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» n'aient d'autorité que par elles; qu'ils puissent tout pour le bien, et suivant les lois; qu'ils ne puissent rien contre ces lois » pour autoriser le mal. Voilà ce que les hommes, s'ils n'étaient » pas aveugles et ennemis d'eux-mêmes, établiraient unani» mement pour leur propre félicité. Mais les uns, comme les Athéniens, renversent les lois de peur de donner trop d'autorité aux magistrats, par qui les lois devraient régner; et » les autres, comme les Perses, par un respect superstitieux » des lois, se mettent dans un tel esclavage sous ceux qui » devraient faire régner les lois, que ceux-ci règnent euxmêmes, et qu'il n'y a plus d'autre loi réelle que leur volonté absolue, Ainsi les uns et les autres s'éloignent du but, qui » est une liberté modérée par la seule autorité des lois, dont ceux qui gouvernent ne devraient être que les simples défen» scurs. Celui qui gouverne doit être le plus obéissant à la loi; sa personne, détachée de la loi, n'est rien, et elle n'est con» sacrée qu'autant qu'il est lui-même, sans intérêt et sans » passion, la loi vivante donnée pour le bien des hommes (1).»

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»En lisant ce morceau, si digne de l'archevêque de Cambrai et de celui qu'il fait parler, on croit lire le préambule du senatus-consulte du 28 floréal; ces lignes remarquables forment en quelque sorte la préface et l'extrait du contrat synallagmatique établi dans les clauses du grand acte où l'on a stipulé les engagemens réciproques et les droits respectifs entre le peuple et l'empereur.

>> Plus on étudiera les dispositions de ce contrat auguste, pesées pendant deux mois avec une maturité et un calme si imposans, plus on se convaincra que le Sénat conservateur a tâché de répondre, non par esprit de corps, mais par esprit national, à sa mission et à la confiance que vous lui avez témoignée; plus on y trouvera surtout l'empreinte de votre génie. Le Sénat, fidèle à son titre, a voulu conserver toutes nos institutions en les fortifiant. Vous avez partagé ses vues; non content de les accueillir, vous avez provoqué toutes les idées libérales. Ceux qui ont pu être témoins de ces discussions profondes par lesquelles on préparait un acte de cette importance se sont félicités d'admirer de plus près et votre amour pour la patrie, et votre respect pour le peuple. Ah! sans doute, avec un grand homme tel que notre auguste empereur, nous n'aurions pas besoin de prendre tant de précautions pour garantir nos droits, dont il est pénétré; nous n'aurions eu qu'à nous livrer, qu'à

(1) OEuvres de Fénélon, tome 4, in-4°, page 106, édition de F. A. Didot.

nous confier à lui-même. Nous aurions pu nous dire que Votre Majesté, poursuivie à toute heure par un génie inexorable, par le soin de sa propre gloire, se délassant par le travail, n'ayant qu'un but et qu'un objet, n'existe en quelque sorte que pour la noble ambition de rendre les Français heureux. Oui, Votre Majesté est vraiment cette loi vivante et donnée pour le bien des hommes, dont parle Fénélon. Mais qu'il est consolant pour nous d'avoir vu sa sollicitude pour les chances de l'avenir aller en quelque sorte au devant de nos craintes! Que nous sommes encouragés par les mesures qu'elle a prises pour perpétuer son esprit dans tous les rejetons de la famille impériale, et pour assurer parmi eux la survivance des lumières et de l'instruction, qui les rendra plus dignes de la transmission du sceptre et de l'autorité! Que nous sommes heureux de pouvoir annoncer à nos concitoyens que si l'expérience ou le besoin du peuple indiquent par la suite qu'il manque quelque chose au senatusconsulte médité avec tant de soin, Votre Majesté, informée des désirs du peuple français, s'empressera d'y déférer; que vous n'avez en vue que la félicité publique, l'encouragement des vertus, le triomphe des bonnes mœurs, les progrès de l'agriculture, la splendeur du commerce, l'éclat des arts et des sciences, l'essor de tous les grands talens, la propagation de toutes les lumières, enfin, pardessus tout, l'honneur du nom français, et que, si vous suivez toujours vos propres inspirations, chaque moment de votre règne resserrera de plus en plus les liens du contrat qui vient d'intervenir de l'empereur au peuple, et les oblige l'un et l'autre !

