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çais et elle a échappé de nos mains. Cela provient, sans aucun doute, mon avis dût-il déplaire aux fondateurs de cette industrie, des fautes qu'ils ont commises. Très timorés pour la plupart, ils n'ont pas suivi les progrès rapides que cette industrie exige pour le travail d'une marchandise pauvre, qui ne devient riche que par l'augmentation progressive de son rendement et la diminution de son prix de revient.

Les premières usines françaises se sont endormies; elles n'ont voulu faire aucune transformation pour conserver leur clientèle et sont mortes presque misérablement, écrasées par de nouvelles usines fondées par des Chinois qui cependant sont incapables de diriger eux-mêmes ces usines et sont obligés de recourir à des techniciens européens. Ils n'y apportent, en somme, que leur argent et rien en fait d'intelligence.

N'est-il pas honteux pour nous de laisser échapper des entreprises de cette nature lorsque les capitaux débordent en France et que c'est là le seul élément qu'apportent les Chinois ?

Les deux usines les plus anciennes, celles dont je veux parler et dont la fin ne peut que serrer le cœur de tous en Cochinchine, n'auraient pas eu leur triste fin, si parmi les intéressés, il s'était trouvé des gens du pays et si leurs propriétaires n'avaient pas été aussi étrangers qu'ils l'étaient à nous tous. Ces usines sont mortés sous l'indifférence publique et il est bien peu de personnes qui se soient aperçues de leur disparition.

Il n'en aurait pas été ainsi si les habitants de la colonie avait eu un intérêt dans l'affaire, si minime fût-il; il y aurait eu un mouvement d'opinion qui aurait obligé les administrateurs à suivre le progrès, à secouer la routine dans laquelle ils se sont suicidés. En cas de difficultés, ils auraient eu un groupe puissant pour les soutenir, pour les défendre, ce qui n'a pas eu lieu.

La discrétion m'empêche d'ailleurs d'entrer dans certains détails qui seraient la meilleure démonstration de ce que je viens de dire.

Il me suffit d'affirmer que si les deux usines françaises, dont l'une a disparu et l'autre a passé dans la main des Chinois, avaient eu de nombreux partenaires dans la colonie, elles existeraient encore et seraient prospères. L'honneur en serait resté à leurs fondateurs aussi bien que le profit.

Je passe à un autre exemple plus récent et non moins probant.

Un colon énergique, intelligent, plein d'initiative, avait fondé à Sach-Kandal, au Cambodge, une usine pour égrener le coton, ce qui permettait de l'exporter en balles comprimées et en même temps d'utiliser la graine pour en faire une très bonne huile pour le graissage.

L'usine était construite et était en plein fonctionnement; les balles de coton trouvaient au Japon un large débouché et elles n'auraient pas tardé à en trouver un nouveau à Hanoi où il existe une filature de coton. Mais les Chinois veillaient; l'Administration aurait bien dû en faire autant. Ils virent une industrie qui allait devenir prospère, il fallait donc s'en emparer.

L'opération ne fut pas longue; ils accaparèrent tous les cotons bruts, tarirent par conséquent l'alimentation de l'usine en matière première et l'obligèrent tout au moins à se la procurer à des prix très onéreux. La situation n'était plus tenable et les propriétaires de l'établissement, pour ne pas être complètement ruinés, durent passer par les conditions draconiennes faites par les Chinois qui en sont devevus acquéreurs. Inutile d'ajouter qu'ils ont dû conserver le personnel technique français, mais qu'on ne se fasse pas d'illusion, il ne tardera pas à être remplacé par des étrangers.

Voilà donc encore une industrie qui nous a échappé et cependant on aurait pu l'empêcher. La Chambre de commerce de Saigon (celle du Cambodge n'existait pas encore), saisie de la question par M. Blum, successeur du regretté Praire, proposa une mesure à l'Administration qui la soumit au Conseil colonial où elle fut approuvée; cette mesure ne pouvait léser d'autres intérêts que ceux des Chinois; elle fut transmise au Ministre des Colonies et dut passer par le Conseil d'Etat. Là, elle fut refusée surtout parce qu'elle n'avait pour but que de satisfaire les intérêts d'un seul, mais, par contre, sa non acceptation favorisait un grand nombre de Chinois.

Les choses ne se seraient certes pas passées ainsi si M. Praire, au lieu de rester dans son isolement. avait pu ou peut être voulu constituer son œuvre en société anonyme et y associer, de ce fait, tous les capitalistes de la Cochinchine et du Cambodge. Le jour où l'Administration locale aurait soumis la question au département, elle aurait trouvé derrière elle une opinion publique avec laquelle il aurait fallu compter et il est certain que la décision du Conseil d'Etat aurait était tout autre.

