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France à la tête du gouvernement. Tout change aussitôt : les principes modérateurs sont proclamés, et répandent la sérénité dans toutes les familles; les nobles pensées reprennent leur empire, et dans nos belles contrées, si souvent l'asile des pontifes persécutés, les mânes d'un pontife outragé reçoivent une expiation honorable; enfin, par une démarche solennelle, le premier consul promet la paix à la France, et l'offre à l'Europe. Mais la Grande-Bretagne en détourne l'heureux présage; il faut encore combattre. O champs de Marengo! de quelle gloire vous avez couvert nos étendards! quelles défaites récentes vous avez vengées! et quel changement amènent un seul jour, une seule bataille! C'est ainsi que le premier consul remercie la France de l'éminente dignité qu'il vient de recevoir.

» Mais à peine a-t-il vaincu qu'il accorde un armistice, et, pour la troisième fois, il a présenté la paix ! Les préliminaires étaient signés Albion encore, la fatale Albion vient placer sa haine entre l'Autriche et la France. Son malheureux génie l'emporte; mais cet ascendant si funeste tombe six semaines après, au bruit des exploits de quatre armées françaises, qui, sur un front immense, de Lens au Splugen, du Splugen au Mincio, embrassaient l'Allemagne et l'Italie, comme une seule armée dirigée par une seule tête. Hélas! la paix ne descendit alors sur l'Europe, à la voix d'un héros, que pour nous montrer quel prix attache Albion elle-même à ses traités fallacieux! » Le citoyen illustre, le prince que ses vertus auraient pu, comme sa naissance, placer sur les premiers degrés du trône impérial, dont les talens, admirés dans Lunéville, furent encore destinés par son auguste frère à négocier la paix la plus difficile, eut la joie de la signer dans Amiens, mais bientôt après la douleur de la voir ouvertement violée. C'est ici messieurs,, que j'aime à invoquer votre témoignage. Dites avec moi quelle fut la douleur profonde du chef de l'Etat! Rappelezvous ces audiences avant la rupture, où, sur le front d'un homme né pour la guerre, se manifestait la crainte la plus vive de la recommencer! Quand une guerre nouvelle venait arrêter les vastes projets qu'il avait formés pour le bonheur de la France, nous le trouvions digne autant du titre auguste de pacificateur que de celui de guerrier invincible.

» Mais non, législateurs, rien ne peut arrêter sa marche dans la paix comme dans la guerre, et cette activité indomptable dans les camps il l'a imprimée à toutes les parties de l'administration. L'anarchie hideuse est terrassée; le brigandage ne désole plus les provinces de l'ouest; une main victorieuse les presse de toutes parts, les combat, les anéantit, et leurs derniers soupirs, exhalés vers l'Angleterre, lui annoncent

combien vaines sont toutes ses tentatives, combien est puissant le génie qui préside à la destinée de la France! En même temps. les voies publiques sont réparées; des canaux réunissent le Rhin, la Meuse et l'Escaut, le voyageur étonné admire les travaux hardis de Coblentz, et ceux qui abaissent les Alpes entre la France et l'Italie; la ville impériale s'embellit, et devient tous les jours plus digne d'être la métropole des peuples / civilisés et le temple des beaux-arts; la Religion, éplorée, reparaît sur ses autels; un schisme menaçant, réputé naguère invincible, n'alarme plus les consciences; les esprits, longtemps divisés, sont réunis sous le double sacerdoce de la religion et des lois; dans la même Légion, sous la bannière de I'Honneur, et décorés de l'effigie du triomphateur, marchent ensemble le législateur qui fit les lois, le magistrat qui les fit respecter, le savant dont les travaux sont utiles à la patrie, l'homme de génie qui s'illustra par les arts; on y voit réunii le citoyen courageux dont le front n'a point pâli devant les échafauds, et le guerrier qui brava le fer de l'ennemi; celus qui montre avec orgueil les cicatrices de ses blessures', et celui dont le nom rappelle d'honorables proscriptions! Et c'est parmi tant de soins et de travaux que des flottiles légères, construites dans nos ports, sur nos fleuves, se réunissent à Boulogne, et présentent aux rives de l'Angleterre mille vaisseaux couverts d'invincibles guerriers!

