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leurs propres rivages; lorsque, honteusement fameuse par les désastres de Copenhague, qu'elle a surpris au milieu de la paix et sans défense, elle cherchait dans le pillage de ses arsenaux quelques tristes et sanglantes dépouilles !

» Mais le scandale de cet accord du gouvernement portugais avec l'Angleterre remonte à d'autres temps. Lorsque l'Angleterre méditait, en 1806, de rallumer en Europe la guerre que Votre Majesté a si glorieusement terminée, elle envoya une flotte à Lisbonne; les ministres eurent des conférences: le temps en a dévoilé le but et les résultats.

»Les escadres anglaises envoyées dans la rivière de la Plata n'ont-elles pas relâché à Janéiro? Les troupes qu'elles avaient jetées à Buenos-Ayres, à Monte-Video, n'ont-elles pas reçu du Brésil des approvisionnemens? Ces secours éloignés pouvaient échapper à l'attention de l'Europe; mais elle a vu le Portugal recueillir, ravitailler dans ses ports les vaisseaux anglais destinés au blocus de Cadix, ceux qui allaient attaquer Constantinople et l'Égypte, ceux qui devaient débarquer des troupes dans le royaume de Naples pour y faire éclater la révolte, ceux qui devaient introduire des marchandises anglaises sur toutes les côtes de la Méditerranée, quoique le Portugal sût que tous les ports du midi leur étaient fermés.

» Un consul français, que le Portugal avait reconnu et adinis à exercer ses fonctions dans le port de Faro, a été arraché de sa maison par l'intendant des douanes; il a été traîné dans les cachots; il n'en est sorti que pour être exilé; et le gouvernement portugais s'est refusé pendant trois mois. à réparer cet outrage.

» Des protestations de neutralité voilaient mal cette conduite hostile. La cour de Lisbonne eut à s'expliquer sans détour: Votre Majesté lui proposa d'accéder au système du continent; à ce prix elle aurait tout oublié.

» Le Portugal, s'il embrassait ce système, devait à Votre Majesté une garantie de ses dispositions, et puisqu'il avait permis que des Français et des propriétés françaises fussent enlevés par les Anglais à bord de ses bâtimens, il devait, sur la demande de Votre Majesté, arrêter les Anglais voyageant en Portugal, et saisir les marchandises anglaises comme otages pour vos sujets, comme indemnités pour leurs pertes.

» Mais, loin de déférer aux propositions de Votre Majesté, le gouvernement portugais n'a eu d'autre sollicitude que d'en instruire la cour de Londres, de tranquilliser l'Angleterre sur ses intérêts, de lui garantir la sûreté des Anglais et de leurs propriétés en Portugal. Il n'avait protégé ni les Français ni leur commerce la personne et le commerce de leurs

ennemis ont continué d'être libres et favorisés. On promet bien de s'unir à la cause du continent, même de déclarer la guerre à l'Angleterre; mais on veut la faire pour ainsi dire de concert avec elle; lui fournir, sous des apparences hostiles, les moyens de continuer son commerce avec le Portugal, et par le Portugal avec le reste de l'Europe; genre de guerre équivalent à une neutralité perfide. On demande des secours à l'Angleterre, et pour gagner du temps on essaie de tromper Votre Majesté par de vaines déclarations; on allègue des scrupules sur quelques unes des conséquences de la guerre, lorsqu'on n'en a plus sur la guerre même qui brise tous les

liens.

>> En vain Votre Majesté, daignant condescendre à ces prétendus scrupules, a modifié ses premières demandes : les mêmes refus se renouvellent. Le Portugal fait des promesses; mais il en retarde l'exécution sous divers prétextes; tantôt c'est le prince de Beyra, un enfant de douze ans, qu'on veut envoyer au Brésil pour défendre cette colonie; tantôt c'est une escadre attendue de la Méditerranée qu'on veut mettre en sûreté dans le Tage.

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Ainsi le Portugal, embarrassé dans ses artifices, et prenant avec la cour de Londres des engagemens réels et utiles aux Anglais, avec la France des engagemens vagues et simulés, attend les secours et les conseils de l'Angleterre, cherche à éloigner les menaces du continent, et, s'humiliant devant l'un et l'autre, remet en aveugle au sort des événemens les intérêts,. peut-être même l'existence d'une nation qui lui dema nde tout entière de ne pas la livrer à une puissance si funeste à tous ses alliés.

