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toire complète de la Révolution dans la petite cité de saint Romaric, que comme une contribution à cette histoire; car, en dehors de l'action des pouvoirs locaux, il s'est évidemment produit un certain nombre de faits de quelque importance, que les documents officiels n'ont pas enregistrés. A cette double source de renseignements, si abondante et si pure qu'elle soit, il eût été nécessaire d'ajouter celles que pourraient fournir les archives de famille, la correspondance entre les principaux personnages locaux, et les registres du directoire départemental, qui ont, sans nul doute, une grande importance. Le temps nous a fait défaut pour les découvrir, les explorer et les mettre à profit: ce sera l'œuvre de quelque autre chercheur, qui aura ainsi le mérite, en complétant l'histoire de cette époque, de préciser et de rectifier certaines données insuffisantes ou inexactes; la vérité absolue, on le sait, n'est pas du domaine de l'historien.

Nous avons regretté notamment de n'avoir pu retrouver une mine précieuse de documents sur la matière; nous voulons parler des registres des diverses sociétés populaires ou clubs, qui se sont succédé à Remiremont comme partout ailleurs jusqu'au 18 brumaire. Ces sociétés ont dû exercer sur la marche des événements une influence marquée dans le sens de l'énergie de l'action;

cherchant et signalant ce qui pouvait s'y trouver, comme ailleurs, d'excessif, de faux ou de ridicule; nous en avons éliminé ainsi qu'il convenait les éléments qui, tenant aux idées, aux sentiments, au langage de l'époque, pouvaient même inconsciemment déformer la physionnomie des faits. Nous en avons écarté et dévoilé avec soin, autant qu'il nous a été possible, « le déguisement des formules », pour tâcher d'y découvrir les vœux, les craintes, les regrets, les préoccupations » des comtemporains de cette époque mémorable.

L'historien peut avoir des sympathies et des antipathies politiques, mais toute autre passion que celle de la vérité lui est interdite ; il ne faut pas que ses préférences personnelles influent sur son jugement et obscurcissent sa conscience dans l'énoncé et l'appréciation des faits.

influence moins néfaste, toutefois, qu'on ne serait tenté de le croire, si nous nous en rapportons au peu que nous savons de leur existence; influence parfois même salutaire, pour maintenir l'esprit public à la hauteur des circonstances exceptionnelles où l'on se trouvait alors placé.

Parmi les recueils de pièces que nous avons été à même d'utiliser, nous devons une mention particulière à la belle et fort intéressante collection de M. Bernard Puton, procureur de la République dans cette ville, qui l'a mise à notre disposition avec une bienveillance vraiment infatigable, à laquelle nous sommes heureux de rendre ici hommage.

L'histoire de la période révolutionnaire, si intéressante partout, semble devoir l'être encore davantage à Remiremont, à cause de la situation spéciale de cette ville, ecclésiastique et féodale jusqu'en 1790, peuplée de légistes, d'officiers seigneuriaux et de prêtres clients d'un institut célèbre qui personnifiait admirablement l'ancien régime, sinon dans tous ses abus, du moins dans la plupart de ses privilèges. Disons dès à présent que, de toutes les villes lorraines, Remiremont fut celle qui se trouva le plus profondément lésée par le triomphe des idées nouvelles, au point même de voir en quelque sorte sa propre existence mise en question. Elle n'en fut pas moins sincèrement, résolument favorable à la Révolution; sans doute, elle chercha, sans y réussir, à concilier ses intérêts propres avec l'intérêt général; mais, si elle assista avec un regret bien naturel à la destruction de l'établissement qui faisait sa prospérité, si elle fut noblement fidèle aux devoirs que lui imposait une juste reconnaissance, elle ne le fut pas moins aux principes qu'elle avait adoptés de bonne heure avec une sympathie manifeste.

Pendant cette période agitée, les municipalités qui se sont succédé dans cette ville ont joué un rôle considérable, bien que secondaire par certains côtés, puisqu'elles n'ont pas eu l'initiative, mais seulement l'exécution des mesures. révolutionnaires. Etudier, déterminer l'esprit dans lequel ceux qui en faisaient partie ont assumé la tâche qui leur incombait, est une chose délicate, attachante néanmoins par les questions qu'elle soulève et les horizons qu'elle permet d'entrevoir. Si nous ne nous trompons, c'est à la sagesse des magistrats municipaux que serait due la rareté des émotions populaires dans Remiremont; l'agitation révolutionnaire s'y serait traduite et résolue presque exclusivement par l'application régulière des lois d'exception votées par les diverses assemblées nationales, et des mesures prises par le Directoire départemental. On y a obéi à l'impulsion donnée par le pouvoir central, on ne l'y a ni suppléée, ni devancée, du moins en général. (1).

