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Vous sanctionnez le vœu de la reconnaissance, et, par une exemption d'impôts juste et sage, vous encouragez l'activité d'une création destinée à faire oublier de si longs malheurs.

» Un intérêt plus général, plus pressant a fixé votre attention; l'empereur vous a fait présenter la loi sur les finances, et les comptes des ministres. Conformément à l'usage salutaire établi par Sa Majesté, ces tableaux contiennent l'exposition détaillée de notre situation passée et présente; on y suit par

degrés la marche du talent, qui dans ses pas, semés d'obstacles, a tout régularisé, tout aplani, tout fécondé.

» Les comptes de l'an 12 surtout prouvent l'inutilité des efforts qu'ont employés nos ennemis pour nous empêcher d'atteindre l'heureux but dont ils nous voyaient approcher, et que nous touchons.

» Pour s'opposer à notre restauration, ils ont risqué leur existence; ils ont tenté la guerre ; et la guerre a trompé leur espoir. Dans le cours de cette année mémorable ils nous ont forcés de sortir tout armés du sein de la paix; leur aggression, impolitique autant qu'injuste, nous a obligés de creuser des ports, d'équiper des flottes, de créer des flottilles, de lever des matelots, d'armer nos troupes, de construire des forts, de garnir nos côtes, de fondre de l'artillerie : tout a été presqu'aussitôt exécuté que conçu, et les revenus de cette même année, qui s'est trouvée chargée de tant de dépenses imprévues, ont suffi pour les acquitter.

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Cependant les encouragemens promis aux arts, l'entretien des routes, le soulagement des hospices, le creusement des canaux, les projets d'embellissement des villes, rien n'a été suspendu; les frais du culte ont même été augmentés : nos rivages seuls ont entendu de loin le bruit de la guerre, et l'Europe, attentive, a dû voir avec un juste étonnement que vous n'imposiez au peuple français pour l'an 13 aucun nouveau

sacrifice.

>> La loi que vous avez sanctionnée, messieurs, améliore la répartition de quelques impôts, assure par de meilleures dispositions l'accroissement naturel de quelques branches de revenus, et n'offre de ressources extraordinaires que l'augmentation des cautionnemens; augmentation qui dans toute autre circonstance eût été jugée également nécessaire pour offrir plus de garantie au trésor public.

Et quelle confiance ne doit pas inspirer l'emploi de ces revenus, puisqu'ils ont suffi l'année dernière à tant de préparatifs achevés aujourd'hui ! Nos ports garnis, nos troupes armées, nos arsenaux remplis, nos magasins renouvelés, notre artillerie augmentée, nos équipages complets, nos forts

réparés, beaucoup de vaisseaux construits, nous placent dans la position la plus rassurante, et si l'humanité nous fait désirer constamment la paix, de longtemps la lassitude ne nous en fera sentir le besoin.

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Quelle crainte en effet pourrait concevoir une nation qui jette en sortant d'une si longue et si désastreuse révolution un si vif éclat! Un peuple qui s'est régénéré par ses malheurs, aguerri par ses dangers, et fortifié par ses secousses!

» La loi sur les finances, messieurs, donne la mesure vraie de nos ressources; elle prouve que cette guerre, qui inspire de si vives alarmes à nos ennemis, qui leur fait barrer leurs rivières, armer leurs ateliers, augmenter leurs dettes, suspendre leurs libertés, et rêver sans cesse l'invasion qu'ils ont provoquée, laisse le chef de notre gouvernement poursuivre, dans la plus entière sécurité, ses nobles projets, amortir graduellement la dette publique, travailler à la confection d'un cadastre général, et parcourir toutes les parties de l'Empire, que sa présence vivifie.

C'est dans cette position brillante, où l'ivresse d'un noble orgueil pouvait si facilement se concevoir et s'excuser; c'est dans ce moment, où un guerrier presque toujours favorisé par la fortune devait si naturellement se promettre de nouveaux lauriers, qu'imposant silence à ses passions Napoléon a modestement proposé la paix à nos ennemis. Chargés par lui de l'honorable mission de vous communiquer sa lettre au roi d'Angleterre (1), nous avons vu la touchante, la profonde impression qu'elle vous a faite. Ah! si le sang doit couler encore sur la terre et sur l'Océan, cette lettre nous en absout à jamais à jamais elle doit en rendre responsable le gouverne! ment aveugle qui en prolongerait l'effusion!

