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champ de bataille, on les y trouva environnés de plus de mille cadavres ennemis. Cette partie du champ de bataille fait horreur à voir. Pendant ce temps le corps du maréchal Davoust débouchait derrière l'ennemi. La neige, qui plusieurs fois dans la journée obscurcit le temps, retarda aussi sa marche et l'ensemble de ses colonnes. Le mal de l'ennemi est immense ; celui que nous avons éprouvé est considérable. Trois cents bouches à feu ont vomi la mort de part et d'autre pendant douze heures. La victoire, longtemps incertaine, fut décidée et gagnée lorsque le maréchal Davoust déboucha sur le plateau et déborda l'ennemi, qui, après avoir fait de vains efforts pour le reprendre, battit en retraite. Au même moment le corps du maréchal Ney débouchait par Altorff sur la gauche, et poussait devant lui le reste de la colonne prussienne échappée au combat de Deppen. Il vint se placer le soir au village de Schenaditten, et par là l'ennemi se trouva tellement serré entre les corps des maréchaux Ney et Davoust, que, craignant de voir son arrière-garde compromise, il résolut à huit heures du soir de reprendre le village de Schenaditten. Plusieurs bataillons de grenadiers russes, les seuls qui n'eussent pas donné, se présentèrent à ce village; mais le sixième régiment d'infanterie légère les laissa approcher à bout portant, et les mit dans une entière déroute. Le lendemain l'ennemi a été poursuivi jusqu'à la rivière de Frischling. Il se retire au delà de la Prégel. Il a abandonné sur le champ de bataille seize pièces de canon et ses blessés; toutes les maisons des villages qu'il a parcourus la nuit en sont remplies.

Le maréchal Augereau a été blessé d'une balle. Les généraux Desjardins, Heudelet, Lochet, ont été blessés. Le général Corbineau a été enlevé par un boulet. Le colonel Lacuée, du soixante-troisième, et le colonel Lemarois, du quarante-troisième, ont été tués par des boulets. Le colonel Bouvières, du onzième régiment de dragons, n'a pas survécu à ses blessures. Tous sont morts avec gloire. Notre perte se monte exactement à mille neuf cents morts, et à cinq mille sept cents blessés, parmi lesquels un millier, qui le sont grièvement, seront hors de service. Tous les morts ont été enterrés dans la journée du 10. On a compté sur le champ de bataille sept mille Russes.

» Ainsi l'expédition offensive de l'ennemi, qui avait pour but de se porter sur Thorn en débordant la gauche de la grande armée, lui a été funeste. Douze à quinze inille prisonniers, autant d'homines hors de combat, dix-huit drapeaux, quarante-cinq pièces de canon, sont les trophées trop chèrement payés sans doute par le sang de tant de braves.

De petites contrariétés de temps, qui auraient paru légères

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dans toute autre circonstance, ont beaucoup contrarié les combinaisons du général français. Notre cavalerie et notre artillerie ont fait des merveilles. La garde à cheval s'est surpassée; c'est beaucoup dire. La garde à pied a été toute la journée l'arme au bras, sous le feu d'une épouvantable mitraille, sans tirer un coup de fusil ni faire aucun mouvement; les circonstances n'ont point été telles qu'elle ait dû donner. La blessure du maréchal Augereau a été aussi un accident défavorable, en laissant pendant le plus fort de la mêlée son corps d'armée sans chef capable de le diriger.

» Ce récit est l'idée générale de la bataille. Il s'est passé des faits qui honorent le soldat français; l'état major s'occupe de les recueillir.

» La consommation en munitions à canon a été considérable; elle a été beaucoup moindre en munitions d'infanterie.

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L'aigle d'un des bataillons du dix-huitième régiment ne s'est pas retrouvée; elle est probablement tombée entre les mains de l'ennemi. On ne peut en faire un reproche à ce régiment; c'est, dans la position où il se trouvait, un accident de guerre: toutefois l'empereur lui en rendra une autre lorsqu'il aura pris un drapeau à l'ennemi.

» Cette expédition est terminée; l'ennemi battu et rejeté à cent lieues de la Vistule. L'armée va reprendre ses cantonnemens, et rentrer dans ses quartiers d'hiver. »

PROCLAMATION.

A Preussich-Eylau, le 16 février 1807.

