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ne faire que des guerres indispensables à la politique de mes peuples, et de ne point répandre le sang dans une lutte avec des souverains qui n'ont avec moi aucune opposition d'industrie, de commerce et de politique. Je prie Votre Majesté de ne voir dans cette lettre que le désir que j'ai d'épargner le sang des hommes, et d'éviter à une nation qui, géographiquement, ne saurait être ennemie de la mienne, l'amer repentir d'avoir trop écouté des sentimens éphémères qui s'excitent et se calment avec tant de facilité parmi les peuples.

» Sur ce je prie Dieu, monsieur mon frère, qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

» De Votre Majesté le bon frère. Signé NAPOLÉON. »

2o. Réponse verbale de l'empereur des Français à un envoyé du duc de Brunswick, qui demandait protection pour ses états. (1)

«Si je faisais démolir la ville de Brunswick, et si je n'y laissais pas pierre sur pierre (2), que dirait votre prince? La loi du talion ne me permet-elle pas de faire à Brunswick ce qu'il voulait faire dans ma capitale? Annoncer le projet de démolir des villes, cela peut être insensé; mais vouloir ôter l'honneur à toute une armée de braves gens, lui proposer de quitter l'Allemagne par journées d'étapes à la seule sommation de l'armée prussienne, voilà ce que la postérité aura peine à croire. Le duc de Brunswick n'eût jamais dû se permettre un tel outrage; lorsqu'on a blanchi sous les armes on doit respecter l'honneur militaire; et ce n'est pas d'ailleurs dans les plaines de Champagne que ce général a pu acquérir le droit de traiter les drapeaux français avec un tel mépris. Une pareille sommation ne déshonorera que le militaire qui l'a pu faire. Ce n'est pas au roi de Prusse que restera ce déshonneur, c'est au chef de son conseil militaire; c'est au général à qui, dans ces circonstances difficiles, il avait remis le soin des affaires; c'est enfin le duc de Brunswick que la France et la Prusse peuvent accuser seul de la guerre. La frénésie dont ce vieux général a donné l'exemple a autorisé une jeunesse turbulente, et entraîné le roi contre sa propre pensée et son intime conviction. Toutefois, monsieur, dites aux habitans du pays de Brunswick qu'ils trouveront dans les Français des ennemis généreux; que je désire adoucir à leur égard les rigueurs de la guerre, et que le mal que pourrait occasionner le passage

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(1) C'est le même duc de Brunswick signataire des manifestes publiés contre la France en 1792. Voyez tome IX de ce Recueil, page 259. (2) Expression de Bouillé en annonçant à l'Assemblée constituante qu'il allait se joindre aux armées étrangères pour les guider contre la France. Voyez tome IV de ce recueil, page 27.

troupes serait contre mon gré. Dites au général Brunswick qu'il sera traité avec tous les égards dus à un officier prussien, mais que je ne puis reconnaître dans un général prussien un souverain. S'il arrive que la maison de Brunswick perde la souveraineté de ses ancêtres, elle ne pourra s'en prendre qu'à l'auteur de deux guerres qui, dans l'une, voulut saper jusque dans ses fondemens la grande capitale; qui, dans l'autre, prétendit déshonorer deux cent mille braves, qu'on parviendrait peut-être à vaincre, mais qu'on ne surprendra jamais hors du chemin de l'honneur et de la gloire. Beaucoup de sang a été versé en peu de jours; de grands désastres pèsent sur la monarchie prussienne : qu'il est digne de blâme cet homme qui d'un mot pouvait les prévenir, si, comme Nestor, élevant la parole au milieu des conseils, il avait dit : Jeunesse inconsidérée, taisez-vous ! Femmes, retournez à vos fuseaux, et rentrez dans l'intérieur de vos ménages! Et vous, Sire, croyez-en le compagnon du plus illustre de vos prédécesseurs; puisque l'empereur Napoléon ne veut pas la guerre, ne le placez pas entre la guerre et le déshonneur; ne vous engagez pas dans une lutte dangereuse avec une armée qui s'honore de quinze ans de travaux glorieux, et que la victoire a accoutumée à tout soumettre.

» Au lieu de tenir ce langage, qui convenait si bien à la prudence de son âge et à l'expérience de sa longue carrière, il a été le premier à crier aux armes! Il a méconnu jusqu'aux liens du sang en armant un fils contre son père; il a menacé de planter ses drapeaux sur le palais de Stuttgard, et, accompagnant ces démarches d'imprécations contre la France, il s'est déclaré l'auteur de ce manifeste insensé qu'il avait désavoué pendant quatorze ans, quoiqu'il n'osât pas nier de l'avoir revêtu de sa signature!