"

Cette victoire remportée par la modération sur de si justes ressentimens, ce triomphe de l'humanité sur la gloire était digne de l'homme qui, préférant à toutes les renommées celle de législateur et de pacificateur, a reçu de vous le prix de la sagesse.

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Son image, qui frappe en ce moment mes regards, me rappelle, messieurs, ce jour mémorable où, suspendant le cours de vos travaux, vous avez si solennellement inauguré la statue du chef de l'Empire. La voix éloquente de votre président a proclamé que cette statue n'était pas offerte au vainqueur de tant de généraux, au conquérant de l'Egypte et de l'Italie, mais au sage à qui nous devons le Code immortel de nos lois.

(1) Voyez plus loin la même communication faite au Sénat.

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Jamais un plus digne hommage ne fut plus noblement offert dans le sanctuaire de la législation, et la France entière a répété vos vœux pour le prince qui a détróné l'anarchie, reposé l'ordre social sur ses véritables bases, et qui tend par ses constans efforts à rendre le repos à sa patrie, l'indépendance aux mers, et la paix au monde!

» En retournant, messieurs, au milieu de vos concitoyens, vous leur porterez tous ces grands souvenirs; vous recevrez les justes hommages qu'ils rendront à votre sagesse ; vous les verrez jouir des bienfaits des lois que vous avez sanctionnées, et vous pourrez, avec une noble fierté, leur répéter ces paroles si vraies que l'empereur proférait dans cette enceinte : Princes, soldats, magistrats, citoyens, nous n'avons tous qu'un seul but, l'intérêt de la patrie ! »

III.

DIPLOMATIE. -RELATIONS AVEC L'ANGLETERRE.

Communication (1) faite au Sénat, par ordre de l'empereur, dans la séance extraordinaire du 15 pluviose an 13. (4 février 1805.) - Présidence de S. A. l'archichancelier de l'Empire (Cambacérès).

DISCOURS de l'archichancelier.

« Messieurs, Sa Majesté a fait de nouveau connaître au gouvernement de la Grande-Bretagne les dispositions pacifiques dont les plus flatteuses espérances ne l'ont détourné dans aucune circonstance de sa vie, et qui toujours lui ont fait préférer à la gloire des armes le repos du monde et le bonheur de l'humanité.

» Si la réponse du cabinet de Londres n'a point été telle qu'on avait lieu de l'espérer, la démarche de l'empereur n'en conserve pas moins tout son éclat. Il est beau de voir un prince accoutumé à vaincre déplorer les malheurs de la guerre, s'oc

(1) Cette communication avait été transmise le même jour au Corps législatif par M. de Ségur, conseiller d'état, et au Tribunat par M. le conseiller d'état Regnault (d'Angely).

cuper sans relâche d'assurer à l'Europe les douceurs de la paix, et renoncer pour ainsi dire à l'esprit de conquête dans l'âge où la force des passions donne tant d'empire à la voix de l'ambition, et en laisse si peu aux conseils de la sagesse.

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Quel que soit le résultat de cette ouverture, l'amour des Français pour leur prince, la reconnaissance de l'Europe, l'admiration même de ses ennemis, sont une récompense digne de son cœur, et qui ne peut lui échapper.

» S. M. l'empereur, voulant donner au Sénat un nouveau témoignage de sa confiance, a ordonné, messieurs, que sa lettre au roi d'Angleterre fût mise sous vos yeux, ainsi que la réponse qui a été faite à cette lettre au nom du gouvernement britannique.

