Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

Non, la guerre présente n'a point d'autre cause; il n'en existe point d'autre que ces passions aveugles qui ont égaré tant de cabinets, dont la Prusse s'était longtemps préservée, mais dont il semble que la Providence l'ait condamnée à être aussi victime en la livrant aux conseils de ceux qui comptent pour rien les calamités de la guerre, parce qu'ils ne doivent point en partager les dangers, et sont toujours prêts à sacrifier à leur ambition, à leurs craintes, à leurs préjugés, à leurs faiblesses, le repos et le bonheur des peuples.

» Si toutefois ces passions ne sont pas l'unique mobile du cabinet de Berlin, et si quelque motif d'intérêt personnel lui a fait prendre les armes, c'est incontestablement et uniquement le désir d'asservir la Saxe et les villes anséatiques, et d'écarter ou de surmonter les obstacles que les déclarations de Votre Majesté lui ont fait craindre de rencontrer dans l'exécution d'un tel dessein. La guerre alors, quels que soient les regrets que Votre Majesté éprouve de n'avoir pu la prévenir, lui offrira du moins une perspective digne d'elle, puisqu'en défendant les droits et les intérêts de ses peuples elle préservera d'une injuste domination des états dont l'indépendance importe non seulement à la France et à ses alliés, mais encore à toute l'Europe.

»

Mayence, le 3 octobre 1806. Signé C.-M. TALLEYRAND, prince de Bénévent. »

Second RAPPORT adressé à l'empereur par le ministre des relations extérieures.

[ocr errors]

Sire, lorsque, dans le rapport que j'eus il y a peu de jours l'honneur d'adresser à Votre Majesté, j'établissais que si la Prusse avait quelque raison d'intérêt personnel qui la portât à faire la guerre ce ne pouvait être que le désir d'asservir la Saxe et les villes anséatiques, j'étais loin de prévoir qu'elle osât jamais avouer un tel motif. C'est néanmoins un aveu qu'elle n'a pas craint de faire et de consigner dans une note que M. de Knobelsdorff m'a envoyée de Metz, et que j'ai l'honneur d'adresser à Votre Majesté.

» Des trois demandes que renferme cette note, la première et la troisième ne sont faites que pour déguiser, s'il est possible, qu'on n'attache d'importance réelle qu'à la seconde.

» La Prusse, après avoir vu d'un oeil tranquille les armées françaises en Allemagne pendant un an, n'a pu s'alarmer de leur présence lorsque leur nombre était diminué, qu'elles étaient dispersées par petits corps dans des cantonnemens éloignés; lors surtout que Votre Majesté avait solennellement annoncé qu'elles retourneraient en France aussitôt que les affaires du Cattaro, cause de la prolongation de leur séjour en

[ocr errors]

Allemagne, auraient été réglées par un accord fait avec l'Autriche, et que déjà l'ordre pour leur retour était donné.

La Prusse, qui parle d'une négociation pour fixer tous les intérêts en litige, sait bien qu'il n'y a point d'intérêt quelconque en litige entre les deux états: la discussion amiable qui doit fixer définitivement le sort des abbayes d'Essen et de Werden n'a point été différée par aucune lenteur du cabinet français. Les troupes françaises ont évacué ces territoires, que le grand-duc de Berg avait fait occuper dans la persuasion intime où des documens nombreux avaient dû le mettre qu'ils faisaient partie du duché de Clèves, et qu'ils avaient été compris dans la cession de ce duché.

» Ainsi les demandes de la Prusse sur ces divers points et d'autres de même nature, et les prétendus griefs qu'elle semble indiquer, n'offrent point la véritable pensée du cabinet de Berlin. Il ne la révèle, il ne laisse échapper son secret que lorsqu'il demande qu'il ne soit plus mis de la part de la France aucun obstacle quelconque à la formation de la ligue du nord, qui embrassera, sans aucune exception, tous les états non nommés dans l'acte fondamental de la Confédération du Rhin.

» Ainsi, pour satisfaire l'ambition la plus injuste, la Prusse consent à rompre les liens qui l'unissaient à la France; à appeler de nouvelles calamités sur le continent, dont Votre Majesté voulait cicatriser les plaies, et assurer la tranquillité; à provoquer un allié fidèle, à le mettre dans la cruelle nécessité de repousser la force par la force, et d'arracher encore son armée au repos dont il aspirait à la faire jouir après tant de fatigues et de triomphes!

