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J'ai cru de mon devoir d'y répondre.

> On demande de toutes parts que l'on élève des monumens et que l'on prépare des pompes triomphales pour le plus grand des héros.

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Qui les a mieux mérités que Napoléon!

Mais, ajoutera-t-on, pourquoi les décerner?

Quels monumens, quels triomphes manquent à sa gloire? » Il a couvert le monde de ses trophées.

» Le Pô, le Tésin, l'Adda, le Mincio, l'Adige, le Nil, les antiques pyramides des sables brûlans de l'Egypte, les rives du Jourdain, la cité africaine qui vit triompher Alexandre et César; les Alpes, dont le passage aurait seul immortalisé Annibal et Charlemagne; les champs de Marengo, où le génie des batailles déploya toute sa puissance; et, pour ne parler que de ce petit nombre de jours dont l'empereur a fait de longs siècles de gloire, les hauteurs d'Ulm, l'Iller, le Danube, l'Iser, les monts escarpés du Tyrol, l'Inn, la Drave, la Teya, et ce plateau d'Austerlitz, illustré à jamais par le bivouac du plus grand des capitaines, ne sont-ils pas pour les prodiges de Napoléon des témoins impérissables comme la nature? Quelles pompes comparables à celles qui accompagnent ses pas !

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Depuis le moment où le Rhin a vu s'éloigner de ses rivages nos intrépides phalanges et leur chef invincible, quelles acclamations n'ont pas marqué sa marche triomphale!

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Quels vœux la Germanie méridionale, délivrée ou conquise avec la rapidité de l'éclair, n'a-t-elle pas adressés vers celui qui a fait asseoir la sainte humanité sur son char de victoire!

Ces concerts de louanges, qui de génération en génération se propageront jusques à la postérité la plus reculée ; ces cris d'amour et de joie que de toutes les parties de notre vaste Empire les Français élèvent vers leur empereur, retentissent depuis les colonnes d'Hercule jusques à ces plages hyperboréennes où expire la puissance des czars!

>> On dirait que le souverain de toutes les Russies n'a rassemblé toutes les hordes de ses déserts dans les plaines de la Moravie que pour qu'il n'y eût, ni sous l'Ourse glacée, ni vers les contrées orientales et lointaines où finit l'ancien monde, aucun point du globe qui ne montrât un témoin des exploits de Napoléon et de sa grande armée.

>> Pendant comme les éclats d'un tonnerre vengeur, que, ces chants de victoire mille fois répétés portent l'épouvante au milieu de ces fiers insulaires auxquels on veut en vain cacher l'arrêt des destinées, ils traversent les mers comme autant de

présages de paix et de prospérité, et, pénétrant jusques au fond des contrées immenses du Nouveau-Monde, partout ils font tressaillir tous les cœurs généreux et amans de la véritable gloire.

>> Le nom de Napoléon sera à jamais célébré et sous le toit hospitalier des habitans de l'Amérique, et sous la tente de l'Arabe et du Maure, et sous la cabane de l'Indien qui soupire après un libérateur, et sous les peaux sauvages que déploie le Tartare indompté près des murs fameux du vieux empire des Chinois.

Dans les régions les plus reculées son image vénérée ornera les palais des rois, embellira la retraite du sage, et, ce qui est bien plus encore, sera consacrée sous le chaume du pauvre.

» Ah! depuis que les progrès de la civilisation ont répandu sur la surface du globe les bienfaits de l'imprimerie, il n'est plus d'obstacles pour la gloire des héros.

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Ni le temps ni l'espace ne peuvent l'arrêter.

Lorsque la barbarie régnait, lors même qu'elle ne faisait encore que menacer d'envahir la terre, de quelle gloire pouvait-on dire qu'elle résisterait au temps?

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Qu'on rappelle ces ruines imposantes que le voyageur étonné rencontre au milieu des vastes forêts et des monts agrestes de la grande Tartarie; elles portent l'empreinte d'un vainqueur redoutable: on cherche son nom; il est ignoré à jamais.

