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à diriger contre les lycées au moment où ils commençaient à s'établir, perdent beaucoup de leur crédit aujourd'hui, que la plupart de ces écoles sont dans la situation la plus florissante et que les succès publics dans tous les genres d'instruction ferment la bouche à leurs détracteurs. Mais il est une espèce d'incrédules que l'évidence même ne peut pas convaincre, parce qu'ils ont intérêt à ne pas croire ce dont vous leur offrez la preuve. Tels sont ceux qui, sans mission et sans talens, se sont accoutumés à exploiter l'éducation de la jeunesse comme une propriété exclusive, et, craignant une concurrence dangereuse et une comparaison qui mettrait leur nullité au grand jour, regardent comme des ennemis personnels tous ceux qui courent la même carrière. Les lycées sont principalement en but à leur haine et à leurs calomnies : quand ils ne peuvent pas les attaquer sous le rapport de l'instruction, ils se rejettent sur la religion et sur les mœurs.

» A les en croire, ces deux bases fondamentales de l'éducation de la jeunesse sont comptées pour rien dans les écoles nouvelles; tous les reproches qu'on peut faire dans ce genre aux institutions révolutionnaires, qui sacrifièrent plus ou moins au délire du moment, ils les accumulent pour les adresser aux lycées. Heureusement le gouvernement a pris soin de leur répondre d'avance qu'ils ouvrent la loi sur les lycées, et ils verront que les devoirs religieux y sont prescrits d'une manière spéciale; que les exercices religieux, recommandés par les réglemens, sont confiés aux soins d'un aumônier attaché à chacun de ces établissemens; ils verront quelles précautions ont été prises, quelle surveillance établie pour écarter de la jeunesse tout ce qui pourrait tendre à corrompre ses mœurs, dont l'ordre et la discipline sont là, plus que partout ailleurs, une sûre garantie. On peut même assurer que sous ces deux rapports les lycées n'ont rien à envier aux anciens colléges, puisque ce qui dans ces derniers était en grande partie à la disposition des chefs, et pouvait recevoir plus ou moins d'extension de leur volonté particulière, est dans les premiers déterminé expressément par la loi, qui en a réglé la discipline.

» Les bases de l'éducation étant bien déterminées, si on ne l'envisageait que par rapport à l'individu qui la reçoit, le gouvernement pourrait l'abandonner à la sollicitude paternelle, et n'en faire que l'objet d'une surveillance générale; mais il est un autre point de vue sous lequel elle doit être considérée. C'est à elle qu'il appartient de former les fonctionnaires publics, c'est à dire les hommes dont la capacité et les lumières constituent la force des états, et dont les opinions influent d'une manière si puissante, soit en bien, soit en mal, sur toutes les

classes de la société, avec lesquelles ils sont continuellement en contact. Et par les fonctionnaires publics je n'entends pas seulement ceux auxquels le gouvernement a délégué une partie de ses pouvoirs, qui occupent les places administratives, ou qui siégent dans les tribunaux ; j'entends aussi toutes les personnes revêtues d'un caractère public: les ministres des cultes, chargés du dépôt auguste de la religion; les avocats, qui interpretent les lois; les notaires, qui rédigent les volontés des citoyens; les instituteurs de la jeunesse, auxquels l'Etat confie ses plus chères espérances.

» L'éducation de tels hommes pourrait-elle être totalement abandonnée à l'insouciance ou aux caprices des particuliers? Le gouvernement, qui connaît la nature et l'étendue des besoins de l'Etat, n'est-il pas dans l'obligation de préparer d'avance les ressorts les plus importans du corps politique ? N'est-il pas personnellement responsable des fonctionnaires qu'il admet au partage de l'autorité qui lui est confiée pour le bonheur du peuple? Et comment pourrait-il en répondre s'il était étranger à leur éducation, à leurs mœurs, à leurs connaissances, à leurs principes, et si, sur des points aussi importans, et qui peuvent seuls éclairer son choix, il était réduit à s'en rapporter à des épreuves toujours insuffisantes, ou à des informations si souvent trompeuses?