L'époque que Votre Majesté avait fixée pour la détermination qu'elle attendait, cette époque, qu'elle avait bien voula reculer d'un mois, est arrivée. Le Portugal a prononcé luimême sur son sort; il a rompu ses dernières communications avec le continent en mettant les légations de France et d'Espagne dans la nécessité de quitter Lisbonne. Ainsi se dévoilent ses intentions hostiles, que masquait faiblement un langage de perfidie et de duplicité. Non seulement les Anglais et leurs marchandises ont été mis en sûreté, mais les préparatifs militaires que fait le Portugal sont dirigés contre la France; il n'attend pour éclater que l'arrivée de l'escadre et de l'armée anglaises qui ont dépouillé le Danemarck : folle espérance, qui, si elle était réalisée, mettrait le comble à tous ses maux. Votre Majesté ic verra avec douleur se ranger parmi ses ennemis; mais elle ne peut plus considérer comme une puissance anie ni comme une puissance neutre celle qui a renoncé à son indépendance, qui a

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laissé violer l'honneur de son pavillon, et qui sacrifie à nos en-
nemis les intérêts de Votre Majesté et ceux de toute l'Europe.
» Le Portugal s'est mis en état de guerre avec la France,
Quelles que
fussent envers lui les dispositions bienveillantes de
Votre Majesté, la guerre contre le Portugal est devenue pour
elle un rigoureux, mais nécessaire devoir. L'intérêt du conti-
nent, d'où les Anglais doivent être exclus, force Votre Majesté
à la déclarer. De plus longs délais n'aboutiraient qu'à mettre
Lisbonne entre les mains de l'Angleterre.

» J'ai donc l'honneur de proposer à Votre Majesté de remettre à la légation de Portugal des passe-ports pour quitter la France, et de regarder comme entièrement rompues des liaisons de paix que le Portugal a voulu rompre.

» Si cette guerre devait conduire le Portugal à subir le sort de tant d'états tombés victimes de l'amitié de l'Angleterre, Votre Majesté, qui ne recherche point de pareils succès, regrettera sans doute que l'intérêt du continent l'ait rendue nécessaire. Ses vues, qui se sont constamment élevées avec sa puissance lui montrent plutôt dans la guerre un fléau pour l'humanité, qu'une nouvelle perspective de gloire, et tous les souhaits de Votre Majesté seraient de n'avoir plus à se vouer qu'à la prospérité de son Empire.

» Je suis avec un profond respect, Sire, etc.

» Fontainebleau, le 21 octobre 1807. Signé CHAMPAGNY. »

Second RAPPORT fait à l'empereur par le ministre des relations extérieures.

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Sire, j'ai l'honneur de remettre sous les yeux de Votre Majesté le rapport qui accompagnait la proposition que je lui avais faite, et qu'elle avait approuvée, de renvoyer la légation portugaise, et de regarder comme rompus tous les liens de paix qui unissaient le Portugal à la France. L'événement a prouvé, Sire, combien était fondée l'opinion que je présentais à Votre Majesté des dispositions du Portugal; combien étaient nécessaires les mesures actives et prévoyantes que Votre Majesté a prises à cette époque, et qui ont été si bien secondées par la rapidité de la marche de ses troupes. En vain la cour de Lisbonne, pour tromper la vigilance de Votre Majesté, a déclaré la guerre à l'Angleterre vingt jours après que votre ministre eut quitté le Portugal, et lorsque son ambassadeur était revenu dans ses foyers; il était évident que cette mesure était concertée avec les Anglais. En vain elle ordonnait le séquestre de leurs mar¬ chandises, décret auquel elle n'a même donné aucune apparence d'exécution, lorsque les marchandises anglaises de quelque valeur et les Anglais avaient été mis à l'abri de toute mesure

dirigée contre eux; sa mauvaise foi n'en était que plus évidente. Elle l'a poussée au point de faire partir un ambassadeur extraordinaire (qui, il est vrai, n'a pas passé les frontières du Portugal) au moment même où, convaincue que Votre Majesté n'avait pu être trompée, elle concertáit sa fuite avec le ministre anglais et le commandant de l'escadre anglaise ; et, peu d'instans avaut de recevoir la nouvelle de cet événement inattendu, un courrier portugais apportait en Italie à Votre Majesté de nouvelles protestations de l'attachement du Portugal à la cause commune; il annonçait le retour de M. de Lima, qui n'a pas quitté Lisbonne, et l'arrivée de l'ambassadeur extraordinaire, M. de Marialvá, probablement dupe, comme le courrier, de la mauvaise foi de sa cour. Ce malheureux courrier, arrivé en Italie, après l'épuisement de toutes ses ressources, y a appris avec désespoir qu'il n'avait plus de gouvernement.

