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retardé mon voyage. Les événemens d'Aranjuez ont eu lieu. Je ne suis point juge de ce qui s'est passé et de la conduite du prince de la Paix, mais ce que je sais bien c'est qu'il est dangereux pour les rois d'accoutumer les peuples à répandre du sang et à se faire justice eux-mêmes : je prie Dieu que Votre Altesse Royale n'en fasse pas elle-même un jour l'expérience. Il n'est pas de l'intérêt de l'Espagne de faire du mal à un prince qui a épousé une princesse du sang royal (1), et qui a si longtemps régi le royaume. Il n'a plus d'amis: Votre Altesse' royale n'en aura plus si jamais elle est malheureuse. Les peuples se vengent volontiers des hommages qu'ils nous rendent. Comment d'ailleurs pourrait-on faire le procès au prince de la Paix sans le faire à la reine et au roi votre père? Ce proces alimentera les haines et les passions factieuses; le résultat en sera funeste pour votre couronne. Votre Altesse royale n'y a de droits que ceux que lui a transmis sa mère : si le procès la déshonore, Votre Altesse royale déchire par là ses droits. Qu'elle ferme l'oreille à des conseils faibles et perfides. Elle n'a pas le droit de juger le prince de la Paix ; ses crimes, si on Jui en reproche, se perdent dans les droits du trône. J'ai souvent manifesté le désir que le prince de la Paix fût éloigné des affaires; l'amitié du roi Charles m'a porté souvent à me taire et à détourner les yeux des faiblesses de son attachement. Misérables hommes que nous sommes ! faiblesse et erreur, c'est notre devise. Mais tout cela peut se concilier; que le prince de la Paix soit exilé d'Espagne, et je lui offre un refuge en France. Quant à l'abdication de Charles IV, elle a eu lieu dans un moment où mes armées couvraient les Espagnes, et aux yeux de l'Europe et de la postérité je paraîtrais n'avoir envoyé tant de troupes que pour précipiter du trône mon allié et mon ami. Comme souverain voisin, il m'est permis de vou loir connaître avant de reconnaître cette abdication. Je le dis à Votre Altesse royale, aux Espagnols, au monde entier si l'abdication du roi Charles est de pur mouvement, s'il n'y ap pas été forcé l'insurrection et l'émeute d'Aranjuez, je ne fais aucune difficulté de l'admettre, et je reconnais Votre Altesse royale comme roi d'Espagne. Je désire donc causer avec elle sur cet objet. La circonspection que je porte depuis un mois dans ces affaires doit lui être garant de l'appui qu'elle trouvera en moi si à son tour des factions, de quelque nature

par

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(1) Charles IV avait donné une de ses cousines en mariage au prince de la Paix; c'est dans cette occasion que des généalogistes firent des ceydre Godoi de l'empereur Montezumany and an

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qu'elles soient, venaient à l'inquiéter sur son trône. Quand le roi Charles me fit part de l'événement du mois d'octobre dernier j'en fus douloureusement affecté ; et je pense avoir contribué, par les insinuations que j'ai faites, à la bonne issue de l'affaire de l'Escurial, Votre Altesse royale avait bien des torts; je n'en veux pour preuve que la lettre qu'elle m'a écrite et que j'ai constamment voulu ignorer. Roi à son tour, elle saura combien les droits du trône sont sacrés. Toute démarche près d'un souverain étranger de la part d'un prince héré→ ditaire est criminelle. Votre Altesse royale doit se défier des écarts, des émotions populaires. On pourra commettre quelques meurtres sur mes soldats isolés; mais la ruine de l'Espagne en serait le résultat. J'ai déjà vu avec peine qu'à Madrid on ait répandu des lettres du capitaine général de la Catalogne, et fait tout ce qui pouvait donner du nouvement aux têtes. Votre Altesse royale connaît ma pensée tout entière: elle voit que je flotte entre diverses idées qui ont besoin d'être fixées. Elle peut être certaine que dans tous les cas je me comporterai avec elle comme envers le roi son père. Qu'elle croie à mon désir de tout concilier et de trouver des occasions de lui donner des preuves de mon affection et de ma parfaite estime. Sur ce, etc., etc.

