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valeur française, ces gages de l'honorable bienveillance de l'empereur.

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Lorsque S. M. les a confiés à des magistrats si souvent les organes du vœu de la nation, elle a pressenti que l'armée applaudirait à son choix. Fidèle à sa maxime, rien de fait tant qu'il reste quelque chose à faire, l'empereur n'a voulu enlever à aucun des vainqueurs l'avantage de combattre encore.

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» En exposant à l'admiration publique ces enseignes qui attestent les succès prodigieux de la grande armée, le Tribunat a exercé sur l'opinion l'initiative qui lui est propre ; il a pu se convaincre à son tour que si nos espérances étaient trompées nous saurions mériter par de nouveaux efforts une paix qui permît à la génération qui s'élève de jouir du fruit de tant de victoires, et la défendît contre les suggestions sans cesse renaissantes de l'ennemi du continent.

Déjà cette jeunesse bouillante se précipite en foule dans les rangs glorieux de la grande armée ! C'est ainsi que le grand peuple répond au cri de victoire de ses enfans; c'est ainsi qu'il applaudit aux propositions pacifiques du héros qui n'a voulu vaincre que pour obtenir une paix durable, seule digne de la prévoyance de son génie, de l'énergie et de la grandeur de la nation!

» Le Sénat vous voit avec beaucoup de plaisir dans son sein, messieurs, et vous invite à assister à sa séance. »

DISCOURS et proposition de M. le maréchal Pérignon.

« Ces trophées de la victoire, le prix des premiers pas de l'invincible Napoléon contre cette nouvelle coalition, sont destinés à décorer cette enceinte en témoignage de l'honorable prédilection que conserve au Sénat S. M. impériale et royale.

» C'est aujourd'hui que nous célébrons l'inauguration de ce dépôt, qui nous est remis au nom de la gloire par les mains de la sagesse et de la valeur. Pourrions-nous les recevoir sans éprouver une vive émotion! ne pas les saluer avec enthousiasme! Ils furent les augures de ces triomphes en tout genre, sans nombre comme sans exemple, qui ont rendu notre héros maître absolu des destins de la guerre, et qui assurent à la capitale de son Empire l'espoir de jouir bientôt de son heureux

retour.

» On voit en tous lieux les imaginations s'exercer pour célébrer ce retour tant désiré avec la pompe et l'éclat que la gloire lui assigne, et que notre reconnaissance et notre amour veulent lui décerner.

» Ici ce sont les hommes les plus érudits qui sont consultés ;

ailleurs on parcourt avec avidité l'histoire des siècles les plus héroïques: nulle part on n'a pu se fixer. Nulle époque en effet ne saurait être comparée à celle qui nous pénètre de tant de sentimens envers le monarque que nous brûlons de revoir, et qu'il sera si glorieux pour nous de recevoir en triomphateur. Mais quels honneurs lui rendre? J'avouerai qu'il m'est impossible de les bien indiquer; et peut-être dois-je craindre le même aveu des grands talens devant qui j'ai l'honneur de parler. Cependant, quelque difficile que soit cette tâche, nous avons à la remplir. Le Sénat, qui le premier donna le signal de porter la couronne sur la tête du grand Napoléon, sera jaloux aussi de prendre l'initiative des hommages à offrir au héros alors qu'il revient avec ses aigles intactes, victorieuses, ayant détruit les armées de l'Autriche, conquis les états de cette puissance, dompté les Russes dans une guerre commencée et finie en moins de soixante jours, et après avoir préparé par tant de prodiges les succès qui l'attendent sur ces plages isolées, seules ennemies de la paix du monde. Mais, encore un coup, quels honneurs lui rendre? Irons-nous tous en corps, à l'imitation de tout Paris sans doute, à l'imitation de tous les peuples, qui seront accourus sur ses pas, lui offrir le spectacle des larmes de joie que l'amour et l'admiration nous feront verser ? Oui, nous irons! et ces effusions si touchantes seront bien chères à notre auguste souverain; elles satisferont complétement son graud cœur : il a souvent manifesté que l'amour et le bonheur de ses peuples suffisaient à son ambition.