« Soldats, nous commencions à prendre un peu de repos dans nos quartiers d'hiver lorsque l'ennemi a attaqué le premier corps, et s'est présenté sur la Basse-Vistule. Nous avons marché à lui. Nous l'avons poursuivi l'épée dans les reins pendant l'espace de quatre-vingts lieues. Il s'est réfugié sous les remparts de ses places, et a repassé la Prégel. Nous lui avons enlevé, aux combats de Bergfried, de Deppen, de Hoff, à la bataille d'Eylau, soixantecinq pièces de canon, seize drapeaux, et tué, blessé ou pris plus de quarante mille hommes. Les braves qui de notre côté sont restés sur le champ d'honneur sont morts d'une mort glorieuse; c'est la mort des vrais soldats. Leurs familles auront des droits constans à notre sollicitude et à nos bienfaits.

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Ayant ainsi déjoué tous les projets de l'ennemi, nous allons nous rapprocher de la Vistule, et rentrer dans nos cantonnemens. Qui osera en troubler le repos s'en repentira, car, au delà de la Vistule comme au delà du Danube, au milieu des frimas de l'hiver comme au commencement de l'automne nous serons toujours les soldats français, et les soldats français de la grande armée. Signé NAPOLÉON, »

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L'ennemi ne discontinua pas de harceler les Français dans leurs cantonnemens, et toujours il eut à s'en repentir. Forcé enfin à la retraite, il l'opéra sur Koenigsberg. Les Français l'y poursuivirent en le battant; il éprouva surtout un grand échec sur la route de Nowogrod et dans la petite ville d'Ostrolenko, dont il laissa les rues jonchées de ses morts. Le maréchal Augereau, encore blessé, et couvert de rhumatismes, s'était fait attacher sur son cheval pour se remettre à la tête de son corps. - Le général d'Haupoult étant mort des suites de la blessure qu'il avait reçue à Eylau, l'empereur ordonna que sa statue en bronze serait faite avec les canons pris à cette bataille. L'entière réduction de la Silésie approchait. Le maréchal Mortier pénétrait dans la Pomeranie suédoise; Stralsund était bloqué. Le maréchal Lefebvre cernait Dantzick, et faisait travailler aux préparatifs du siége de cette ville. Le gros de la grande armée avait encore repris ses cantonnemens, incessamment troublés par de légers engagemens dans lesquels les Français conservaient toujours l'avantage. (Bulletins cinquante-neuf au soixante-septième compris.) C'est alors que l'empereur fit une nouvelle demande d'hommes.

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SÉNAT.

Séance du 4 avril 1807,

présidée par

l'archi-chancelier.

Après son discours d'ouverture le président fait donner lecture des deux pièces qui suivent.

RAPPORT fait à l'empereur par le ministre de la guerre.

Au camp impérial d'Osterode, le 19 mars 1807.

« Sire, jamais les armées de Votre Majesté ne furent aussi nombreuses, aussi bien exercées et mieux organisées.

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Le senatus-consulte du 24 septembre 1805 a mis à la disposition du gouvernement quatre-vingt mille hommes de la conscription de 1806. Celui du 4 décembre dernier a ordonné la levée d'un pareil nombre d'hommes de la conscription de 1807.

» Les cent soixante mille hommes sont arrivés à leurs drapeaux. Je ne puis que rendre le témoignage le plus avantageux de l'activité des préfets, de la bonne conduite des officiers de recrutement et de la gendarmerie, et surtout de l'excellent esprit manifesté dans ces circonstances par la nation tout entière.

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Mais, Sire, il ne faudrait pas conclure du résultat de ce concours général de tous les sentimens que les armées de Votre Majesté sont de cent soixante mille hommes plus nombreuses qu'elles ne l'étaient au moment où a éclaté la guerre de la quatrième coalition.

