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PREMIÈRE PARTIE

Les élections à Remiremont et la suppression du Chapitre. 1789-1790.

CHAPITRE I.

L'action électorale; le Comité populaire.

SOMMAIRE. L'élection primaire du 11 mars à Remiremont. L'élection irrégulière du 15 mars. - Protestation contre cette seconde élection. - L'élection des députés au bailliage et à Mirecourt. — Les Réflexions » de Sc. Bexon. Sécurité des Dames chanoinesses en 1789. Agitation à Remiremont après le 14 juillet. Délibération de la municipalité à ce sujet. Constitution d'un comité populaire Abandon du droit de Copel par les Dames. Délibération capitulaire à ce sujet. Premiers empiètements du Comité. Organisation de la garde nationale. La question des approvisionnements à - Intervention Nouveaux empiètements du Comité. du Chapitre; condescendance de la municipalité. Reculade du Comité. Souscription de bienfaisance; nouvelles tentatives. Résistance de la municipalité; son abdication. Pénurie de la ville; les approvisionnements.

Remiremont.

A Remiremont, lorsque parurent les règlements du 24 janvier et du 7 février, les bourgeois étaient prêts à commencer l'action. Dès la réunion de Nancy, deux partis se dessinaient nettement dans le Tiers, celui du Chapitre et celui du bailliage royal. Remiremont avait encore à cette époque une autonomie administrative et judiciaire; sa municipalité, comprenant le Maire, le Grand-Echevin, le Doyen, le Clerc-Juré ou secrétaire, le Procureur-Fiscal, trois Conseillers-Jurés et trois Elus, était tout entière dans la dépendance plus ou moins immédiate du Chapitre ou de son chef, la Dame abbesse; cette municipalité avait des attributions judiciaires fort importantes,

tant au civil qu'au criminel, sur la ville et la sénéchaussée de Remiremont (1). A côté, se trouvait le bailliage royal, dont les membres, par tradition, faisaient au Chapitre une opposition plus ou moins vive, presque toujours active, et cherchaient à battre en brèche son influence. Le chef de cette opposition était alors le procureur du roi, F.-F. Fricot, âgé de 43 ans, autrefois avocat à Colmar, et qui, presque dès son arrivée à Remiremont en 1776, avait intenté à la Justice capitulaire un procès, ce nous semble, fort injuste, et qui n'était pas encore terminé en ce moment. Fricot eut ses candidats à l'assemblée primaire de Remiremont pour la nomination des électeurs, comme le Chapitre avait les siens. Le mercredi 11 mars, à une heure de relevée, les habitants, conformément au règlement électoral, se réunirent à l'église paroissiale sous la présidence du maire Nicolas Courtois, et, après une lutte assez vive, trois des candidats du Chapitre finirent par l'emporter : c'étaient le procureur-fiscal Sc. Bexon, Nicolas Durand, l'un des trois Elus de la Justice ordinaire, et Bernard Berguam père, négociant; le quatrième était Laurent, Alexis, greffier en chef du bailliage (2). Bexon avait obtenu une majorité de 169 suffrages, et il la méritait, car nul ne s'était occupé aussi activement que lui de cette passionnante question des États-Généraux. C'était lui qui avait préparé le cahier des doléances de la ville, et bien que nous n'ayons pas la bonne fortune d'avoir ce document entre les mains, nous avons une idée de ce qu'il pouvait être par un travail analogue que Sc. Bexon publia presque aussitôt après, sous l'un de ces titres originaux qu'il affectionnait : Réflexions d'un Vosgien ou le Député au coin de son feu; nous en reparlerons un peu plus loin. M. L. Didelot, vicaire à Remiremont à cette époque, après avoir, dans un de ses manuscrits (3),

(1) Voir l'étude sur l'Organisation judiciaire du Chapitre, déjà citée. (2) Abbé L. Didelot, Ephémérides. Ce précieux petit manuscrit fait partie de la collection de M. B. Puton.

(3) Edité sous ce titre Remiremont, les Saints, le Chapitre, la Révolution, 1 vol. in-8°, Nancy, R. Vagner, 1887, page 247,

tracé de Bexon un portrait peu flatté, affirme qu'il « remua ciel et terre pour se faire élire »; mais les exagérations habituelles de cet auteur, son parti-pris sur tout ce qui touche à la Révolution et à ceux qui y prirent part, doivent nous mettre en garde contre de telles allégations (1). Dans une lettre adressée cinq jours après à ses électeurs. Bexon a pu leur tenir ce langage évidemment sincère, car aucune contradiction n'est venue du parti opposé : « Pas un de vous ne dira que j'aye demandé ou « brigué vos suffrages, et presque tous peuvent s'écrier qu'on a n'a rien négligé auprès d'eux pour m'en priver. »