» Comment se fait-il qu'au milieu des préparatifs d'une guerre terrible, dont les soins pourraient accabler le génie le plus vigoureux, la vigilance sur les lois n'ait pas été un instant ralentie? Comment la France a-t-elle vu terminer le plus grand ouvrage de législation dont aucun peuple puisse encore s'enorgueillir? Demandé depuis tant de siècles, si longtemps et si vainement désiré jusqu'à Napoléon, enfin paraît ce Code qui règle l'état des personnes, organise les familles, assure la propriété, et fixe l'ordre des successions! Préparé par les méditations et les travaux d'un illustre magistrat que sa haute dignité place au rang mérité par ses lumières, établi sur les bases de la législation ancienne et moderne, enrichi des idées les siècles nous ont transmises après la longue épreuve des temps, augmenté des observations que présentaient de nouveaux rapports, de nouvelles lumières et de nouveaux besoins, ce Code, dépositaire de ce que l'esprit de l'homme a conçu de plus simple et de plus convenable en législation, porte à la fois l'empreinte du génie et du bon sens des législateurs les plus célèbres de l'antiquité, et des plus renommés jurisconsultes de la France. Longtemps séparés par des coutumes bizarres et différentes, les Français reçoivent par ces lois nouvelles le

que

lien le plus fort qui, des peuples divers d'un cumpire immense, puisse former un seul peuple. C'est sur ce grand ouvrage, messieurs, que vous avez principalement arrêté vos regards; et vous ayez voulu voir dans cette enceinte l'empereur des Français tenant dans sa main puissante, si souvent et si glorieusement armée, ce Code que vous avez sanctionné avec tant d'empressement.

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Victorieux dans trois parties du monde, pacificateur de l'Europe, législateur de la France, des trônes donnés, des provinces ajoutées à l'Empire, est-ce assez de tant de gloire pour mériter à la fois et ce titre auguste d'empereur des Français, et ce monument érigé dans le temple des lois? Hé bien, je veux effacer moi-même ces brillans souvenirs que je viens de retracer. D'une voix plus forte que celle qui retentissait pour sa louange, je veux vous dire : cette gloire du législateur, cette gloire du guerrier, anéantissez-la par la pensée, et dites-vous. Avant le 18 brumaire, quand des lois funestes étaient promulguées, quand les principes destructeurs, proclamés de nouveau, entraînaient déjà les choses et les hommes avec une rapidité que bientôt rien ne pourrait plus arrêter, quel fut celui qui parut tout à coup comme un astre bienfaisant, qui vint abroger ces lois, qui combla l'abîme prêt à s'ouvrir? Vous vivez, vous tous, menacés par les malheurs des temps, vous vivez vous le devez à celui dont vous voyez l'image ! Vous accourez, infortunés proscrits, vous respirez l'air si doux de votre patrie; vous embrassez vos pères, vos enfans, vos épouses, vos amis : vous le devez à celui dont vous voyez l'image! Il n'est plus question de sa gloire; je ne l'atteste plus : j'invoque l'humanité d'un côté, la reconnaissance de l'autre. Je vous demande à qui vous devez un bonheur si grand, si extraordinaire, si imprévu, vous répondez tous ensemble avec moi c'est au grand homme dont nous voyons l'image!

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DISCOURS prononcé par M. Fontanes, président du Corps législatif. – (Méme jour.)

« La gloire obtient aujourd'hui la plus juste récompense et le pouvoir en même temps reçoit les plus nobles instructions. Ce n'est point au grand capitaine, ce n'est point au vainqueur de tant de peuples que ce monument est érigé : le Corps législatif le consacre au restaurateur des lois. Des esclaves tremblans, des nations enchaînées ne s'humilient point aux pieds de cette statue; mais une nation généreuse y voit avec plaisir les traits de son libérateur.

» Périssent les monumens élevés par l'orgueil et la flatterie! Mais que la reconnaissance honore toujours ceux qui sont le prix de l'héroïsme et des bienfaits. Eh! quel bienfait plus mémorable que celui d'un code uniforme donné à trente millions d'hommes ! Le jour où le Code civil reçut dans cette enceinte la sanction nationale fut le premier jour qui fixa nos destinées on n'a pu croire à la stabilité du nouveau gouvernement de la France que lorsque toutes les factions, desarmées, ont été contraintes d'obéir aux mêmes lois.

» Les trophées guerriers, les arcs de triomphe, en conservant des souvenirs glorieux, rappellent les malheurs des peuples vaincus; mais dans cette solenuité d'un genre nouveau tout est consolant, tout est paisible, tout est digne du lieu qui nous rassemble.