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« On a remarqué que pendant cette conversation l'empereur, avec cette chaleur dont il est quelquefois animé, a répété souvent : »

« Renverser et détruire les habitations des citoyens paisibles, c'est un crime qui se répare avec du temps et de l'argent; mais déshonorer une armée, vouloir qu'elle fuie hors de l'Allemagne devant l'aigle prussienne, c'est une bassesse que celui-là seul qui la conseille était capable de commettre! >>

Le 24 le maréchal Lannes prit possession de Postdam. Le maréchal Davoust entra dans Berlin le 25. Le même jour capitulait la forteresse de Spandau. — «En route l'empereur, étant à cheval pour sc rendre de Wittemberg à Postdam, fut surpris par un orage, et mit pied à terre dans la maison du grand veneur de Saxe. Il fut fort

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étonné de s'entendre appeler de son nom par une jolie femme : c'était une Egyptienne, veuve d'un officier français de l'armée d'Egypte, et qui se trouvait en Saxe depuis trois mois ; elle demeurait chez le grand veneur, qui l'avait recueillie et honorablement traitée. L'empereur lui a fait une pension de 1200 fr., et s'est chargé de placer son enfant. C'est la première fois, dit Napoléon, que je mets pied à terre pour un orage ; j'avais le pressentiment qu'une bonne action m'attendait là. »— « On remarque comme une singularité que l'empereur Napoléon est arrivé à Postdam et descendu dans le même appartement le même jour, et presque à la même heure, que l'empereur de Russie lors du voyage que fit ce prince l'an passé, et qui a été si funeste à la Prusse. » C'est à cette époque qu'avaient eu lieu le traité d'alliance contre Napoléon, et ce fameux serment fait sur le tombeau du grand Frédéric par l'empereur Alexandre, le roi de Prusse et sa femme.' L'empereur Napoléon est resté quelque temps dans la chambre du grand Frédéric, encore tendue et meublée telle qu'elle l'était à sa mort. Il est allé ensuite visiter le tombeau de ce grand homme, dont les restes sont renfermés dans un cercueil de bois recouvert en cuivre, et placé dans un caveau sans ornement, sans trophées, sans aucunes distinctions qui rappellent les grandes actions qu'il a faites. « L'empereur a fait présent à l'Hôtel des Invalides de Paris de l'épée de Frédéric, de son cordon de l'Aigle-Noire, de sa ceinture de général, ainsi que des drapeaux que portait sa garde dans la guerre de sept ans. Les vieux invalides de l'armée de Hanovre accueilleront avec un respect religieux tout ce qui a appartenu à un des premiers capitaines dont l'histoire conservera le souvenir. » En s'emparant de ces objets l'empereur s'était écrié : J'aime mieux cela que vingt millions!-(Du dix-septième bulletin au vingtième compris.)

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PROCLAMATION.' L'empereur à la grande armée.

Soldats, vous avez justifié mon attente, et répondu dignement à la confiance du peuple français ! Vous avez supporté les privations et les fatigues avec autant de courage que vous avez montré d'intrépidité et de sang froid au milieu des combats. Vous êtes les dignes défenseurs de l'honneur de ma couronne et de la gloire du grand peuple. Tant que vous serez animés de cet esprit, rien ne pourra vous résister. La cavalerie a rivalisé avec l'infanterie et l'artillerie ; je ne sais désormais à quelle arme je dois donner la préférence. Vous êtes tous de bons soldats. Voici les résultats de nos travaux.

» Une des premières puissances militaires de l'Europe, qui osa naguère nous proposer une honteuse capitulation, est anéantie. Les forêts, les défilés de la Franconie, la Saale, l'Elbe, que nos pères n'eussent pas traversés en sept ans, nous les avons traversés en sept jours, et livré dans l'intervalle quatre

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combats et une grande bataille. Nous avons précédé à Postdam, à Berlin, la renommée de nos victoires. Nous avons fait soixante mille prisonniers; pris soixante-cinq drapeaux, parmi lesquels ceux des gardes du roi de Prusse, six cents pièces de canon; trois forteresses; plus de vingt généraux. Cependant près de la moitié de vous regrettent de n'avoir pas encore tiré un coup de fusil. Toutes les provinces de la monarchie prussienne, jusqu'à l'Oder, sont en notre pouvoir.

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Soldats, les Russes se vantent de venir à nous. Nous marcherons à leur rencontre; nous leur épargnerons la moitié du chemin : ils retrouveront Austerlitz au milieu de la Prusse. Une nation qui a aussitôt oublié la générosité dont nous avons usé envers elle après cette bataille, où son empereur, sa cour, les débris de son armée n'ont dû leur salut qu'à la capitulation que nous leur avons accordée, est une nation qui ne saurait lutter avec succès contre nous.

