteur du nouveau calendrier, convoqua plusieurs savans; il rédigea de concert avec eux le projet d'une loi par laquelle on substituait un mode régulier d'intercalation au mode précédemment établi; mais, enveloppé peu de jours après dans un événement affreux, il perit, et son projet de loi fut abandonné. Il faudrait cependant y revenir si l'on conservait le calendrier actuel, qui changé par là dans un de ses élémens les plus essentiels, offri rait toujours l'irrégularité d'une première bissextile placée dans la troisième année.

La suppression des décades lui a fait éprouver un changement plus considérable encore. Elles donnaient la facilité de retrouver à tous les instans le quantième du mois; mais à la fin de chaque année les jours complémentaires troublaient l'ordre de choses attaché aux jours de la décade, ce qui nécessitait alors des mesures administratives. L'usage d'une petite période indépendante des mois et des années, telle que la semaine, obvie à cet inconvénient, et déjà l'on a rétabli en France cette période, qui depuis la plus haute antiquité, dans laquelle se perd son origine, circule sans interruption à

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travers les siècles en se mêlant aux calendriers successifs des différens peuples.

» Mais le plus grave inconvénient du nouveau calendrier est l'embarras qu'il produit dans nos relations extérieures, en nous isolant sous ce rapport au milieu de l'Europe; ce qui subsisterait toujours, car nous ne devons pas espérer que ce calendrier soit jamais universellement admis. Son époque est uniquement relative à notre histoire. L'instant où son année commence est placé d'une manière désavantageuse en ce qu'il partage et répartit sur deux années différentes les mêmes opérations et les mêmes travaux. Il a les inconvéniens qu'introduirait dans la vie civile le jour commençant à midi, suivant l'usage des astronomes. D'ailleurs cet instant se rapporte au seul méridien de Paris : en voyant chaque peuple compter de son principal observatoire les longitudes géographiques, peuton croire qu'ils s'accorderont tous à rapporter au nôtre le commencement de leur année ? Il a fallu deux siècles et toute l'influence de la religion pour faire adopter généralement le calendrier grégorien. C'est dans cette universalité si désirable, si difficile à obtenir, et qu'il importe de conserver lorsqu'elle est acquise, que consiste son plus grand avantage. Ce calendrier est maintenant celui de presque tous les peuples d'Europe et d'Amérique: il fut longtemps celui de la France; présentement il règle nos fêtes religieuses, et c'est d'après lui que nous comptons les siècles. Sans doute il a plusieurs défauts considérables; la longueur de ses mois est inégale et bizarre, l'origine de l'année n'y correspond à celle d'aucune des saisons; mais il remplit bien le principal objet d'un calendrier en se décomposant facilement en jours, et en conservant à très peu près le commencement de l'année moyenne à la même distance de l'équinoxe. Son mode d'intercalation est commode et simple: il se réduit, comme on sait, à intercaler une bissextile tous les quatre ans, à la supprimer à la fin de chaque siècle, pendant trois siècles consécutifs, pour la rétablir au quatrième ; et si en suivant cette analogie on supprime encore une bissextile tous les quatre mille ans, il sera fondé sur la vraie longueur de l'année. Mais dans son état actuel il faudra quarante siecles éloigner seulement d'un jour l'origine de l'année moyenne de sa véritable origine; aussi les savans français n'ont jamais cessé d'y assujettir leurs tables astronomiques, devenues par leur extrême précision la base des éphémérides de toutes les nations

éclairées.

pour

» On pourrait craindre que le retour à l'ancien calendrier ne fût bientôt suivi du rétablissement des anciennes mesures ; mais l'orateur du gouvernement a pris soin lui-même de dis

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