Ceux qui ont parlé des administrateurs de Remiremont pendant ces temps troublés ne leur ont peut-être pas assez rendu justice, et nous paraissent avoir chargé leurs tableaux de teintes beaucoup trop sombres. Ils ont représenté ces hommes comme des énergumènes animés des sentiments. les plus violents, des passions les plus mauvaises, parfois les plus viles; on en a fait des proconsuls ne rêvant qu'op

(1) Dans certains milieux, on admet volontiers que les désordres publics, les émeutes, les soulèvements partiels ou généraux, sont la conséquence naturelle et logique des principes de 1789. L'histoire du monde avant la période qui nous occupe proteste contre une pareille théorie; notamment sous l'ancien régime, les faits de violence, nés de l'exaltation des passions populaires, constituent pour ainsi dire la trame même de la vie intérieure des nations. En ce qui concerne les excès révolutionnaires, que personne ne songe à nier, tout homme impartial reconnaît au ourd'hui qu'ils sont la resultante, uon des principes nouveaux, mais de la situation vraiment exceptionnelle dans laquelle s'est trouvée pendant dix ans la France, obligée de se défendre à la fois contre les ennemis du dehors et ceux de l'intérieur.

pression, désordre, subversion totale. Il y a là une exagération évidente et voulue; l'étude attentive des documents nous laisse voir presque toujours, au contraire, des magistrats sages, prudents, amis de l'ordre qui, peut-être, n'ont pas toujours su se garantir des travers et des ridicules de l'époque, mais qui ont présidé avec une graude modération à l'application de mesures parfois fort regrettables, il est vrai, mais dont il serait injuste de leur faire porter la responsabilité.

Ce sont là des faits que nous chercherons à établir et à mettre en lumière sans parti pris, n'ayant d'autre objectif, en entreprenant ce travail, que de faire ressortir la vérité, quelle qu'elle soit. La sympathie qu'inspire la Révolution à ceux qui s'en proclament les fils ne nous parait nullement incompatible avec une exacte impartialité, qui seule permet de mettre les choses au point, de les placer sous leur véritable jour et de déterminer sans trop d'erreur la part qui revient aux acteurs secondaires du drame révolutionnaire. Si nous ne pouvons nous flatter d'avoir complètement atteint ce but, nous l'aurons du moins tenté avec une entière bonne foi; et celle-ci, croyons-nous, nous méritera l'indulgence du lecteur.

NOTA.

Remiremont, 14 juillet 1899.

Lorsque l'énonciation d'un fait n'est pas accompagnée d'une note ou renvoi indiquant la source à laquelle il a été puisé, c'est qu'il est extrait, suivant les cas, des registres municipaux ou de ceux du district, dont l'ordre chronologique facilite les recherches et permet un contrôle effectif, sans qu'il soit besoin d'autre indication.

INTRODUCTION

SOMMAIRE.

Les assemblées provinciales de 1787; J.-B. Noël, officier du Chapitre.

Le coup d'Etat de 1788; résistance de la Justice ordinaire» de Remiremont. Réunion préparatoire des

trois ordres à Nancy. — Mémoire adressé au Roi par la municipalité abbatiale de Remiremont. Participation des délégués de Remiremont à la réunion de Nancy. - Travaux de la réunion de Nancy. - Convocation des Etats-Généraux; règlement du 24 janvier 1789. Caractère démocratique de l'électorat et de l'éligibilité. — Réglement spécial aux élections en Lorraine. Comparaison avec le système représentatif actuel.

On ne date généralement la Révolution que de la réunion des Etats-Généraux; en réalité, cette grande période de notre histoire nationale s'est ouverte deux ans plus tôt par diverses tentatives d'organisation d'un gouvernement représentatif, dont il nous paraît intéressant de dire quelques mots; car c'est leur insuccès, du reste facile à prévoir, qui a rendu nécessaire la convocation d'une véritable représentation nationale.

Nous ne mentionnerons que pour mémoire l'essai infructueux de la réunion d'une assemblée de notables, tentée par Calonne en 1787; mais la création des assemblées provinciales doit attirer quelque temps notre attention.

En juin 1787, un édit royal, enregistré au parlement de Nancy le 19 juillet, avait décidé la formation de ces assemblées; la Lorraine eut la sienne, pâle reflet de ce qu'avaient été les Etats de cette province, supprimés depuis près de deux siècles. D'après l'art. 8 du règlement du 8 juillet sur la composition de ces chambres politiques au petit pied, celle-ci devait comprendre 48 membres, dont 24 choisis par le roi à raison de 6 pour le clergé, autant pour la noblesse et 12 pour le tiers-état. Ces membres ainsi nommés avaient respectivement la désignation de 24 autres dans la même proportion. C'était la première fois que, dans une assemblée politique, on appliquait le sys

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