» Baïonne, le 16 avril 1808. »

Le 30 avril Baïonne possédait dans ses murs, avec l'empereur et l'impératrice des Français, le roi Charles et sa femme, le prince des Asturies, l'infant don Carlos, la reine d'Etrurie, le prince de la Paix, les ministres de France et d'Espagne, etc. Ferdinand n'y fut traité, même avant l'arrivée de son père, qu'en sa qualité de prince, Charles IV fut reçu en roi : il s'était d'abord retrouvé entouré des gardes du corps et des courtisans qui l'avaient trahi à Aranjuez; mais il leur évita de nouvelles bassesses en les congédiant aussitôt. Après les premières cérémonies de sa réception, s'étant aperçu que Ferdinand se disposait à le suivre dans son appartement, Arrétes, prince, lui dit-il, n'avez-vous pas assez outragé mes cheveux blancs? Le surlendemain (2 mai ) il lui écrivit : « Mon fils, les conseils per» fides des hommes qui vous environnent ont placé l'Espagne dans » une situation critique; elle ne peut plus être sauvée que par l'em» pereur. Depuis la paix de Bâle j'ai senti que le premier intérêt de » mes peuples était de vivre en bonne intelligence avec la France... » (Suivait un tableau de la conduite politique du roi Charles et des intrigues de son fils.) « Mon cœur s'est ouvert tout entier a l'empereur; il » connait tous les outrages que j'ai reçus et les violences qu'on m'a faites; il m'a déclaré qu'il ne vous reconnaîtrait jamais pour roi,

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;» et que l'ennemi de son père ne pouvait inspirer de la confiance » › aux étrangers; d'ailleurs il m'a montré des lettres de vous qui fout

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» foi de votre haine contre la France... En m'arrachant la couronne » c'est la vôtre que vous avez brisée; vous lui avez òté ce qu'elle » avait d'auguste, ce qui la rendait sacrée à tous les hommes. Votre » conduite envers moi, vos lettres interceptées, ont mis une barrière » d'airain entre vous et le trône d'Espagne. Il n'est ni de votre inté» rêt ni de celui des Espagnes que vous y prétendiez. Gardez-vous » d'allumer un feu dont votre ruine totale et le malheur de l'Espagne » seraient le seul et inévitable effet! Je suis roi du droit de mes pères, >> mon abdication est le résultat de la force et de la violence. Je n'ai » donc rien à recevoir de vous; je ne puis adhérer à aucune réunion » d'assemblée...... J'ai régné pour le bonheur de mes sujets ; je ne veux >> point leur léguer la guerre civile, les émeutes, les assemblées po. »pulaires et les révolutions. Tout doit être fait pour le peuple, et » rien par lui. Oublier cette maxime c'est se rendre coupable de » tous les crimes qui dérivent de cet oubli. »

A cette lettre, dictée par Napoléon au roi Charles, avaient succédé pendant trois jours des conférences et des propositions analogues aux projets qu'elle annonçait, lorsqu'une nouvelle de Madrid vint mettre un terme à toutes les négociations, et décider du sort de Charles IV et de son fils: il n'y eut plus de la part de ce dernier qu'à obéir et signer, Le peuple de Madrid s'était soulevé contre les Français ; du sang avait été répandu le calme était rétabli; on effectuait le désarmement des citoyens; mais toute l'Espagne était soumise à un gouvernement militaire, et ne devait plus reconnaître que l'autorité du grand-duc de Berg, lieutenant-général de l'empereur Napoléon dans les Espagnes, et président de la junte suprême. Quand le roi Charles eut appris ces nouvelles il fit appeler le prince des Asturies, et lui dit : « Voilà ce qu'ont produit les conseils que vous ont donnés des >> hommes coupables, de flatter l'opinion de la multitude, et d'ou>>blier le saint respect dû au trône et à l'autorité légitime! Il en est » des commotions populaires comme des incendies; on les' allume » facilement; mais il faut une autre expérience et surtout un autre » bras que le votre pour les éteindre. »

La rélation de l'événement de Madrid fut immédiatement suivie de la restitution du tróne d'Espagne faite par Ferdinand à son père, et conçue dans les termes les plus soumis; d'une proclamation du roi Charles à ses peuples pour les engager à ne voir de prospérité et de salut que dans l'amitié du grand empereur Napoléon; d'un traité, en date du 5 mai, d'après lequel Charles IV cédait son trône à Napoléon, comme le seul qui, au point où en étaient les choses, pouvait rétablir l'ordre par un autre traité, du 10 mai, le prince des Asturies, les

infans don Carlos, don Antonio et don Francisque, adhéraient am traité du 5, et renonçaient à toujours à leurs prétentions à la couronne d'Espagne. Toute cette famille détrónée recevait un asile en France. Le roi Charles obtenait le palais de Compiègne, avec une liste civile de trente millions de réaux. La terre de Navarre était donnée au prince des Asturies, et il était alloué à chaque infant une rente de quatre cent mille francs.

