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Discours du président du Tribunat à l'impératrice.

- Du même jour.

« Madame, parmi les hommages que la reconnaissance et le respect rendent au nouveau chef héréditaire de la nation, le plus doux, le plus cher à nos cœurs est celui que nous venons offrir à son auguste compagne.

» A mesure que nous faisons revivre les principes fondamentaux de l'ancienne constitution de l'Etat, qu'il a fallu pour l'intérêt du peuple et de la nouvelle dynastie elle-même concilier avec le système représentatif, nous revenons d'une manière chaque jour plus sensible à ces habitudes sociales, à ces mœurs douces, à ce caractère aimant qui distinguaient les Français pardessus tous les autres peuples.

» Les femmes reprennent le rang dont une grossière démagogie les avait écartées; nous ne séparons plus l'épouse de l'époux; les honneurs leur sont communs. Qui plus que Votre Majesté est digne de partager ceux du trône avec ce héros dont vous avez partagé la fortune, adouci les travaux, charmé les instans de loisir !

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Si d'éminens services et son génie l'appellent au rang suprême, la douceur et la bienfaisance de votre caractère, vos qualités aimables, cette inépuisable bonté qui ne s'est jamais démentie, et la constante expérience qu'en ont faite ceux qui ont eu recours à vous, font bénir l'heureuse étoile qui vous a placée à côté de lui.

» Tandis qu'il veillera sur l'Empire, continuez, madame, à veiller sur son bonheur intérieur; la nation vous en sera reconnaissante. C'est l'emploi que votre cœur a pris des longtemps; la France le confirme avec confiance dans les mains de Votre Majesté impériale. »

DISCOURS prononcé par Son Excellence M. François (de Neufchâteau), président du Sénat conservateur, le dimanche 7 prairial an 12 (27 mai 1804), à l'occasion du serment individuel prêté le même jour à l'empereur par les membres du Sénat.

Sire, le senatus-consulte du 28 floréal confere à Votre Majesté l'empire le plus légitime qu'il y ait sur la terre. Ce n'est point une charte arrachée par la force dans un siècle de barbarie, ce n'est point le droit de conquête qui vous fait empereur; c'est le choix libre et réfléchi d'une nation éclairée. Il n'y a dans le monde aucune autorité qui puisse présenter

un plus saint caractère, ni qui ait pu avoir pour base un titre plus légal.

Les membres du Sénat viennent prêter entre vos mains le serment individuel que ce grand acte leur prescrit. Permettez à celui d'entr'eux que Votre Majesté a bien voulu choisir pour être leur premier organe d'essayer de vous exprimer les sentimens que leur inspire cette auguste cérémonie. Quand Votre Majesté, qui répare tant de ruines, rétablit aussi parmi nous la religion du serment, nous devons bien considérer l'objet et l'étendue des promesses inviolables que nous allons

vous faire. Heureux si je pouvais les rendre aussi bien que je les conçois !

» En notre qualité de gardiens et d'interprètes des lois constitutionnelles, nous avons adopté, au nom de la patrie, le contrat solennel qui vous lie à ses destinées avec la qualité et le rang d'empereur. Nous avons désiré que ce lien sacré s'étendit éternellement au sang de Bonaparte, et l'hérédité de l'Empire est proposée en conséquence à l'approbation du peuple. Sûrs d'avoir pressenti son vou, parce que nous n'avons consulté que son intérêt, nous nous félicitons d'avance de son assentiment prochain; mais pendant qu'il explique dans une forme régulière sa volonté suprême sur l'ordre de transmission de sa grande magistrature, nous remplissons ici un des premiers devoirs du corps conservateur en prenant à témoin le Dieu qui voit les consciences, le Dieu qui punit les parjures, de notre ferme volonté d'obéir scrupuleusement aux lois fondamentales de la République française, et d'être constamment fidèles à celui que ces lois appellent à nous gouverner sous le seul nom qui rende d'une manière convenable l'idée d'un homme qui commande en vertu de la loi à trente millions d'hommes.