» Mais, Sire, en ce grand jour nos yeux cherchent en vain auprès de Votre Majesté impériale celui de vos augustes frères appelé le premier dans la charte nationale au titre de l'hérédité. En lui les membres du Sénat chérissent un collègue aimable et vertueux; en lui plusieurs peuples révèrent un négociateur intègre. Le Sénat aurait désiré de le voir ici à sa tête comme grand électeur, et de le saluer sous le titre qui lui est dû, et' qu'il rendra si glorieux, de Son Altesse impériale le prince Joseph Bonaparte! Mais vous avez voulu qu'il eût de nouveaux droits à l'amour de la nation; vous l'avez envoyé à l'armée sur les côtes. Cette main respectée, qui a signé trois fois la paix à Lunéville, à Morfontaine, et enfin dans Amiens, a quitté tout à coup la plume pacifique pour l'épée vengeresse de l'infraction des traités. Sire, quels souvenirs et quel rapprochement! C'est le 6 germinal an X que votre illustre frère signait la paix d'Amiens avec un cabinet perfide; c'est le 6 germinal la que preuve authentique des attentats ourdis contre votre existence par un agent diplomatique de ce gouvernement

an XII

parjure nous a déterminés à vous presser de mettre un terme aux trames des conspirateurs, aux rêves des ambitieux, et aux inquiétudes de tous les bons Français ! Vous avez rempli nos désirs. Le senatus-consulte du 28 floréal est un monument immortel dont nous devons peut-être remercier nos ennemis. Jamais la haine aveugle du ministère britannique ne fut, contre son gré, si utile à la France. Il ne se doute pas du service éminent que nous ont rendu ses fureurs en voulant vous assassiner, il s'est flétri lui-même aux yeux des nations; mais il a averti la nation française de ce qui lui restait à faire pour déconcerter à jamais les atroces combinaisons du cabinet de Londres et des Français qui s'avilissent au point d'être ses satellites. Oui, sous ce point de vue, le 6 germinal est un jour qui devra être inscrit dans les fastes de notre histoire ! Ce jour a raffermi la grande République sur d'immuables fondemens; ce jour, sans sortir de Paris, nous avons vaincu l'Angleterre!

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» Souffrez, Sire, que le Sénat s'applaudisse d'avoir saisi une pensée qui était bien dans tous les cœurs et qu'il n'a eu que le bonheur de vous exprimer le premier. Le vœu national, le vœu universel était de vous nommer empereur des Français, et de voir commencer en vous la dynastie des Bonaparte. Elle a commencé par cet acte que le Sénat en corps est venu vous offrir, et dont le serment solennel, que ses membres vont vous prêter, garantit de leur part la fidèle exécution. Par ces démarches éclatantes le premier corps constitué donne à tous les Français l'exemple, qui sera suivi, des sentimens d'amour, d'obéissance et de respect par lesquels un grand peuple consacre son attachement à la haute magistrature qu'il charge du maintien de son bonheur et de sa gloire. Nulle autre nation n'est plus portée à vénérer et à chérir son chef quand elle est convaincue, comme elle a le bonheur de l'être en ce moment, que le dépositaire de son pouvoir suprême ne peut être animé que du même esprit qu'elle, et ne peut jamais séparer ses propres intérêts des intérêts de la patrie.

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» Un inconvénient des grandes dignités c'est d'entraîner de longs discours ici heureusement les phrases sont plus qu'inutiles. En parlant à notre empereur nous avons le bonheur de nous adresser à un homme qui connaît aussi bien que nous ses devoirs et nos droits; son esprit nous entend, son génie nous devine, et son cœur nous répond. Unis en un si haut degré, l'esprit, le génie et le cœur sont faits pour gouverner le monde. En imprimant à Bonaparte ce cachet naturel de sa supériorité, le ciel l'a formé pour le trône. Il n'a pas besoin de leçons; il est au-dessus des éloges : ne le fatiguons pas par des harangues

superflues. Si nous croyons pouvoir offrir un aliment à sa pensée, exprimons-le en peu de paroles.

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Sire, trois mots mystérieux furent gravés jadis en caractères d'or au fronton du temple de Delphes: la Liberté, les Lois, la Paix. Ces trois mots sont un abrégé des devoirs principaux des hommes qui gouvernent, et des premiers besoins, par conséquent des premiers droits des hommes qui sont gouvernés. La liberté, les lois, la paix, voilà l'esprit et la substance de tous les traités politiques; voilà ce que demande particulièrement la nation française, destinée à faire valoir les richesses d'un sol fertile et d'un climat heureux, mais qui ne peut les voir fleurir qu'autant qu'elle conserve ces trois premières bases du bonheur social.