» Les revues annuelles ont été terminées depuis le 1er septembre; et, par l'effet des doubles inspections que Votre Majesté avait ordonnées, on a été dans le cas de retrancher des contrôles les vieux soldats qui avaient acquis des droits aux récompenses militaires, ou parce que le temps de leur service était expiré, ou par les honorables blessures dont ils étaient couverts. Le nombre des congés ou des retraites qui ont été accordés s'est élevé à seize mille. La consommation des maladies dans une armée aussi considérable; les pertes faites sur le champ de bataille aux combats de Schleitz et de Saalfeld, à la journée d'Iéna, aux combats de Prentalow, de Lubeck, aux affaires de Pultusk et de Golymin, aux combats de Bergfried et de Hoff, et à la bataille d'Eylau; celle des braves qui sont morts par suite de leurs blessures, ou que j'ai dû faire passer dans les dépôts pour être mis en retraite à la première inspection, ont produit une autre diminution de quatorze mille hommes. C'est donc réellement, Sire, de cent trente mille hommes que votre état militaire se trouve en ce moment auginenté. Vous aviez à la fin de la guerre de la troisième coalition des armées belles, nombreuses, formidables; elles le sont devenues davantage par cet important accroissement.

» L'armée d'Italie , que Votre Majesté a réunie dans le Frioul et aux camps de Brescia, de Vérone, de Bassano et d'Alexandrie, est la plus considérable que la France ait jamais eue dans ces contrées. Rien n'en a été retiré pour la grande armée, à l'exception de quelques corps de troupes à cheval qui ont été remplacés en conséquence de la résolution qu'a prise Votre Majesté de doubler la formation de la cavalerie.

» L'armée de Dalmatie avait essuyé des maladies qui ont cessé par le retour de la meilleure saison; elle a réparé ses pertes, et ses dépôts en Italie offrent une force notable.

L'armée de Naples a reçu dix mille conscrits tirés des dépôts que Votre Majesté a fait établir en divisions dans ses états d'Italie.

» La grande armée couvre par ses triomphes la frontière du Rhin, qui l'est en seconde ligne par la réserve que commande le maréchal Kellermann.

» Les corps du camp de Boulogne, portés au complet par la conscription de 1807, mettent le nord de la France à l'abri des tentatives de l'ennemi.

» Votre Majesté a ordonné à Saint-Lô, à Napoléon-Ville et dans la Vendée, la formation de trois camps qui protégent les côtes de la Bretagne, de la Normandie et de la Gascogne; ils se réunissent dans ce moment-ci.

Les grenadiers et les chasseurs des gardes nationales des départemens de la Gironde, de la Seine-Inférieure et du Rhin sont venus concourir à ce système de défense intérieure.

» Dans cette situation des choses, j'obéis aux ordres de Votre Majesté en lui proposant d'appeler dès ce moment la conscription de 1808, et de former cinq légions de réserve de l'intérieur. Votre Majesté m'avait fait connaître qu'outre cette ligne de camps et ces réunions de gardes nationales qui ceignent ses frontières, elle voulait avoir une triple réserve qui mit son territoire à l'abri de tout projet d'insulte.

» Elle a considéré d'ailleurs que les camps de Boulogne, de Saint-Lô, de Napoléon-Ville et de la Vendée, emploient un grand nombre de vieux bataillons prêts à se porter partout où ils pourraient être nécessaires, et qu'alors elle retirerait tous les avantages de sa prévoyance, puisque ses frontières et ses côtes seraient encore suffisamment garnies par les gardes nationales et par les légions de la réserve.

» Cette prévoyance, Sire, est digne du chef d'un grand peuple et d'un capitaine que j'ai vu, quoique constamment victorieux, s'occuper avec sollicitude de tout ce qui pouvait réparer un revers. Lorsqu'il marchait à la victoire d'Iéna j'ai dû, par ses ordres, armer et approvisionner toutes les places du Rhin, comme si l'ennemi avait pu menacer ses frontières.

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Quelque importantes que soient ces considérations, il en est une non moins digne du cœur de Votre Majesté. Les conscrits de 1808 seraient appelés par l'ordre naturel des choses à venir dans six mois se ranger sous les drapeaux; ils auraient alors à faire de longues marches, à supporter des fatigues auxquelles il est d'une bonne et paternelle administration de les préparer, de les accoutumer d'une manière insensible. Réunis six mois plus tôt, ils auront l'avantage de faire leur apprentissage du métier des armes dans nos places, dans nos camps, au sein même de la patrie.

» Par une autre disposition qu'inspire également à Votre Majesté son amour pour ses peuples, elle a voulu confier l'instruction de cette jeunesse à des personnes distinguées par leur rang et par les services qu'elles ont rendus à l'Etat; elle a en conséquence appelé au commandement des légions de la réserve de l'intérieur ceux des membres du Sénat qui, avant de faire partie de ce corps, s'étaient illustrés par leurs talens.

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