» Pour remplir cette idée sublime vous n'auriez eu besoin sans doute ni d'un titre nouveau, ni d'un autre pouvoir; Bonaparte, premier consul, était déjà l'honneur et l'orgueil de la France. Des siècles écoulés sous le gouvernement des rois sont effacés par quatre années du gouvernement consulaire ; mais le chef des Français était trop au-dessus des consuls et des rois pour que leur nom pût lui suffire. Les consuls ne furent à Rome que des magistrats temporaires; et déjà vous aviez été nommé premier consul à vie. En France les rois n'ont été que des suzerains féodaux; et la France n'a plus de fiefs, et n'en veut plus avoir. Tous les Français demandent un premier magistrat dont le nom représente la majesté nationale, dont le pouvoir soit fixe, et s'accorde pourtant avec la liberté, c'est à dire avec ce beau droit dont les Français

sont si jaloux, ce droit de n'obéir qu'aux lois et de ne craindre qu'elles.

» Le seul nom d'empereur remplit ces diverses conditions pour la France, pour vous, pour le peuple français.

» Pour la France. Ce grand pays réunissant en un seul corps les trois cents nations qui jadis partageaient la surface des Gaules, ce vaste territoire, devenu homogène, se classe naturellement au nombre des premiers empires.

>> Pour Votre Majesté. Les vertus martiales et les vertus civiles, et le génie et la fortune s'unissent d'un autre côté pour élever Napoléon au rang des premiers empereurs.

>> Pour le peuple français. Cette dénomination est également assortie avec la dignité qui est redevenue aujourd'hui l'apanage de chaque citoyen. Si l'on put jadis réclamer avec une juste fierté les droits, peut-être vexatoires pour le reste des hommes, de la cité romaine, à combien plus forte raison les membres de la République doivent-ils se glorifier d'appartenir à un état où l'homme et la glèbe sont libres, où nul n'est plus serf ni vassal, où aucune propriété n'est plus déshonorée par la tache de la roture, où aucune industrie n'est plus découragée par des entraves flétrissantes, où il n'y a que le mérite qui puisse prétendre aux honneurs, et où, bien loin d'avoir, comme on le croit communément, aboli la noblesse, on n'a fait que reprendre cette distinction à un très petit nombre de familles. usurpatrices pour en restituer l'éclat à la grande famille, qui en était déshéritée, et pour ramener tout un peuple brave, ardent, magnanime, à cette égalité des droits qui fut son attribut sous la première dynastie, mais qui, vers le milieu de la seconde race, ne fut plus par malheur que le monopole et la proie de quelques privilégiés? C'est cette égalité des droits, seule véritable noblesse, que les Français ont reconquise au prix de tant de sang, de tant d'exploits, de tant d'efforts dans ces longues années de révolution, de tourment et d'angoisses, dont Napoléon Bonaparte, comme premier consul, leur a montré le terme, et dont, comme empereur, il doit leur garantir le prix."

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Sire, nous élevons, nous distinguons une famille, pour que toutes les autres demeurent dans l'égalité. On ne saurait trop le redire, c'est afin de la racheter cette égalité primitive que la France s'était armée en 1789; c'est afin de la conserver qu'après trois lustres écoulés la France vous nomme empereur, et rend ce titre héréditaire. Nous faisons une seule et grande exception, parce qu'elle est indispensable pour conserver la règle.

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» Il n'y a point de bonnes lois que celles qui reposent sur

cette égalité des droits; c'est un principe dont personne ne peut contester l'évidence.

>> Sans doute les avis different autant que les individus. Que l'on propose à tous les hommes toutes les lois possibles; il est probable que chacun en choisirait de singulières, et que par ce moyen l'on ne parviendrait pas à faire un code général. Nous avons cependant une règle infaillible pour discerner les bonnes et les mauvaises lois; c'est leur conformité à la loi naturelle qui décide leur excellence : or l'application des droits et des besoins des hommes réunis en société se distingue à deux caractères qu'on ne peut méconnaître, savoir, l'utilité commune et l'égalité naturelle.

» Je dis en premier lieu l'utilité commune. L'avantage du plus grand nombre est la mesure la plus juste du statut que prescrit la volonté de tous.