» Le but de ces vi's artifices était évident.

» Le Portugal, fidèle à la cause de l'Angleterre, lui demandait des secours, et voulait gagner du temps pour les attendre. Mais les secours de l'Angleterre ont toujours été funestes à ses alliés ; ils n'ont servi au prince régent qu'à protéger sa fuíte et à assurer la perte de ses états.

» Le prince régent de Portugal est parti le 29 novembre, sur cette escadre qu'on armait, disait-on, tantôt pour faire la guerre à l'Angleterre, tantôt pour transporter au Brésil le prince de Beyra, fils du prince régent, envoyé dans cette colonie afih de l'empêcher de se donner aux Anglais. La maison de Bragance tout entière s'est donnée aux Anglais avec tout ce qu'elle a pu emporter, et le Brésil ne sera plus qu'une colonie anglaise. Le Portugal est enfin délivré du joug de l'Angleterre ; Votre Majesté l'occupe par ses troupes. Il a été laissé sans défense du côté de la mer, et une partie des canons de ses côtes a été enclouée. Aussi l'Angleterre les menace actuellement; elle bloque ses ports; elle veut dévaster ses rivages. L'Espagne a eu des craintes pour Cadix; elle en a pour Ceuta : c'est vers cette partie du monde que les Anglais paraissent vouloir diriger leurs expéditions secrètes. Ils ont débarqué beaucoup de troupes à Gibraltar; ils ont rappelé de ce côté celles qui avaient été chassées du Levant, et une partie de celles qu'ils avaient accumulées en Sicile. Leurs croisières sur les côtes d'Espagne deviennent plus vigilantes; ils semblent vouloir se venger sur ce royaume des revers qu'ils ont éprouvés dans ses colonies. Toute la presqu'île mérite donc de fixer particulièrement l'attention de Votre Majesté. J'ai cru devoir lui exposer cet état de choses; sa sagesse lui dictera les mesures qu'il peut exiger.

»Je suis avec un profond respect, Sire, etc.
» Paris, le 2 janvier 1808. Signé Champagny, ú

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RAPPORT fait à l'empereur par le ministre de la guerre."

Sire, Votre Majesté m'a ordonné de former le premier et le deuxième corps d'observation de la Gironde. Le premier de ces corps, que commande le général Junot, a conquis le Portugal (1). La tête du deuxième est déjà à portée de suivre le premier si les circonstances l'exigent.

» Votre Majesté, dont la prévoyance n'est jamais en défaut, a voulu que le corps d'observation de l'Océan, qu'elle a confié à M. le maréchal Moncey, fût en troisième ligne.

La nécessité de fermer les ports du continent à notre irréconciliable ennemi, et d'avoir sur tous les points d'attaque des moyens considérables, afin de profiter des circonstances heureuses qui se présenteraient pour porter la guerre au sein de l'Angleterre, de l'Irlande et des Indes, peut rendre nécessaire la levée de la conscription de 1809.

» Le parti qui domine à Londres a proclamé le principe de la guerre perpétuelle, et l'expédition de Copenhague a révélé ses intentions criminelles. Quoique l'indignation de toute l'Europe se soit soulevée contre l'Angleterre, quoique dans aucune époque la France n'ait eu des armées aussi nombreuses, ce n'est point assez encore; il faut que l'influence anglaise puisse être attaquée partout où elle existe, jusqu'au moment où l'aspect de tant de dangers portera l'Angleterre à éloigner de ses conseils les oligarques qui les dirigent, et à confier l'administration à des hommes sages, et capables de concilier l'amour et l'intérêt de la patrie avec l'intérêt et l'amour du genre humain..

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Une politique vulgaire aurait pu déterminer Votre Majesté à désarmer; mais cette politique serait un fléau pour la France; elle rendrait imparfaits les grands résultats que vous avez préparés. Oui, Sire, Votre Majesté, loin de diminuer ses armées, doit les accroître jusqu'à ce que l'Angleterre ait reconnu l'indépendance de toutes les puissances, et rendu aux mers cette tranquillité que Votre Majesté a assurée au continent. Sans doute Votre Majesté doit souffrir d'exiger de ses peuples de nouveaux sacrifices, de leur imposer de nouvelles obligations; mais elle doit aussi se rendre à ce cri de tous les Français point de repos jusqu'à ce que les mers soient affranchies, et qu'une paix équitable ait rétabli la France

:

(1) Le général Junot avait été nommé gouverneur général du Portugal.

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