» Je le dis avec douleur, je perds l'espoir que la paix puisse être conservée du moment qu'on la fait dépendre de conditions que l'équité repousse, et que l'honneur repousse égaleinent; proposées, comme elles le sont, avec un ton et des formes que le peuple français n'endura dans aucun temps et de la part d'aucune puissance, et qu'il peut moins que jamais endurer sous le règne de Votre Majesté.

[ocr errors]

Mayence, le 6 octobre 1806. Signé C.-M. TALLEYRAND, prince de Bénévent. »

A ces rapports était jointe la correspondance diplomatique du ministre de France avec l'ambassadeur prussien. La pièce la plus importante, celle qui contenait l'ultimatum du roi de Prusse, était datée du 1er octobre 1806; elle portait en substance:

« Les agrandissemens et la prépondérance de l'Empire français ont » fait de S. M. prussienne, si longtemps alliée fidèle et loyale, un » voisin alarmé sur sa propre existence, et nécessairement armé pour

» la défense de ses plus chers intérêts.... Cet accroissement gigan>> tesque d'une puissance essentiellement militaire et conquérante >> laisse sans aucune garantie S. M. prussienne au milieu des boulever>> semens dont elle est entourée.... Le roi de Prusse ne voit autour de » lui que des troupes françaises ou des vassaux de la France prêts à » marcher avec elle.... Les déclarations et les mesures de l'empereur » des Français annoncent que cette attitude ne changera point... » Cependant cet état de choses ne peut durer; le danger croît chaque » jour. Il faut s'entendre d'abord, ou l'on ne s'entendrait plus. En » conséquence S. M. prussienne demande : 1o Que les troupes fran»çaises, qu'aucun titre fondé n'appelle en Allemagne, repassent >> incessamment le Rhin; toutes, sans exception, en commençant » leur marche du jour même où le roi de Prusse se promet la réponse » de l'empereur des Français, et en la poursuivant sans s'arrêter; et » le ministre de S. M. prussienne est chargé d'insister avec instance » pour que cette réponse de S. M. impériale arrive au quartier » général du roi le 8 octobre.... 2o. Qu'il ne soit plus mis de la part » de la France aucun obstacle quelconque à la formation de la ligué » du nord, qui embrassera sans aucune exception tous les états non » nommés dans l'acte fondamental de la Confédération du Rhin. » Ainsi, selon l'expression de Napoléon, son frère le roi de Prusse lui donnait un rendez-vous pour le 8; en brave chevalier, il n'y manquera poini.

Lecture faite de ces pièces, le Sénat arrête que, séance tenante un rapport lui en sera présenté par une commission spéciale; et il nomme à cet effet MM. Lacépède, Demeunier, Daremberg, François (de Neufchâteau) et Colchen. Organe de cette commission, M. Lacépède ne tarde pas à proposer un décret et une adresse que le Sénat adopte par acclamation. Les trois sénateurs députés auprès de l'empereur sont MM. Daremberg, François (de Neufchâteau) et Colchen. C'est à Berlin qu'ils lui présenteront l'adresse du Sénat,

[ocr errors]
[blocks in formation]

« Le Sénat, délibérant, etc.; décrète :

» Art. 1. Une députation de trois membres se rendra auprès de S. M. l'empereur et roi, et lui offrira l'hommage du dévouement du Sénat et du peuple français à la juste cause qu'il est devenu nécessaire de défendre par les armes.

» 2. La députation présentera à S. M. l'adresse dont la teneur suit:

[ocr errors]

Sire, le Sénat s'empresse d'exprimer à Votre Majesté impériale et royale tous les sentimens que lui inspire le message qu'il vient de recevoir de Votre Majesté.

»Čet acte à jamais mémorable, Sire, est un témoignage

>>

bien éclatant de la magnanimité de Votre Majesté impériale. Qui sait mieux que le Sénat tout ce que Votre Majesté a fait pour ne pas reprendre les armes, qu'elle avait déposées sur l'autel de la Concorde!

» En croyant à la paix continentale, parce que vous la désiriez vivement, Sire, et parce qu'elle était nécessaire à l'Europe, vous avez ajouté à votre gloire militaire, qui ne peut plus s'accroître, un nouveau genre de gloire qui ne sera pas moins durable.

» L'histoire, Sire, consacrera cette modération généreuse de Votre Majesté, qui n'a voulu user de tout l'ascendant de sa renommée et de toutes les ressources de sa haute prévoyance que pour concilier les véritables intérêts des nations étrangères avec ceux de la France et de ses alliés.

