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tribue à la douceur du gouvernement en unissant dans l'esprit du prince le sort de sa postérité et celui de l'Etat, et en tendant à les confondre dans ses affections; elle conseille au prince la conservation et le bonheur de sa famille pour la sûreté de l'Etat, et le bonheur public pour la gloire et la sûreté de sa famille; elle recommande à sa prudence l'établissement ou le maintien de toutes les institutions propres à préserver ses successeurs de la négligence ou de l'abus du pouvoir, les seuls ennemis que la stabilité puisse trouver irréconciliables sous le système de l'hérédité.

>> Elle contribue à l'excellence de l'administration, nous dirions presque à ses merveilles, en attachant aux mêmes vues une longue suite de princes animés du même esprit, dirigés par un même intérêt; en imposant à chacun l'accomplissement des desseins utiles qui ont été conçus par ses prédécesseurs ; en promettant à tous l'exécution parfaite des ouvrages utiles qu'ils auront entrepris; en favorisant ainsi la conception des plus vastes projets d'intérêt général. L'hérédité seule peut réunir, et, si l'on peut s'exprimer ainsi, rendre présent dans chaque règne l'intérêt de plusieurs autres règnes, entretenir dans une constante intelligence tous les âges et toutes les parties d'un grand empire, unir l'Océan et la Méditerranée, le nord et le midi, le passé et l'avenir.

» Telles ont été, sénateurs, les considérations générales qui ont fait désirer en France l'hérédité du suprême pouvoir. Vous n'avez pas oublié les circonstances où ce sentiment s'est développé dans toute son énergie. Les factions étaient dissipées, les séditions n'étaient plus à craindre; mais les poignards, dernière ressource des prétentions renversées, des ambitions comprimées, étaient pour la troisième fois, depuis quatre ans, levés sur le chef de l'Etat. Outre les dangers qui venaient le chercher dans son palais, on prévit dans cette guerre nouvelle, que sa modération n'avait pu prévenir, ceux qu'il irait chercher lui-même au sein de l'orgueilleuse contrée qu'habitent les éternels ennemis de la France. Chacun alors sentit son propre péril, et les alarmes de ce moment pénible sollicitèrent vivement pour l'avenir comme pour elles-mêmes la seule institution qui promît de la sécurité. Deux frères dont le chef de l'Etat a dès longtemps éprouvé les talens, les vertus et l'affeetion, tous deux signalés par des services éminens, des conseils, dans les affaires les plus graves et dans les négociations les plus importantes; l'autre dans les batailles; celui-ci couvert de glorieuses cicatrices; le premier décoré de quatre traités de paix mémorables, qui ont été son ouvrage : ces deux frères semblaient répondre à la nation de l'établissement de

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l'hérédité dans la descendance de leur auguste famille, en préservant le suprême pouvoir du danger de tomber à sa première transmission dans une minorité. Ils répondaient même de la conservation du chef de l'Etat, en rendant inutile par leur seule existence tout attentat sur sa personne. Ainsi, sénateurs, si d'un côté les circonstances étaient urgentes, de l'autre elles étaient propices lorsque vous annonçâtes le vœu général pour cette hérédité, que la volonté formelle du peuple français transmet à la descendance de Napoléon ou de ses deux frères.