» Ainsi, messieurs, le gouvernement n'exerce pas seulement un droit, il remplit encore un devoir sacre quand il intervient dans l'éducation de la jeunesse. Mais c'est en vain qu'il marquerait la route qu'on doit suivre, s'il ne rendait encore cette route praticable et même facile; si, en ouvrant la carrière, il ne donnait en même temps les moyens de la parcourir et d'arriver au but. Le premier, le plus immanquable de ces moyens n'est-il pas l'établissement d'écoles où la capacité des maîtres, la bonté de leur méthode soit sans cesse garantie par la publicité des leçons, par le degré d'instruction dont ils auront dû faire preuve pour être déclarés capables de communiquer l'instruction à leurs éleves, par les examens qu'ils auront subis avant d'obtenir le droit d'examiner les autres? Ces écoles, soutenues par la protection spéciale et placées sous la surveillance immédiate du gouvernement, seront et indépendantes du caprice des hommes, et à l'abri du danger des systèmes et des fausses doctrines, Ces avantages sont tellement incontestables, qu'on voit tous les jours s'accroître le nombre des élèves qui suivent les écoles publiques, et qu'il n'est presque point de parens, parmi ceux qui ont reçu eux-mêmes de l'éducation, qui ne placent leurs enfans ou dans les lycées, ou dans les pensions qui suivent les lycées. Et ici,

messieurs, l'intérêt public est entièrement d'accord avec l'intérêt particulier. De quelle importance n'est-il pas en effet pour le gouvernement de voir croître et élever sous ses yeux ces jeunes plantes, l'espoir de la patrie! de les réunir dans des enceintes où leur culture soit confiée à des mains habiles et pures; où le mode d'éducation, reconnu pour le meilleur, joigne à cet avantage celui d'être uniforme pour tout l'Empire; de donner les mêmes connaissances, d'inculquer les mêmes principes à des individus qui doivent vivre dans la même société, ne faire en quelque sorte qu'un seul corps, n'avoir qu'un même esprit, et concourir au bien public par l'unanimité des sentimens et des efforts!

» Des considérations de cette importance suffiraient pour faire donner la préférence à l'éducation publique sur l'éducation particulière; et quand bien même on accorderait que celle-ci peut dans certains cas avoir des résultats avantageux, une telle question, qui peut intéresser quelques pères de famille, mérite à peine d'être agitée devant des hommes éclairés. Combien en effet trouvera-t-on de pères qui puissent faire pour leurs enfans les frais d'une telle éducation? Combien d'instituteurs pourrontils s'y adonner? Et, pour ne point faire mention du faible résultat qu'ont toujours, obtenu les essais de ce genre, ce mode ne présente-t-il pas l'inconvénient très grave d'occuper un homme tout entier à l'instruction d'un seul enfant ? Je n'envisage ici que sous le rapport politique cette question, que Quintilien et Rollin ont discutée dans le plus grand détail, et je ne développerai pas les motifs qui les ont décidés en faveur de l'éducation publique. Je ne parle ni de l'émulation, qui ne peut exister que dans les grands établissemens; ni de l'avantage d'accoutumer les jeunes élèves à une vie régulière, avantage si précieux et pour la santé et pour les mœurs ; ni de la publicité des leçons et des concours, qui donne la juste mesure du travail et du talent: ni de ces amitiés que l'on contracte dans les colléges, et qui sont souvent si utiles lorqu'on en est sorti; ni enfin du talent que déploie toujours un maître en raison du nombre de ses auditeurs.

» Ce premier point décidé, faut-il abandonuer exclusive-ment la jeunesse à ceux qui l'élèvent par spéculation, ou, si l'on veut, par goût et par zèle, mais indépendamment de la surveillance plus ou moins immédiate du gouvernement? Doiton s'en reposer uniquement sur des hommes qui peuvent, par mille motifs, s'écarter de la marche que l'Etat juge la plus utile, et qu'il a intérêt de voir généralement suivie? Non, mes sieurs, il est de la plus grande importance qu'il y ait des maisons publiques où l'on s'attache scrupuleusement à la méthode

XIX.

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consacrée par l'expérience, et qui servent de modèle et de type aux établissemens particuliers.

» ́ Je dirai plus, et ici j'en appelle à tous ceux qui ont étudié dans les établissemens anciens, il est démontré presque impossible qu'il y ait des études bonnes et complètes ailleurs que dans les grandes maisons d'éducation, telles qu'étaient autrefois les colléges, et que sont aujourd'hui les lycées et plusieurs colléges ou écoles secondaires communales. La raison en est évidente : les enfans pouvant rester dix ans, c'est à dire depuis huit ans jusqu'à dix-huit, dans une maison d'éducation, il faut qu'il y ait dans un établissement complet autant de professeurs, autant de répétiteurs particuliers que de cours; c'est à dire qu'une maison complète aurait besoin d'environ vingt personnes, tant répétiteurs que maîtres attachés à l'instruction. Mais qu'arrivet-il dans les maisons qui ne sont pas assez nombreuses pour soutenir les frais qu'exige ce nombre de maîtres, et qui ne sont pas à portée de suivre un lycée? Les mêmes maîtres font à la fois plusieurs classes, et servent en même temps de professeurs et de répétiteurs. On sent que la fatigue et l'ennui qu'entraîne une tâche aussi pénible ont pour résultat infaillible de dégoûter bientôt celui qui la remplit; aussi ne se présente-t-il le plus souvent, pour occuper de telles places, que des gens qui sont loin d'avoir et le courage et le talent qu'elles exigeraient, et que le besoin seul force à les accepter.