[ocr errors]

Le vœu du Sénat et du peuple français, Sire, est le même que le vœu de Votre Majesté impériale et royale ; celui de la justice, de la gloire nationale et de l'humanité.

[ocr errors]

Jamais le dévouement du grand peuple ne s'est manifesté avec autant d'éclat. Les pères envient la noble destinée de cette jeunesse belliqueuse qui se précipite vers les camps de Votre Majesté, et qui brûle de mériter dans les rangs des vainqueurs de Marengo et d'Austerlitz un regard de son empereur.

>> Il n'est aucun Français qui ne soit convaincu, Sire, que Votre Majesté n'élève trophée sur trophée que pour donner à notre patrie toute la prospérité qu'elle a droit d'attendre de son territoire et de son industrie, pour défendre vos alliés fidèles, pour garantir de toute atteinte ces antiques bannières que vos illustres confédérés se sont empressés de réunir à vos étendards, et pour assurer à l'Europe cette organisation que réclamaient le bonheur du peuple, ainsi que la sûreté et l'indépendance des puissances neutres.

» Le Sénat n'a pu lire sans attendrissement ces paroles de Votre Majesté :

» Notre cœur est péniblement affecté de cette prépondérance constante qu'obtient en Europe le génie du mal, occupé sans cesse à traverser les desseins que nous formons pour la tranquillité de l'Europe, le repos et le bonheur de la génération présente; assiégeant tous les cabinets par tous les genres de séductions, égarant ceux qu'il n'a pu corrompre, les aveuglant sur leurs véritables intéréts, et les lançant au milieu des partis sans autres guides que les passions qu'il a su leur inspirer.

Sire, malgré tous ces efforts, l'Europe obtiendra cet état prospère, l'objet constant des soins de Votre Majesté.

» Quelle puissance pourrait résister à la valeur des Français, à celle de tous ces peuples que vous conduisez à la victoire,

et à ce génie incomparable du plus grand des capitaines, qui, variant ses plans suivant les saisons, les hommes et les lieux, crée pour chaque nouvelle entreprise un nouvel art de la guerre; accroît toutes les forces par la science des combinaisons; multiplie tous les instans par la volonté de n'en perdre aucun; abrège les distances par la précision des marches; menace tous les points, excepté celui qu'il a résolu d'attaquer; ne laisse entrevoir ses projets que lorsqu'il n'est plus possible de les prévenir; contraint ses ennemis, par la nature de ses positions, à se placer eux-mêmes à l'endroit qu'ils doivent illustrer par leur défaite; les oblige à recevoir une bataille où ils peuvent tout perdre sans espérer des avantages proportionnés à leurs dangers; revêt les précautions de la prudence de tout l'éclat de l'audace; et, lorsqu'il a donné le signal du triomphe, disperse avec la rapidité de la foudre tout ce qui s'oppose à ses aigles redoutables!

Recevez, Sire, le nouvel hommage d'admiration, de reconnaissance et d'amour que le Sénat offre au nom du peuple français à Votre Majesté impériale et royale!

» Ces sentimens de la grande nation, présages de ceux qu'éprouvera la postérité la plus reculée, sont le monument de gloire le plus digne du premier des héros, et le tribut le plus cher au cœur paternel de Votre Majesté. »

"

Analise des bulletins de la grande armée.
PROCLAMATION de l'empereur.

Soldats, l'ordre pour votre rentrée en France était parti; vous vous en étiez déjà rapprochés de plusieurs marches. Des fêtes triomphales vous attendaient, et les préparatifs pour vous recevoir étaient commencés dans la capitale.

» Mais lorsque nous nous abandonnions à cette trop confiante sécurité, de nouvelles trames s'ourdissaient sous le nasque de l'amitié et de l'alliance. Des cris de guerre se sont fait entendre à Berlin; depuis deux mois nous sommes provoqués tous les jours davantage.

» La même faction, le même esprit de vertige qui, à la faveur de nos dissensions intestines, conduisit il y a quatorze ans les Prussiens au milieu des plaines de la Champagne, domine dans leurs conseils. Si ce n'est plus Paris qu'ils veulent brûler et renverser jusque dans ses fondemens, c'est aujourd'hui leurs drapeaux qu'ils se vantent de planter dans les capitales de nos alliés ; c'est la Saxe qu'ils veulent obliger à renoncer, par une transaction honteuse, à son indépendance, en

XIX.

20

« PreviousContinue »