« Ce n'est pas, a dit l'immortel auteur de l'Esprit des Lois, » ce n'est pas pour la famille régnante que l'ordre de succes»sion est établi, mais parce qu'il est de l'intérêt de l'Etat » qu'il y ait une famille régnante. » Sans doute, sénateurs, la dernière partie de cette proposition recevra du temps présent une nouvelle sanction; mais, pour l'ordre de succession qui s'établit aujourd'hui en France, l'affection vouée à la famille régnante n'a pas moins influé que la politique. Le peuple français a sans doute le sentiment de son intérêt; mais il en a toujours dédaigné les calculs. En lui l'intérêt est aujourd'hui confondu avec l'admiration qu'inspirent les grandes qualités, les grandes actions, les grands hommes, avec la reconnaissance qu'inspirent les choses utiles qui lui sont consacrées, avec l'amour qu'inspirent les témoignages de dévouement et surtout d'amour dont il est l'objet. Ce fut l'admiration générale qui dans le principe établit le pouvoir du prince qui nous gouverne; c'est un sentiment plus doux et plus durable encore qui en vote aujourd'hui la perpétuité. Quand la nation vit briller dans le commandement des armées un esprit de gouvernement étendu comme l'Empire, fort comme les circonstances, éclairé comme le siècle, elle admira, elle espéra : le pouvoir épars se rendit comme de lui-même dans les mains de Bonaparte; il n'eut qu'à les fermer pour le saisir, et les mouvoir pour l'exercer. Mais quand elle eut considéré pendant près de cinq années cette infatigable application de l'esprit le plus flexible à la fois et le plus fort à tout ce qui intéressait le bien public; quand elle eut vu cet esprit, qui portait tant de lumières dans les conseils, néanmoins en chercher toujours dans ces conseils mêmes, et bientôt franchir l'enceinte de sa cour et de la capitale pour aller jusqu'aux extrêmes frontières recueillir des vérités utiles au sein du peuple, dans l'étude de ses intérêts et de ses besoins; quand elle eut remarqué le soin qu'il prenait d'honorer les mœurs, qui sont les auxiliaires des lois, et les lumières, qui soutiennent et perfectionnent les mœurs ; quand elle cut vu son courage et son dévouement héroïque

affronter les périls de la guerre, qu'il pouvait dompter par son seul génie, chercher une victoire en Italie, en préparer une autre sur l'Océan, en un mot réaliser ce que Montesquieu a dit de Charlemagne, qu'il finissait de toutes parts les affaires qui renaissaient de toutes parts, et remplir cette tâche dans un temps où le gouvernement embrasse bien d'autres intérêts et exige bien d'autres lumières qu'au temps de Charlemagne... Alors la nation prit l'habitude de se reposer sur lui du soin de son bonheur, elle s'attacha au pouvoir qu'il exerçait comme au bien-être qu'elle tenait de lui; elle s'attacha à sa famille comme à l'espérance de conserver ces biens dont il faisait jouir; elle voulut cette union indissoluble qu'elle vient de contracter, et qui va fixer dans le cœur des Français un sentiment qui leur a toujours été naturel, le besoin d'aimer le chef qui les gouverne, et de s'en voir aimés; d'enseigner à leurs enfans l'amour du prince, et de voir les princes élevés dès l'enfance à l'amour du peuple.

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Hâtons-nous, sénateurs, de déclarer le vœu de la nation aux nations étrangères. Elles auront vu les anciens monarques de la France tirer leur puissance d'une source différente : les uns furent élevés sur le pavois par leurs soldats; d'autres furent couronnés par les seuls grands de l'Etat; un grand nombre reçurent leur consécration uniquement de leur clergé. Ce triple spectacle, qui va se reproduire dans un même événement, aura été précédé d'un autre plus imposant, la manifestation libre des suffrages unanimes d'une nation où l'on peut compter autant de citoyens qu'il y a de chefs de famille, et où les lumières ont pénétré dans toutes les classes de citoyens. Elles auront vu puiser ainsi la force avec le pouvoir dans sa véritable source, et la dignité impériale s'élever, par l'étroite union du prince le plus digne de respect avec la nation la plus digne d'amour, à une hauteur jusqu'à présent inconnue. »

DISCOURS adressé à l'empereur par Son Excellence M. François (de Neufchâteau), président du Sénat, pour féliciter Sa Majesté « sur le nouveau témoignage de confiance et de gratitude que le peuple français vient de lui donner. >> Audience solennelle du 10 frimaire an 13, veille du sacre de Napoléon; le Sénat et le Tribunat (1) en corps présens au palais impérial des Tuileries. ( 1re décembre 1804.)