>> Cependant, tandis que nous marchons au devant des Russes, de nouvelles armées, formées dans l'intérieur de l'Empire, viennent prendre notre place pour garder nos conquêtes. Mon peuple tout entier s'est levé, indigné de la honteuse capitulation que les ministres prussiens, dans leur délire, nous ont proposée. Nos routes et nos villes frontières sont remplies de conscrits qui brûlent de marcher sur vos traces. Nous ne serons plus désormais les jouets d'une paix traîtresse, et nous ne poserons plus les armes que nous n'ayons obligé les Anglais, ces éternels ennemis de notre nation, à renoncer au projet de troubler le continent, et à la tyrannie des mers.

» Soldats, je ne puis mieux vous exprimer les sentimens que j'ai pour vous qu'en vous disant que je vous porte dans mon cœur l'amour que vous me montrez tous les jours.

» De notre camp impérial de Postdam, le 26 octobre 1806. Signé NAPOLÉON. »

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L'empereur fit son entrée solennelle à Berlin le 27 octobre : les magistrats étaient venus lui offrir les clefs de la ville. Le peuple accourut en foulé sur son passage, et lui donna de vifs témoignages de respect et d'admiration. De son côté l'empereur accorda aux habitans la plus touchante bienveillance. Il ordonna aussitôt que deux mille bourgeois des plus riches se réunissent pour nommer un corps municipal composé de soixante d'entre eux. Il leur confia la police de la ville, et à cet effet les autorisa à organiser un corps de douze cents hommes pris dans leur sein. Il avait donné le commandement de la place au général français Hullin. — Il admit à son audience les magistrats du peuple, les cours de justice, le clergé, les ministres du roi, les ambassadeurs, etc. Il invita le ministre otto

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man à envoyer sur le champ un courrier à Constantinople pour tranquilliser la Porte sur les tentatives des Russes. Il montra le plus grand intérêt et promit toute sa protection aux nombreuses familles françaises réfugiées à Berlin par suite de la révocation de l'édit de Nantes. Il s'entretint familièrement avec les personnes qui lui furent présentées, s'informant surtout de la manière d'administrer et de rendre la justice en Prusse. Il invita les citoyens à s'occuper de leurs affaires, les employés de leurs devoirs, et il recommanda aux prêtres des différentes communions de prêcher toujours l'obéissance à César. En faisant connaître ses intentions au corps municipal, il a dit : J'entends qu'on ne casse les fenêtres de personne. Mon frère le roi de Prusse a cessé d'être roi le jour où il n'a pas fait pendre le prince Louis-Ferdinand lorsqu'il a été assez osé pour aller casser les fenêtres de ses ministres. Il a dit au comte de Néale : Hé bien, monsieur, vos femmes ont voulu la guerrę! En voici le résultat. Vous devriez mieux contenir votre famille. (Des lettres, de la fille du comte de Néale avaient été interceptées. Napoléon, était-il dit dans ces lettres, ne veut pas la guerre ; il faut la lui faire.) Non, monsieur, je ne veux point la guerre; non pas que je me méfie de ma puissance, comme vous le pensez, mais parce que le sang de mes peuples m'est précieux, et que mon premier devoir est de ne le répandre que pour . sa sûreté et son honneur. Mais ce bon peuple de Berlin est victime de la guerre, tandis que ceux qui l'ont attirée se sont sauvés! Je rendrai cette noblesse de cour si petite qu'elle sera obligée de mendier son pain. — (Vingt-unième bulletin. )

Parmi les magistrats de la ville de Berlin admis à l'audience impériale se trouvait le prince de Hatzfeld ; l'empereur lui avait dit, en présence de tous ceux qui l'entouraient: Ne vous présentez pas devant moi ; je n'ai pas besoin de vos services. Retirez-vous dans vos terres. «Quelques instans après ce prince fut arrêté. Il aurait été » traduit devant une commission militaire, et inévitablement con» damné à mort, Des lettres de ce prince au prince Hohenlohe, » interceptées aux avant-postes, avaient appris que, quoiqu'il se dît » chargé du gouvernement civil de la ville, il instruisait l'ennemi >> des mouvemens des Français. Sa femme, fille du ministre Schu» lembourg, est venúc se jeter aux pieds de l'empereur; elle croyait » que son mari était arrêté à cause de la haine que le ministre Schu» lembourg portait à la France. L'empereur la dissuada bientôt, et >> lui fit connaître qu'on avait intercepté des papiers dont il résultait » que son mari faisait un double rôle, et que les lois de la guerre étaient impitoyables sur un pareil délit. La princesse attribuait à » l'imposture de ses ennemis cette accusation, qu'elle appelait une » calomnie. Vous connaissez l'écriture de votre mari, dit l'empe» reur; je vais vous faire juge. —Il fit apporter la lettre interceptée,

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