Telle serait la destinée des héros sans le progrès des lumières.

" C'est maintenant que l'on peut dire que le grand homme est de tous les pays et de tous les âges.

Quelle contrée ne rappellera donc pas dans la suite des siècles Napoléon le Grand comme celui auquel on essaiera de comparer le héros que l'on voudra louer le plus!

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Quels triomphes, quels monumens peut-on maintenant demander?

» Tout est aujourd'hui superflu pour l'empereur.

» Mais tout ne l'est pas pour la France ni pour vous.

» Vous avez, sénateurs, un grand devoir à remplir.

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La nation vous demande avec impatience un signal éclatant.

» Elle a recours à votre sagesse.

>> Elle veut que vous donniez à l'ardente expression des sentimens qui l'animent et l'entraînent le sceau de la réflexion et de la durée.

» Elle demande que vous imprimiez à ses vœux un caractère sacré.

. Elle désire que du haut de ce palais une grande et solennelle acclamation se fasse entendre pour ainsi dire comme la voix de la patrie reconnaissante.

»Ne retardez pas le noble élan de la nation la plus aimante! Et quel moment pourriez-vous préférer pour ce grand acte national?

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L'auguste et digne frère du plus grand des monarques vous préside.

» Un prince grand dignitaire, les ministres, de grands officiers et de grands fonctionnaires de l'Empire siégent dans

cette enceinte.

>> Le Tribunat tout entier, rassemblé pour la première fois dans ce palais, vous environne de votre heureuse famille.

» Vous délibérez sous ces drapeaux que la bienveillance impériale et l'affection des braves ont décernés au Sénat.

»Je crois voir autour de nous la grande armée qui les a conquis, et le jour qui nous éclaire est le premier de l'année qui verra Napoléon donner la paix au monde.

» Cependant que pouvez-vous pour le peuple et pour vous? » Proclamez ce qui est. Montrez aux siècles à venir que Napoléon est, aux yeux de la France, tel que le verra l'im→ partiale postérité.

» J'émets le même vœu que les sénateurs qui m'ont précédé dans cette tribune. »

M. Lacépède propose immédiatement un projet de décret que le Sénat adopte par acclamation; il est conçu en ces termes :

« Le Sénat conservateur, réuni au nombre de membres prescrit par l'article 90 de l'Acte des Constitutions du 22

» frimaire an 8;

» Après avoir, en séance publique, procédé à la réception » et à l'inauguration des drapeaux ennemis, au nombre de cinqnante-quatre, apportés aujourd'hui au Sénat par le » Tribunat en corps, en vertu des ordres de S. M. l'empereur >> et roi ;

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» Délibérant sur les propositions qui ont été faites par plusieurs membres relativement aux moyens de consacrer » le souvenir des événemens glorieux qui ont rempli la cam»pagne de deux mois, terminée par la bataille d'Austerlitz; Décrète ce qui suit :

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» Art. 1er. Le Sénat conservateur, au nom du peuple français, consacre un monument triomphal à Napoléon le Grand.

» 2. Le Sénat en corps ira au-devant de S. M. impéria le

et royale, et lui présentera l'hominage de l'admiration, de » la reconnaissance et de l'amour du peuple français. »

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DISCOURS de M. le sénateur Chaptal.

Vous venez de voter par acclamation un monument triomphal au héros qui fait la gloire et le bonheur de l'Empire. La France entière répond au vou des pères de la patrie, et la nation s'enorgueillit de reconnaître son caractère dans les transports qui troublent si heureusement la gravité majestueuse et le calme accoutumé de vos délibérations. Lorsque les faits ont surpassé tout ce que la raison pouvait espérer, tout ce que l'imagination pouvait concevoir, tout ce que l'histoire a pu nous transmettre, le sage lui-même ne connaît plus alors que l'enthousiasme pour les célébrer.

» Au monument glorieux que votre reconnaissance élève au vengeur de l'Empire, je propose d'en ajouter un autre qui, dans sa vénérable simplicité, sera l'expression fidèle de vos sentimens, et qui renfermera un grand souvenir pour l'histo re, un grand exemple pour les princes, une grande leçon pour nos descendans.