>> Toutefois l'inconvénient est bien plus grave encore. Le maître de pension, qui, nécessairement réduit à une certaine quantité d'élèves, les reçoit pourtant de tous les âges, et par conséquent les admet à divers degrés d'instruction, est très borné par ses moyens pour le nombre de collaborateurs qu'il peut réunir; les huit ou dix classes dont il aurait besoin sont réduites à trois ou quatre, presque toujours trop fortes ou trop faibles pour les élèves qui y sont répartis : il faut bien alors que leur esprit s'étende ou se rétrécisy, suivant le degré d'instruction qui leur est offert par une espèce de supplice analogue à celui qu'avait inventé le brigand Pro

custe.

» Je sais, et j'ai été à portée de voir que quelques instituteurs, par leur zèle, par leurs connaissances, et surtout par l'état florissant de leur maison, qui leur permettait de choisir et de multiplier leurs collaborateurs, ont obvié à une partie de ces inconvéniens. Je dois même rendre justice à un assez grand nombre de chefs d'écoles secondaires et de la capitale et des départemens, et publier hautement qu'ils n'ont négligé aucun moyen de remplir, autant qu'il était en eux, la lacune qui s'est trouvée dans l'éducation; mais je dois dire en même temps

que ce sont ceux-là mêmes qui, sentant et avouant l'insuffisance de leurs efforts, ont le plus applaudi à l'établissement des lycées, et se sont empressés d'y envoyer leurs élèves comme externes, de même qu'autrefois les meilleures pensions de Paris, celles qui avaient le titre de pension de l'Université, envoyaient aux colleges tous ceux de leurs écoliers qui étaient en état d'en suivre les classes. On ne connaisssait alors de véritable éducation que celle qui était donnée ou dans les colléges ou dans les établissemens qui y étaient attachés. Alors le charlatanisme ne pouvait pas abuser de l'ignorance des parens et par des programmes emphatiquement ridicules, et par des exercices où le maître qui interroge s'est d'avance concerté avec l'élève qui répond, et par des distributions dont tout le monde sort content, parce que le nombre des couronnes égale au moins celui des rivaux. On peut croire en général que, si l'on en excepte les pensions auxquelles leur éloignement ne permet pas de suivre les lycées, tous les établissemens qui refusent d'envoyer leurs élèves aux lycées n'en agissent ordinairement ainsi que par le sentiment de la faiblesse de leurs études, dont ils craignent que la publicité des concours ne trahisse le secret.

>> Ceux qui disent tant de mal du mode actuel d'instruction peuvent-ils donc ignorer que la méthode adoptée par les lycées se rapproche beaucoup de celle que suivait avec tant de succès l'Université de Paris pour l'enseignement des langues anciennes, telle à peu de chose près qu'elle existait il y a vingt ans, et telle surtout que l'a développée, en l'améliorant encore, le sage Rollin dans son excellent Traité des études ? Mais, comme s'en plaint Rollin lui-même, dans nos anciens colléges on ne s'occupait pas assez de la langue et de la littérature françaises; l'étude de l'histoire et de la géographie y étaient souvent négligée; enfin le dessin et les langues modernes réclamaient le droit d'être admis dans l'éducation: d'un autre côté, le temps consacré aux sciences sous le nom de philosophie aurait été à peu près suffisant s'il eût été mieux employé; mais la logique et la métaphysique en consumaient la plus grande partie; l'étude des mathématiques y était beaucoup plus rapide; celle de la physique trop superficielle ; celle de l'histoire naturelle absolument nulle. Ainsi les lycées, aux avantages qu'offrait l'Université pour l'étude des langues anciennes, unissent ce qu'elle laissait à désirer sous le rapport du dessin, des langues modernes, de la géographie, de l'histoire, et surtout des sciences mathématiques et physiques. Une sage distribution du temps, l'emploi de bounes méthodes, et avant tout le zèle et la capacité des maîtres, fournissent aux

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