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Voilà, Sire, ce qu'elle sait que vous voulez lui assurer. Vous n'acceptez l'Empire que pour sauver la liberté; vous ne consentez à régner que pour faire régner les lois; vous ne fites jamais la guerre que pour avoir la paix, toujours prêt à poser les armes sitôt que l'honneur le permit. Les prodiges de votre vie en présentent plus d'un exemple. Vous vous êtes deux fois arrêté devant Vienne. Maître d'un territoire immense, vous décidâtes les Français à évacuer leurs conquêtes par le seul amour de la paix. Loin d'enflammer l'ardeur d'une nation belliqueuse, vous avez su la contenir. Même au milieu de vos trophées, les amis de l'humanité remarquaient avec intérêt que vous donniez, dans le récit de vos propres victoires, un soupir aux malheurs du monde. Si vous fûtes grand dans la guerre, vous avez bien senti que vous seriez plus grand encore et plus illustre dans la paix. La liberté, les lois, la paix, ĉes trois mots de l'oracle semblent avoir été réunis tout exprès pour composer votre devise et celle de vos successeurs. Si les ennemis de la France veulent nous arracher cette devise inestimable, ils éprouveront à jamais ce que peut notre nation.quand elle est bien conduite, et que, d'accord avec ses chefs, elle ne combat seulement que pour montrer au monde son amour pour la liberté, son respect pour ses lois, son désir de la paix!

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Sire, les Romains souhaitaient à chaque nouvel empereur d'être plus fortuné qu'Auguste et plus vertueux que Trajan (1). Nous n'avons pas besoin de chercher dans l'histoire des rapprochemens dont aucun ne saurait vous flatter; nulle autre époque ne ressemble à l'époque de Bonaparte. Nous ne connaissons qu'un souhait qui soit digne de vous, Sire: soyez longtemps vous-même; vous n'aurez point eu de modèle, et

(1) Felicior Augusto, melior Trajano,

vous en servirez toujours. Oui, Sire, vous en servirez, et c'est ici le grand objet que nous nous sommes proposé en décrétant l'hérédité.

» Dans un avenir reculé, quand les enfans de nos enfans viendront dans le même appareil reconnaître comme empereur celui de vos petits-enfans ou de vos arrière-neveux qui devra recevoir leur serment de fidélité, pour lui peindre les sentimens, les vœux et les besoins du peuple, pour lui tracer tous ses devoirs, on n'aura qu'un mot à lui dire : « Vous vous appelez Bonaparte; vous êtes l'homme de la France: prince, souvenez-vous du grand Napoléon!

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» Pardonnez, Sire, ah! pardonnez l'émotion involontaire qui accompagne ces paroles; elles sont sorties de mon cœur ; l'attendrissement qui s'y mêle en a troublé l'expressión : mais Votre Majesté n'en sera pas blessée; ah! si la politique des princes ordinaires ne permet pas d'être sensible, celui qui fut un très grand homme avant d'être un grand prince, celui-là j'en suis sûr, ne me saura pas mauvais gré de m'être laissé émouvoir pour tout ce qu'il y a de plus touchant parmi les hommes généreux, l'idée de la patrie et celle du bonheur de la postérité ! »

Du recensement des votes émis pour l'hérédité de la dignité impériale.

L'article 142 du senatus-consulte organique du 28 floréal an 12 portait que le peuple serait consulté sur cette question :

« Le peuple français VEUT l'hérédité de la dignité impériale, etc.» (Voyez le tome précédent.)

Le résultat des votes donna l'affirmative.

Le 2 brumaire an 13, par l'organe de M. le conseiller d'état Bigot Préameneu, le gouvernement proposa en conséquence un senatusconsulte portant:

«La dignité impériale EST héréditaire, etc. »>

Le Sénat renvoya immédiatement ce projet de senatus-consulte, avec les pièces qui l'accompagnaient, à une commission spéciale chargée de lui en faire un rapport.

Dès le lendemain cette commission entreprit l'examen qui lui était confié. Le 15 elle mit sous les yeux du Sénat le procès-verbal de recensement et le rapport y relatif ; et dans la même séance le Sénat

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