Le succès du procureur-fiscal du Chapitre ne faisait pas le compte de MM. du bailliage; Fricot en particulier voyait en Bexon un compétiteur redoutable pour lui à l'assemblée secondaire de Remiremont, et à celle qui devait se tenir à Mirecourt pour l'élection définitive. Aussi du 12 au 16 mars, jour de la réunion des électeurs et du choix des députés provisoires, mit-il tout en œuvre pour faire annuler l'élection du 11; et comme il n'y aurait pu parvenir par les voies normales, il eut recours aux ressources de la chicane. Sous son inspiration et celle de ses collègues du bailliage, un certain nombre de bourgeois adversaires de Bexon présentèrent au sieur d'Eslon de Servance, lieutenant-général du bailliage, et au sieur Fricot lui-même, un placet à l'effet d'obtenir l'autorisation de tenir une nouvelle assemblée primaire, celle du 11 mars, disaient-ils, étant illégale comme ayant été présidée par le maire, au lieu de l'être par le Lieutenant-Général. L'autorisation fut accordée le 15 au soir, et quelques instants après, des affidés du bailliage parcouraient la ville, prévenant les partisans de Fricot que la dési

(1) Nous ne sommes pas seul de cet avis M. l'abbé Buisson, dont le témoignage ne saurait être suspecté, dit en parlant de M Didelot, précisément à ce sujet : « Il est bon de se défier des appréciations de cet auteur, qui obéit un peu trop à son humeur, et accepte trop facilement les on dit » de l'époque. (Les elections de 1789 à Remiremont; imprimerie Guillemin, Remiremont, 1899.)

gnation des électeurs allait se faire de nouveau et sans délai à l'église des Capucins, sous la présidence de M. d'Eslon luimême. Ce fut un indigne escamotage, et un scandale contre lequel protestèrent en vain les honnêtes gens; Bexon, dans la lettre citée plus haut, déclare vouloir oublier « ceux qui, dans « cette nuit désordonnée et séditieuse, ivres de colère, de « haine et de boisson, se sont réunis à minuit dans un lieu « saint pour en faire une taverne ». (1). L'assemblée se tint de dix heures du soir à six heures du matin dans ces conditions anormales; les partisans de Bexon, ou n'avaient pas été avertis, ou n'avaient pas voulu prendre part à une réunion qu'à juste titre ils considéraient comme illégale. Le résultat fut l'élimination de Bexon et de son ami N. Durand, et leur remplacement par les sieurs Deguerre fils, avocat du roi au bailliage, et J. Cadet, dit le grand Cadet, ancien huissier au même bailliage (2). Désormais Fricot n'avait plus à craindre, dans sa candidature comme député définitif lors de la prochaine assemblée de réduction à Mirecourt, d'être supplanté par un rival qui lui était bien supérieur.

Sur la foi de M. Didelot (3), qui est très inexact dans ses souvenirs et se contredit sans cesse, plusieurs chroniqueurs ont cru qu'à cette réunion du 15 mars, Fricot lui-même avait été élu à une grande majorité. Nous pensons qu'ils ont confondu l'assemblée primaire illégale du 15 mars avec la réunion de bailliage du 16, dont nous parlerons tout à l'heure; Fricot n'habitait pas Remiremont même, mais le territoire d'une commune avoisinante, Saint-Etienne. Il n'avait du reste nullement besoin d'être électeur de la ville pour poser sa candidature à l'assemblée de bailliage, attendu que, d'après le règlement, les électeurs désignés par les communes dans les réunions primaires n'étaient point obligés de choisir parmi eux les députés

(1) Reflexions d'un Vosgien lettre du 16 mars en préface.

:

(2) Collection B. Puton: Ephémérides Didelot.

(3) Remiremont: la Révolution, p. 248, ouvrage déjà citė.

en votant en dedans, comme on disait alors, ou par réduction de leurs propres membres; cette obligation de voter en dedans. s'appliquait seulement aux députés provisoires qui, à l'assemblée de réduction, devaient se ramener au nombre de députés définitifs fixé par le règlement. En d'autres termes, il n'était pas nécessaire d'être électeur pour être élu député provisoire; mais celui-ci pouvait seul devenir député définitif.

Le procès-verbal de l'élection frauduleuse du 15 mars fut apporté le lendemain matin, par le notaire Richard (1), assesseur de la réunion, à l'Auditoire-de-Ville; le maire Courtois en ordonna le dépôt au greffe, mais Pernot, secrétaire, ayant refusé de l'accepter, il fut porté chez le maire par un valet de ville. Bexon espérait qu'une autorité supérieure à celle du bailliage, « moins arbitraire et moins dangereuse que celle qui avait autorisé cette opération ténébreuse », saurait rendre à chacun la justice qui lui était due, casser une élection scandaleuse et confirmer celle du 11 mars; mais il fut déçu dans son attente. Le maire adressa cependant au garde des sceaux Barentin un rapport sur ces faits; il s'y plaignait assez vivement de ce que l'assemblée primaire du 11 mars, qu'il avait présidée lui-même et dont il garantissait la correction, avait été annulée sans forme de procès, et de ce que la seconde réunion, légale ou illégale, dans tous les cas d'un caractère purement municipal, eût été présidée à son préjudice par un officier du bailliage.

M. de Barentin lui répondit le 12 avril suivant que, sans approuver la manière dont s'était passée cette seconde élection, il avait pu en attribuer la présidence à M. d'Eslon, en

(1) Romary-Ambroise Richard, notaire, né à Remiremont le 4 avril 1753, fils de Romary-François, ancien marchand et ancien notaire. Il fut sous son père lieutenant-colonel de la garde nationale, puis maire de Remiremont le 19 novembre même année, puis administrateur au Directoire de District le 24 avril 1791. Terroriste en 1794, il se retira à Saint-Dié, où il mourut en 1809.

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