» 2o. De l'égalité primitive résulte un autre caractère de l'équité suprême: rien n'est juste en effet que ce qui est égal aux regards de la loi pour tous les citoyens. Or quel était à cet égard avant la révolution ce qu'on nommait pourtant le droit commun de nos provinces? Quel droit commun, bon Dieu! Quel amas de bizarreries, de contradictions, de bigarrures monstrueuses!

» Sous le point de vue politique, combien de peuples dans un peuple! Combien d'états dans un état! Quelles barrieres révoltantes du bord d'une rivière à l'autre !

» Sous les rapports civils, qui touchent de plus près les hommes, quel mur de separation et entre les familles des castes différentes, et même entre les membres d'une même famille !

N'était-il pas inique que les successions fussent distribuées à des enfans d'un même père de façon qu'un seul avait tout, et que ses frères et ses sœurs le voyaient s'enrichir de leur propre substance?

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N'était-il pas intolérable qu'un petit nombre d'hommes soi-disant de naissance , accaparassent les honneurs, dignités, les fonctions, et que la multitude laborieuse, instruite, maniant presque seule le soc, et la plume, et l'épée, portant tout le fardeau des contributions publiques, et formant le vrai fonds du peuple, fût réduite à maudire ce régime anti-social, dont toutes les faveurs étaient de droit le patrimoine de quelques courtisans?

» Voilà une partie des abus qu'a détruits la révolution ; et voilà les seuls avantages que nous aurait rendus la contrerévolution!

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Ah! plaignons les victimes de cette révolution! Plaignons

ceux qu'elle a moissonncs, et qui sont morts, hélas ! dans ces luttes terribles sans espérer ou sans prévoir le jour que nous voyons éclore! Les mânes généreux des martyrs de la liberté seraient sans doute consolés s'ils pouvaient jouir du spectacle que présente aujourd'hui la France. Pour nous, qui avons par miracle traversé quinze années d'orages, nous nous félicitons d'être venus assez avant dans la carrière de la vie pour voir notre patrie enfin indépendante, calme, tranquille, réfléchie retournant d'elle-même au seul gouvernement qui peut lui assurer l'égalité et le repos, et la préserver désormais des dissensions intestines, des invasions du dehors, et de la rage parricide de ceux de ses enfans qui veulent déchirer le sein de leur mère.

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» Grâce à votre étoile, Sire, ils sont donc arrivés pour nous ces jours si longtemps attendus, si chèrement payés ces jours où nous pouvons asseoir sur une base stable et à jamais invariable les Constitutions de la République française! Grâce à votre génie, l'égalité des droits n'est plus une chimère; et en la cimentant nous avons pù nous garantir des deux excès qui sont à craindre dans la formation du pacte social. Je ne viens point, comme tant d'autres, accuser après coup ceux qui ont essayé des modes d'arriver à ce but plus ou moins raisonnés, plus ou moins lusoires : rendons grâces plutôt au courage de ceux qui ont voulu la République, et qui n'ont pas désespéré de la cause du peuple ! Mais en voulant servir cette cause sacrée on se trompe de deux manières. On craint toujours de trop donner ou à la multitude, qui ne peut exercer ses droits, ou aux hommes qu'elle commet pour les exercer en son nom; les mandans et les mandataires récriminent sans cesse les uns contre les autres. Entre ces deux écueils, l'auteur qui a le mieux tracé la seule route à suivre est un grand écrivain français, celui qui a parlé avec une onction si rare pour les peuples et pour les princes, ce même Fénélon qui dessina pour Télémaque un bouclier supérieur aux armes d'Achille et d'Enée; c'est lui qui, en faisant parler le vertueux Socrate, développe énergiquement l'esprit et les motifs d'un corps de lois fondamentales. Socrate et Fénélon sont des autorités qu'on peut citer à Bonaparte. Ecoutez, Sire, ce qu'ils disent :

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« Un peuple gâté par une liberté excessive est le plus insupportable de tous les tyrans: ainsi la populace soulevée » contre les lois est le plus insolent de tous les maîtres. Mais il » faut un milieu : ce milieu est qu'un peuple ait des lois écrites, toujours constantes, et consacrées par toute la nation; qu'elles soient au-dessus de tout; que ceux qui gouvernent

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