» Mais, avant de vous en soumettre l'idée, je demande au Sénat la permission de relire la lettre qui lui fut adressée par S. M. impériale après la capitulation d'Ulm. (L'orateur en fait lecture. Voyez plus haut cette lettre, dans la séance du Sénat du 2 brumaire an 14.)

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Sénateurs, vous êtes profondément émus de ces paroles touchantes, écrites par le vainqueur sur le champ de bataille en vous envoyant les drapeaux de l'ennemi! C'est un hommage, vous dit-il, que moi et mon armée faisons aux sages de l'Empire; c'est un présent que des enfans font à leurs pères. Jamais la puissance militaire, qui fonde et protége les états, a-t-elle honoré davantage la puissance législative, qui les affermit! Aviez-vous l'idée d'un conquérant assez supérieur à la gloire des armes, surtout assez ami de l'humauité pour s'arrêter au milieu de ses triomphes, et commander à la victoire de rendre hommage à l'autorité pacifique des lois? Mais qui de vous ne connaît ici le génie du héros qui, pour imprimer à son siècle un caractère particulier, ne se borne point aux conquêtes ni aux prodiges des beaux-arts? Il veut que son règue soit celui des grandes pensées, des pensées libérales, utiles aux progrès de la raison et au bonheur des péuples.

>> Les arcs de triomphes, les statues, les chefs-d'œuvre que l'art exécute sur le marbre et sur l'airain ne sont point, disait

Pline à Trajan, les monumens les plus durables de la gloire des bons princes; le seul hommage que l'adulation même ne peut rendre qu'aux grands hommes, c'est de perpétuer le sou→ venir de leurs paroles, et de les faire entendre pour ainsi dire à la dernière postérité. La parole d'un grand homme est presque toujours le cachet de son âme, l'empreinte de son caractère, la loi de son siècle, et la leçon de l'avenir.

»

Quelques générations se sont à peine écoulées, et l'herbe a couvert cette colonne élevée dans les plaines d'Ivry à la mémoire d'un monarque vainqueur des discordes civiles et des ligues étrangères; sa statue ne frappe plus nos regards au sein de nos cités, tandis que le vœu qu'il forma pour la félicité du laboureur restera éternellement gravé dans le cœur du peuple français.

» Aimer le peuple est sans doute un sentiment commun à tous les rois mais ne jamais perdre de vue ce qui assure son repos et son bonheur; sous la tente, sur le champ de bataille, au milieu des prestiges et des séductions de la victoire, apprendre à la force ce qu'elle doit à la sagesse; rappeler aux guerriers français, vainqueurs des nations, qu'ils sont les enfans du Sénat; prévoir et prévenir l'époque lointaine où des arnées triomphantes pourraient croire qu'elles tiennent tout de la fortune; concilier et garantir la majesté du trône, les droits du souverain, l'autorité des magistrats, la gloire des armes, l'ordre, la liberté, la sécurité publique; voilà celui à qui l'empire du monde ne fera jamais perdre l'empire de lui-même ; voilà Napoléon le Grand, tel qu'il s'est montré dans sa lettre mémorable au Sénat français !

» Je demande que cette lettre, gage de tant de sentimens et de souvenirs, monument à la fois honorable pour le Sénat et glorieux pour l'armée, soit gravée sur des tables de marbre qui seront exposées dans la salle de nos séances. »>

La proposition du sénateur Chaptal est adoptée sur le champ, rédigée ainsi qu'il suit:

« Le Sénat, délibérant sur la proposition d'un de ses mem»bres, relative aux moyens de témoigner à S. M. l'empereur et roi la reconnaissance du Sénat pour le gage précieux qu'il reçoit de la bienveillance de S. M. dans les drapeaux dont elle lui a fait don;

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»Art rer. La lettre de S. M. l'empereur et roi datée d'Elchingen, le 26 vendémiaire an 14, et par laquelle S. M. fait »don au Sénat de quarante drapeaux conquis par son armée,

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