» Tel est l'objet de la présente séance, que j'ai reçu la mission de présider, et dans laquelle le ministre des relations. extérieures se trouve pour satisfaire aux intentions de S. M. »

RAPPORT par Son Excellence le ministre des relations extérieures (Talleyrand)

«La solennité nationale du couronnement, ce noble et nécessaire complément de nos institutions sociales, tenait à des sentimens trop profonds et trop universels pour ne pas occuper l'attention entière de toutes les classes de l'Etat. Aux approches, à la suite de ce grand événement intérieur, qui vient d'assurer à jamais les destins de la France, en consacrant par la voix des hommes et par celle du ciel tout ce que nous avons acquis de gloire, de grandeur et d'indépendance, on a généralement, et comme par une commune impression, senti diminuer et s'affaiblir l'intérêt de tous les autres événemens; la pensée même de la guerre, au sein d'une nation qui ̧ doit tant à ses victoires, a semblé disparaître.

"

Tout est accompli; l'Empire est fondé; et en reprenant les soins extérieurs, et en rappelant les esprits aux intérêts de la guerre, le premier sentiment de l'empereur a été de s'élever au dessus de toutes les passions, et de justifier la grande destinée que la Providence lui réserve, en se montrant inaccessible à la haine, à l'ambition, à la vengeance.

en eux,

» S'il existe des hommes qui ont conçu le projet de nous combattre avec les armes du crime, qui ont, autant qu'il a été réalisé cette cruelle pensée, qui ont soudoyé des assassins, et qui dans ce moment encore salarient nos ennemis, c'est de ces passions mêmes que l'empereur a voulu triompher. Plus il est naturel et commun de ressentir une vive irritation

contre des attaques personnelles, plus il a senti qu'il était d'une âme supérieure de s'y montrer inaccessible.

>> Cette détermination est grande, mais elle s'éloigne des règles ordinaires; et, dans une aussi rare circonstance, je dois oublier un instant le principe de bienséance qui dans d'autres temps me défendrait d'offenser par des louanges le souverain dont j'ai l'honneur d'être ministre. Ici je ne puis expliquer des démarches dont la générosité suppose l'oubli des lois communes de la prudence, sans les justifier; et, sans qu'il y ait de mon intention, mes justifications sont des éloges.

>>

L'empereur a fait les premières avances vers un gouvernement qui a eu le tort de l'agression, qui a manifesté sans motif et sans ménagement envers lui et envers nous les sentinens d'une haine exaltée. Pour bien comprendre une telle modération il faut se reporter aux souvenirs du passé, et suivre la marche de notre auguste souverain dans toute l'étendue de sa noble carrière. Les hommes qui ont fait une étude de son caractère n'ont-ils pas reconnu dans l'essor audacieux, dans l'exécution vigoureuse et constante de toutes ses entreprises, un fond de calme et de prudence qui les tempérait, une retenue qui prévenait tout abus, une verve enfin de justice et d'humanité qui tendait sans cesse à modérer les effets et à rapprocher le terme des violences nécessaires?

» Ainsi, après une suite d'avantages, arrivé sur les bords de la Drave, loin de se laisser entraîner à des espérances.dont la fortune la plus libérale semblait vouloir l'enivrer, il calcula qu'il était plus utile à la France et à ses ennemis de s'entendre. Il combattit le grand attrait de la gloire par le grand intérêt de l'humanité. Il entendit les cris des victimes qui devaient incessamment être immolées dans les derniers débats d'une guerre implacable, et il fit des propositions de paix.

» Dès lors, avec cette vue d'avenir qui devance les événemens et les distingue dans les causes mêmes qui doivent les produire, il avait vu tout le sang qui devait couler sur le champ de Marengo, sur celui d'Hohenlinden; et, insensible aux présages qui promettaient à la France, à sa brave armée, de nouveaux lauriers et de nouvelles conquêtes, il n'écouta que la sagesse et l'humanité, qui légitiment la gioire, mais commandent des sacrifices.

>> Le même principe lui inspira la même magnanimite lorsqu'appelé à prendre les rênes du gouvernement il réunit le titre de premier consul à la renommée de son généralat, et les pouvoirs de la première magistrature à l'ascendant immense de la gloire qu'il avait acquise. Partout il adressa des paroles de paix, et il réussit à se faire entendre. Le continent pacifié,

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