» Vous ne croyez pourtant pas, sénateurs, que j'entende borner à une démarche sentimentale ce que nous avons à faire dans la grande circonstance qui occupe ma pensée. Je porte mes regards sur la postérité, et sur toutes les classes de la postérité. Je sais que le burin de l'histoire, la verve des poètes, transmettront tous les faits étonnans dont nous sommes les témoins; mais l'histoire, l'ode, l'épopée, ne sont pas pour tout le monde; ces récits d'ailleurs, toujours si brillans quand le sujet est si riche, n'en paraissent que plus fabuleux : certes la crainte qu'on se refusât à les croire vrais nous ravirait la plus douce de nos espérances. Aussi, sénateurs, mes vœux seraient de porter votre prévoyance à faire qu'il n'y ait pas un seul de nos neveux à qui puisse échapper la certitude comme la connaissance des merveilles de nos jours; qui puisse ignorer le dévouement, le respect, l'admiration et l'amour qui environnent l'auteur de ces inerveilles. Le moyen de les rendre toujours présentes au souvenir de tous, de mieux les montrer à l'émulation de nos enfans, et d'appeler sur elles toute la confiance qui leur est due, c'est d'ériger, de multiplier à l'infini des monu

leurs espérances sont fixés sur un seul champ de bataille. Mais Napoléon n'a pas fait seulement les dispositions de son armée ; il semble faire encore les dispositions de l'armée ennente : il commande à ses mouvemens par ceux qu'il fait devant elle; il la fait venir où il lui convient qu'elle soit ; il la place dans des lieux où les Russes ne pourront longtemps déployer ce genre d'héroïsme qu'on leur connaît, celui de se faire tuer. Il avait vaincu les Autrichiens sans avoir eu besoin d'une seule bataille; il gagne cette décisive bataille contre les Russes sans que la victoire puisse être un seul instant incertaine et flottante. Toutes les puissances ennemies sont dans la consternation, et le monde entier dans l'étonnement.

» Ainsi triomphe toujours et partout ce rare et indomptable génie, tantôt en exaltant cet invincible courage de nos armées, qui depuis douze ans promènent leurs victoires dans l'Europe; tantôt, ce qui est sans doute le sublime de l'art et du talent, en rendant les combats même impossibles et inutiles pour ses ennemis, en leur montrant et en leur faisant avouer qu'ils sont vaincus lorsqu'ils ont vu ses plans de campagne et de bataille! Ainsi il élève bien plus haut encore la place qu'il occupait depuis longtemps parmi les premiers capitaines de tous les siècles.

Un officier français, à qui peut-être il n'a manqué pour remporter des victoires que de commander des armées, et qui, ne pouvant gagner des batailles, écrivait avec éloquence des livres qui enseignaient à vaincre ; un juge très éclairé et très sévère de tous les modèles et de tous les maîtres de son art, dans un éloge de Frédéric II, où il ne reconnaît le génie de la guerre que dans ceux qui ont préparé leurs triomphes par de nouvelles créations dans la tactique, parmi tant de généraux, de rois et d'empereurs dont les noms et les victoires fatiguent les pages de l'histoire ancienne et moderne, semble d'abord n'en apercevoir aucun qui puisse soutenir un parallèle avec son héros; il fait ensuite avancer le seul nom de César, et il croit l'élever encore en le plaçant à côté de celui de Frédéric ; devant ces deux noms tous les autres s'anéantissent à ses yeux; il ne voit plus que Frédéric et César, se donnant la main à travers le désert des siècles.

» Mais avec quel éclat de fortune et de génie Napoléon s'avance vers ce même parallèle pour l'embellir ou pour l'effacer! Comme toutes les circonstances de sa dernière campagne rendent son rapprochement avec le grand Frédéric inévitable, et le font servir au rehaussement de sa gloire! Il a les mêmes ennemis que Frédéric, et ce sont de même presque toutes les premières puissances militaires de l'Europe; il va les

chercher dans les mêmes contrées, et presque sur les mêmes champs de bataille. Mais devant Olmutz Frédéric reçoit un grand échec, et Napoléon gagne une grande victoire. Les revers et les triomphes se succèdent presque en égal nombre dans ces immortelles campagnes de Frédéric; se défendre avec succès est toute sa gloire, et ses victoires mêmes détruisent plusieurs fois ses armées. La fortune n'a point avec Napoléon de ces alternatives et de ces incertitudes; là où il commande la guerre n'a plus de hasards; la victoire ne déserte pas un seul instant les drapeaux de la France, et trois armées de nos ennemis sont dispersées ou détruites lorsque l'armée qui a combattu sous les ordres de Napoléon chante presque tout entière les victoires qu'elle a remportées. Frédéric ne fit renoncer ses ennemis à leurs espérances qu'au bout d'une guerre de sept ans: Napoléon a confondu toutes les espérances des siens dans une campagne de sept semaines. Enfin, lorsque Frédéric rentra avec la paix dans ses états, les conserver sans qu'ils eussent été entamés fut l'unique avantage de tant de sacrifices, de tant d'héroïsme, de tant de batailles; et Napoléon, en déposant le glaive, va paraître au milieu des nations de l'Europe comme l'arbitre des destinées humaines, comme celui qui ôte et donne les états aux puissances. Quels prodiges! et comme, en remplissant d'un bout de l'Occident à l'autre les imaginations éblouies, ils reculent et enfoncent pour ainsi dire dans la nuit des âges toutes les renommées historiques!