Une proclamation de Napoléon annonça aux Espagnols les droits qu'il avait acquis sur eux. Bientôt après la junte suprême de Madrid, composée par les soins de Murat, adressa à l'empereur des Français, avec des protestations de soumission et de fidélité, la demande d'an roi choisi dans les princes de sa famille.

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PROCLAMATION.

Espagnols, après une longue agonie, votre nation périssait. J'ai vu vos maux; je vais y porter remède. Votre grandeur, votre puissance fait partie de là mienne.

Vos princes m'ont cédé tous leurs droits à la couronne des Espagnes. Je ne veux point régner sur vos provinces; mais je veux acquérir des titres éternels à l'amour et à la reconnaissance de votre postérité.

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»Votre monarchie est vieille; ma mission est de la rajeunir. J'améliorerai toutes vos institutions, et je vous ferai jouir, si vous me secondez, des bienfaits d'une réforme sans froissemens, sans désordres, sans convulsions.

Espagnols, j'ai fait convoquer une assemblée générale des députations des provinces et des villes : je veux m'assurer par noi-même de vos désirs et de vos besoins.

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» Je déposerai alors tous mes droits, et je placerai votre glorieuse couronne sur la tête d'un autre moi-même, en vous garantissant une Constitution qui concilie la sainte et salutaire autorité du souverain avec les libertés et les priviléges du peuple.

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Espagnols, souvenez-vous de ce qu'ont été vos pères; voyez ce que vous êtes devenus: La faute n'en est pas à vous, mais à la mauvaise administration qui vous a régis. Soyez pleins d'espérance et de confiance dans les circonstances actuelles; car je veux que vos derniers neveux conservent mon souvenir, et disent: il est le régénérateur de notre patrie. Donné en notre palais impérial et royal de Bayonne, le, 25 mai de l'an 1808. Signé NAPOLÉON. »

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Napoléon, etc.

DÉCRET.

» La junte d'état, le conseil de Castille, la ville de Madrid, etc., etc., nous ayant par des adresses fait connaître que le bien de l'Espagne voulait que l'on mit promptement un terme à l'interrègne, nous avons résolu de proclamer, comme nous proclamons par la présente, notre bien-aimé frère Joseph Napoléon, actuellement roi de Naples et de Sicile, roi des Espagnes et des Indes.

Nous garantissons au roi des Espagnes l'indépendance et l'intégrité de ses états, soit d'Europe, soit d'Afrique, soit d'Asie, soit d'Amérique.

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Enjoignons au lieutenant-général du royaume, aux ministres et au conseil de Castille, de faire expédier et publier la présente proclamation dans les formes accoutumées, afin que personne n'en puisse prétendre cause d'ignorance.

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Donné en notre palais impérial de Bayonne, le 6 juin 1808. Signé NAPOLÉON. »

Joseph ne tarda pas à arriver à Baïonne, où il reçut, par l'organe d'un grand nombre de députations que Murat avait envoyées des différentes provinces d'Espagne, les félicitations et les sermens de ses nouveaux sujets. Une junte générale avait été convoquée dans la même ville; le 6 juillet 1808, sur la proposition de Napoléon, elle adopta la Constitution espagnole, semblable sous plusieurs rapports aux Constitutions impériales de l'Empire français.

Ainsi se terminèrent les arrangemens de Baïonne. Les derniers Bourbons qui régnassent encore en Europe se rendaient captifs dans l'intérieur de la France; Joseph partait pour s'asseoir sur le trône d'Espagne; Murat était appelé à le remplacer sur celui de Naples. Napoléon avait fait et défait des rois; mais le plus important restait à obtenir, le consentement des peuples; et déjà les Espagnols et les Portugais, en insurrection contre les troupes françaises, et aidés par les Anglais, avaient mis en feu toute la péninsule. Il fallait des renforts à la grande armée : c'est alors que Napoléon informa le Sénat des nouveaux développemens de sa politique.

SENAT. Séance extraordinaire du 5 septembre 1808, présidée par le prince archi-chancelier.

DISCOURS du président.

<< Messieurs, les communications que vous allez recevoir et le projet soumis à votre délibération consacreront de nou

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