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L'image du vainqueur de l'Egypte et de l'Italie est sous vos regards; mais elle ne paraît point environnée des attributs de la force et de la victoire; le héros ne porte ici dans sa main, tant de fois triomphante, que le livre de la loi qui doit commander à la force et à la victoire elle-même.

» Malheur à celui qui voudrait affaiblir l'admiration et la reconnaissance que méritent les vertus militaires! Loin de moi une telle pensée pourrais-je la concevoir devant cette statue, et l'anniversaire même du jour où le vainqueur de Rivoli (1) défit en quelques heures deux armées ennemies qui se croyaient sûres de l'envelopper, et décida ce grand succès par une de ces heureuses inspirations qui sont envoyées aux grands capitaines sur le champ de bataille, en présence de tous les dangers et de tous les obstacles? Comment ne pas honorer la valeur au milieu, des guerriers qui ont vaincu sous lui, et de ses plus illustres lieutenans? Mais, j'ose le dire devant eux, et je suis sûr qu'ils ne me démentiront point, car l'intérêt de la patrie leur est plus cher que celui de leur propre renommée, les talens militaires pouvaient tout contre les ennemis du dehors, et ne pouvaient rien contre les ennemis du dedans; invincibles sur la frontière, nos plus vaillans généraux succombaient quelquefois sous l'audace des factions qui déchiraient la France. Ce n'était point assez pour notre salut de ces légions victorieuses qui nous protégeaient contre l'Europe; il était temps qu'on vit paraître un législateur qui nous protégeât contre nous-mêmes. Ce législateur est venu, et nous avons enfin respiré sous son empire! Que d'autres vantent ses hauts faits d'armes, que toutes les voix de la renommée se fatiguent à dénombrer ses conquêtes; je ne

(1) La bataille de Rivoli a été gagnée le 25 nivose an 5.

veux célébrer aujourd'hui que les travaux de sa sagesse. Son plus beau triomphe dans la postérité sera d'avoir défendu contre toutes les révoltes de l'esprit humain le système social prêt à se dissoudre : il a vaincu les fausses doctrines; elles commencent à s'éloigner devant son génie, et bientôt il achevera leur défaite entière en prouvant que la liberté publique n'est bien garantie que par un monarque premier sujet de

la loi.

» Dans le chaos de tant d'opinions, et sous les ruines de tout un empire, combien il était difficile de retrouver le principe conservateur qui l'anima pendant quatorze siècles! La première place était vacante; le plus digne a dû la remplir en y montant il n'a détrôné que l'anarchie, qui régnait seule dans l'absence de tous les pouvoirs légitimes.

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» La fête qui nous rassemble est donc, s'il m'est permis de le dire, celle de la renaissance de la société. Les lois civiles l'ont en effet raffermie sur ses fondemeus; et c'est alors que le caractère national s'est hâté de reparaître. Lorsqu'un peuple, longtemps séduit par de faux guides, se rallie autour de la gloire, lorsqu'il recommence à honorer les grandes actions par des monumens durables, les sentimens du juste et du beau rentrent dans tous les cœurs, et l'ordre social est rétabli. Les statues qu'on érige à ces hommes privilégiés qui sont faits pour conduire la foule indiquent à tous les autres le chemin du véritable honneur. Autour de ces monumens, dressés par la reconnaissance publique, on voit se manifester les affections les plus douces et les plus nobles du cœur huniain; l'enthousiasme de la gloire et de la vertu se communique à toutes les âmes, élève toutes les pensées, agrandit tous les talens, et peut enfanter tous les prodiges. Tel est l'état de la société réparée.

» Au contraire, quand le corps politique tombe en ruines, tout ce qui fut obscur attaque tout ce qui fut illustre; la bassesse et l'envie parcourent les places publiques en outrageant les images révérées qui les décorent; on persécuté la gloire des grands hommes jusque dans le marbre et l'airain qui en reproduisent les traits: leurs statues tombent; on ne respecte pas même leurs tombeaux; le citoyen fidèle ose à peine dérober en secret quelques uns de ces restes sacrés; il y cherche en pleurant l'ancienne gloire de la patrie, et leur demande pardon de tant d'ingratitude; cependant il ne désespère jamais du salut de l'Etat, et même au milieu de tous les excès il attend le réveil de tous les sentimens généreux.

>> Ces sentimens se sont ranimés de toute part; mais leur retour fut préparé par l'homme supérieur qui nous rendit peu à peu toutes nos anciennes habitudes. C'est lui qui, dès les

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