Cependant toute cette grandeur qui environne le nom de Napoléon, lorsqu'à peine il est arrivéencore à la moitié de la vie humaine, ne peut pas être l'ambition de sa vie ; il en a une bien plus digne d'un homme que ses destinées ont appelé à balancer les destinées de tant de peuples. Les monumens élevés à la seule puissance foulent la terre qui les porte sur son sein; ceux qu'on érige aux seules victoires l'embellissent trop souvent comme ces illusions qui cachent et enfantent des malheurs ; et cette vérité j'aime à la proclamer devant ces drapeaux mêmes, qui font naître tant d'autres pensées que celle de la guerre ! Quand les nations sont éclairées, la terre ne peut ni se parer que de ce qui la féconde, ni se réjouir que de ce qui prépare aux générations humaines plus de lumières, de sagesse et de bonheur. La protection accordée à ces arts utiles, unique patrimoine du pauvre qui les cultive; les encouragemens prodigués à ces beaux-arts, seules jouissances de la richesse qui soient sans excès et sans remords; tous ces bienfaits, les plus grands que les peuples aient reçus jusqu'à ce jour de la puissance, seraient même désormais pour elle des titres insuffisans et précaires à la gloire des siècles. La première place dans le cœur des hommes,

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et jusqu'à ce jour elle est restée vacante, appartient à celui qui va se servir de toutes les lumières réunies dans son esprit et de toutes les forces réunies dans ses mains pour perfectionner cet art social, le plus utile et le plus beau de tous les arts; elle appartient à celui qui fondera sa politique sur les principes de la morale universelle, qui va faire du code de la nature le code de plusieurs empires, et, comme l'éternel géomètre, n'aura pour volontés que des lois éternelles.

>> Ainsi seulement pourra s'arrêter sur ce globe, toujours arrosé de sang et de larmes, ce cercle perpétuel de révolutions où les lois sont effacées par les lois, les renommées par les renommées, et où, en changeant sans cesse de situation, l'espèce humaine passe incessamment des malheurs aux malheurs. A peu près comme dans ces doctrines que l'orgueil des savans appelait les lois de l'univers, les systèmes ont succédé aux systèmes, et les erreurs aux erreurs, jusqu'à l'époque où les Galilée, les Kepler et les Newton ont gravé devant l'esprit humain ces lois de la mécanique céleste, devenues aussi immuables dans nos sciences que dans la nature.

» Les législateurs du monde physique ont paru, et leur gloire, qui ne peut être éclipsée, ne peut même être partagée que par ceux qui confirment et qui étendent leurs découvertes. Le législateur du monde social, de son char de victoire, va se faire entendre à la terre, et la terre ne se taira point devant ce conquérant de toutes les vérités, devant le propagateur invincible de tous ces principes de l'ordre social, qui sont divins, puisqu'ils sont vrais, puisqu'ils contiennent les droits des nations et leurs prospérités; la terre retentira de bénédictions, et les siècles, qui ne peuvent recevoir un pareil bienfait qu'une seule fois, et d'un seul homme, ne se lasseront point de raconter et de se transmettre sa gloire.

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J'appuie la proposition de mon collègue M. le maréchal Pérignon. »

DISCOURS de M. le sénateur Lacépède.

"Des orateurs éloquens viennent d'exprimer des sentimens que nous éprouvons tous ; ils ont émis des vœux que chacun de nous a formés.

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Pourquoi viens-je donc, sénateurs, suspendre les effets de votre dévouement, de votre gratitude et de votre admiration?

» Une grande objection a combattu longtemps dans ina pensée le vœu qui vient de vous être présenté.

» Elle pourrait arrêter le suffrage de plusieurs de mes collègues.

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