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« Sire, le premier attribut du pouvoir souverain des peuples c'est le droit de suffrage appliqué spécialement aux lois fondamentales; c'est lui qui constitue les véritables citoyens. Jamais chez aucun peuple ce droit ne fut plus libre, plus indépendant, plus certain, plus légalement exercé qu'il ne l'a été parmi nous depuis l'heureux dix-huit brumaire. Un premier plébiscite mit pour dix ans entre vos mains les rênes de l'État; un second plébiscite vous les confia pour la vie; enfin, pour la troisième fois, la nation française vient d'exprimer sa volonté. Trois millions cinq cent mille hommes (2), épars sur la surface d'un territoire immense, ont voté simultanément l'empire héréditaire dans l'auguste famille de Votre Majesté. Les actes en sont contenus dans soixante mille registres (3), qui ont été vérifiés et dépouillés avec scrupule. Il n'y a point de doute ni sur l'état ni sur le nombre de ceux qui ont émis leur voix, ni sur le droit que chacun d'eux avait de la donner, ni sur le résultat de ce suffrage universel. Ainsi donc le Sénat et le peuple français s'accordent unanimement pour que le sang de Bonaparte soit désormais en France le sang impérial, et que le nouveau trône élevé pour Napoléon et illustré par lui ne cesse pas d'être occupé ou par les descendans de Votre Majesté ou par ceux des princes ses frères !

(1) Les félicitations du Tribunat ont été adressées à l'empereur par M. Fabre (de l'Aude), son président.

(2) « Le nombre juste est de trois millions cinq cent soixante-deux mille trois cent vingt-neuf. »

(3) « Le nombre juste est de soixante mille neuf cent soixante-huit registres.

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» Ce dernier téinoignage de la confiance du peuple et de sa juste gratitude a dû flatter le cœur de Votre Majesté impériale. Il est beau, pour un homme qui s'est dévoué comme vous au bien de ses semblables, d'apprendre que son nom suffit pour rallier un si grand nombre d'hommes. Šire, la voix du peuple est bien ici la voix de Dieu! Aucun gouvernement ne peut être fondé sur un titre plus authentique. Dépositaire de ce titre, le Sénat a délibéré qu'il se rendrait en corps auprès de Votre Majesté impériale. Il vient faire éclater la joie dont il est pénétré, vous offrir le tribut sincère de ses félicitations, de son respect, de son amour, et s'applaudir lui-même de l'objet de cette démarche, puisqu'elle met le dernier sceau à ce qu'il attendait de votre prévoyance pour calmer les inquiétudes de tous les bons Français, et faire entrer au port le vaisseau de la République.

» Oui, Sire, de la République! Ce mot peut blesser les oreilles d'un monarque ordinaire ici le mot est à sa place devant celui dont le génie nous a fait jouir de la chose dans le sens où la chose peut exister chez un grand peuple. Vous avez fait plus que d'étendre les bornes de la République, car vous l'avez constituée sur des bases solides. Grâce à l'empereur des Français, on a pu introduire dans le gouvernement d'un seul les principes conservateurs des intérêts de tous, et fondre dans la République la force de la monarchie! Depuis quarante siècles on agite la question du meilleur des gouvernemens; depuis quarante siècles le gouvernement monarchique était considéré comme étant le chef-d'œuvre de la raison d'état et le seul port du genre humain ; mais il avait besoin qu'à son unité de pouvoir et à la certitude de sa transmission on pût incorporer sans risque des élémens de liberté. Cette amélioration dans l'art de gouverner est un pas que Napoléon fait faire en ce moment à la science sociale: il a posé le fondement des états représentatifs. Il ne s'est pas borné à leur existence présente; il a mis dans leur sein le germe de leur perfection future. Ce qui manque à leur premier jet doit sortir de leur propre marche : c'est l'honneur de l'âge présent; c'est l'espérance et le modèle des siècles à venir.

» Sire, parmi les plus grands hommes dont la terre peut s'honorer, le premier rang est réservé pour les fondateurs des empires. Ceux qui les ont détruits n'ont eu qu'une gloire funeste; ceux qui les ont laissé tomber sont partout des objets d'opprobre. Honneur à ceux qui les relèvent! non seulement ils sont les créateurs des nations, mais ils assurent leur durée par des lois qui deviennent l'héritage de l'avenir. Nous devons ce trésor à Votre Majesté impériale; et la France mesure à la

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