Je vais résumer ce que j'ai écrit.

Il existe dans la colonie, aussi bien qu'au Cambodge, un large champ d'exploitations où des sociétés agricoles et industrielles peuvent s'établir avec toutes les chances de succès. Bien étudiées, patronnées par des personnes connues et inspirant confiance, constituées avec un capital peu élevé mais suffisant, elles seront en état de réussir et de négliger les oppositions routinières ou trop souvent intéressées qui ne manqueront pas de se produire.

Elles auront le concours de tous ceux qui auront contribué, peu ou prou, et ne seront plus, dans les conseils élus soi-disant pour représenter les intérêts publics, des questions personnelles qui seront en jeu, mais bien l'intérêt de tous. L'esprit qui jusqu'ici a présidé aux élections sera modifié et au lieu de questions personnelles, égoïstes, dissolvantes et malsaines, on verra naître des considérations d'ordre plus élevé.

Les électeurs fonctionnaires ou autres porteront leur choix sur ceux qui seront les plus aptes à gérer la fortune publique et non seulement la leur.

Ce jour-là, il n'y aura plus de distinction entre les habitants de la colonie; il n'y aura plus que des colons, ce qui n'empêchera pas, bien au contraire, d'avoir d'excellents fonctionnaires.

Il serait facile de multiplier les citations. Mais ces extraits suffiront à établir que la Presse coloniale d'Indo-Chine, répudiant les polémiques de personnes toujours irritantes et stériles, s'attache aux discussions des idées et à l'étude des problèmes économiques les plus profitables pour le pays.

De ce fait, elle est vraiment une des forces créatrices de notre influence, parce qu'elle se confine dans son véritable rôle qui dans une démocratie comme la nôtre, consiste moins à être un négligeable instrument de critique et de passion qu'un puissant facteur de civilisation et de progrès.

CONCLUSION

M. Pavie rapporte, dans son remarquable ouvrage, le récit d'une entrevue qu'il eut un jour à Kampot avec un ancien supérieur des bonzeries qui avait dépouillé l'habit jaune pour cultiver le riz avec ses vieux parents; et il raconte qu'ayant déclaré à l'ancien bonze qu'il aimait les Cambodgiens pour leur bonté, leur droiture, leur ancienne gloire et le mystère de leur passé, le supérieur, homme considérable dans le pays, le remercia et lui dit :

« Je souhaite que tous les Français nous jugent comme « vous et nous aiment autant. Nous sommes animés d'une << reconnaissance extrême pour la France qui a arrêté l'anéantissement de notre pays. Les Khmers sont sensibles et leur dévoûment va aux grandes limites; ils le << montreront si les circonstances le veulent jamais. »

"

Ces paroles, d'un vénérable vieillard qui avait exercé pendant de longues années une des principales magistratures de l'ancien Cambodge, démontrent quels sont les sentiments du peuple que la France administre depuis 1884. Ces sentiments sont parfaitement justifiés.

Notre Protectorat, en effet, s'efforce depuis près de vingt ans de reconstituer une nation puissante qui arrivée à l'apogée de la grandeur, s'est effondrée dans une décadence profonde.

Pour cela, il s'est attaché à réprimer les abus, à arrêter le despotisme, à consolider la propriété individuelle et à encourager le progrès dans toutes les branches de l'activité et de la production.

L'œuvre n'est pas encore achevée et il importe de la mener à bonne fin; il faut, dans ce but, favoriser l'immigration annamite dans le pays afin de mélanger une race active à la race indolente du Cambodgien; il faut créer des consulats dans le Laos, multiplier les routes, répandre l'instruction et faire appel aux capitaux européens pour que des exploitations nouvelles s'établissent et que le progrès éclate dans celles qui existent déjà.

Seulement, il serait puéril et injuste de penser que c'est à l'Administration seule qu'incombe la charge d'une telle évolution; l'initiative privée doit toujours faciliter l'action ́des pouvoirs publics.

Or, le Cambodge ouvre un champ d'activité à tous, aux savants, aux capitalistes, aux colons, à ceux qui sont animés du seul esprit scientifique fait de recherche et de curiosité comme aux hommes d'entreprises pratiques, soucieux de rendements et de profits. Il peut être utile de le savoir.

Mais, à un point de vue plus général et plus élevé, il importe pour nous, Français, de ne pas ignorer les conquêtes que notre pays remporte chaque jour sur la barbarie. Un citoyen doit connaître son pays et s'enorgueillir de sa grandeur.

Il faut donc savoir que l'empire khmer, c'est notre Protectorat qui, peu à peu le ramène à la vie, et que le jour n'est pas loin, peut-être, où sur l'Indo-Chine tout entière flottera notre drapeau civilisateur.

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