Page images
PDF
EPUB

LES LETTRES ET LES ARTS

[ocr errors]

LA LANGUE. La langue cambodgienne est la plus curieuse de l'Extrême-Orient. L'alphabet est syllabique; il se compose de 24 caractères, comprenant des consonnes, des voyelles et des diphtongues; puis de 35 consonnes et d'une série de voyelles dont 2 seulement, les a et les o, sont simples. La structure grammaticale est rudimentaire; il n'y a jamais d'inversion dans la phrase qui commence invariablement par le substantif ou le pronom, puis vient l'adjectif et ensuite le verbe et l'attribut.

Cette langue est riche en mots usuels, mais on constate son excessive pauvreté si l'on veut sortir de la construction ordinaire. Le même mot a souvent plusieurs significations.

Les mots sont écrits à la suite les uns des autres, sans séparation, même pour les phrases, qui sont confondues les unes avec les autres.

On assure qu'il suffit d'un mois ou deux d'étude pour écrire convenablement le cambodgien, alors que l'annamite et surtout le chinois sont des langues d'une difficulté inouïe.

Les livres cambodgiens sont faits en feuilles de latanier ou de mûrier; l'écriture y est tracée au poinçon.

-

LA LITTÉRATURE. La littérature Khmer est très primitive; elle se réduit à un petit nombre d'ouvrages philosophiques et religieux, chants de fiançailles ou d'hyménées et préceptes moraux. Ils sont écrits en langue pali.

La poésie est en honneur au Cambodge, et il y a encore des poètes très estimés dans le pays, mais leurs œuvres sont enfantines, aussi bien dans la forme que dans l'idée.

En dehors de ces œuvres comparativement importantes,

circulent dans le pays des proverbes antiques écrits dans une forme très originale. En voici quelques-uns:

«Les feuilles des arbres ne tombent jamais bien loin du tronc (tel père tel fils); »

«Pas de disputes avec les femmes; pus de procès avec les Chinois (car les unes sont promptes à la réplique et les autres habiles à corrompre les juges); »

« Tu viens vert, mais quand seras-tu mûr? (tu m'empruntes, mais quand me paieras-tu? »

LA MUSIQUE. La gamme cambodgienne se compose de 7 notes et 7 intervalles, mais sans demi-tons.

C'est une gamme mineure; d'ailleurs, tous les airs cambodgiens se chantent dans des tons mineurs.

Le rythme est monotone, mais l'harmonie très lente s'accorde assez avec les mœurs des naturels du pays.

Les orchestres se composent de Siamois; les instruments dont se servent les exécutants sont très primitifs, mais très harmonieux.

Les chants sont accompagnés par des guitares de tons différents, des tams-tams sourds et des claquettes de bois dur.

M. Brossard de Corbigny, rendant compte d'une fête offerte par le roi à des Français, parle également d'harmonicas composés de lamelles de bois et de fer résonnant deux à deux sous les marteaux des musiciens.

LA DANSE. Le roi Norodom a dans son palais un corps de ballet de danseuses siamoises très alertes, qui paraissent à toutes les réceptions.

Les sujets de ballets sont empruntés aux épopées indiennes et aux traditions bouddhiques les plus répandues dans le pays. LES LÉGENDES.-M. Pavie, qui a accompli une mission très importante en Indo-Chine, retrace dans l'ouvrage qu'il a commencé, relatif à cette mission, des scènes bien intéressantes de la vie cambodgienne et fournit des renseignements très précieux sur les mœurs, la littérature et les légendes de l'Indo-Chine.

Nous extrayons des Notices publiées sous la direction de M. Nicolas, commissaire de l'Indo-Chine à l'Exposition de 1900, une légende cambodgienne très gracieuse, traduite et délicieusement contée par M. Pavie dans l'un des premiers volumes de son ouvrage.

Il s'agit du prince de Rothisen qui, le jour même de son mariage, se trouve, par une fatalité extraordinaire, séparé de sa jeune femme, laquelle, désespérée, se laisse mourir.

Voici comment ensuite le jeune prince, vivant, ainsi que la princesse, une nouvelle vieles Cambodgiens admettent la métempsycose retrouve son épouse.

Histoire du prince Rothisen.

Le prince Rothisen, sous un nom différent dans une nouvelle vie, instruit de toutes choses, marchait pour trouver le bonheur.

Heureux quand il pouvait se rendre utile, dédaigneux des séductions, des plaisirs passagers, il plaisait à tous ceux qui l'approchaient par la douceur de son regard, miroir de l'âme, par sa bonté naturelle, sa simplicité, enfin par ses mille dons du ciel qui font aux êtres prédestinés à rendre les peuples meilleurs comme une invisible auréole d'aimant appelant tous les cœurs.

Il était arrêté au bord d'un ruisssau à l'onde transparente et cherchait à cueillir une feuille de lotus pour en faire une tasse et se désaltérer.

Vint une jeune esclave, une cruche sur les bras.

« Charmante enfant, permettez-vous que je boive? Où portez-vous cette eau? >>

Elle puisa au ruisseau, lui tendit le vase.

« Je viens remplir ma cruche pour baigner ma maîtresse, la fille cadette du roi, princesse incomparable que tout le peuple chérit, qu'adorent ceux qui l'approchent. »

Ayant bu, Rothisen remercia.

La jeune enfant, versant l'eau sur la tête de sa maîtresse, disait :

« Quand j'ai puisé cette eau, un prince étranger, la perfection humaine, arrêté sur le bord, m'a demandé à boire. Il s'est abreuvé à ma cruche. Je n'avais jamais vu un regard aussi doux ! »

Et tandis qu'elle parlait, l'eau coulait sur le corps, et la jeune princesse sentant dans ses cheveux un tout petit objet, le prit, et voyant que c'était une bague, la cacha dans sa main, puis dit :

<< Retourne remplir ta cruche. Vois si le prince est encore sur le bord. Dis-moi ce qu'il fait. »

Et pendant que l'esclave allait vers Rothisen, la princesse pensait :

« Ce bijou sans pareil est sûrement la bague du jeune prince. Je saurai, par ce que va me dire ma suivante, si c'est un audacieux qui l'a volontairement glissée dans la cruche, ou si, par le vœu du ciel, tandis qu'il soutenait de sa main le vaşe et buvait, elle est tombée de son doigt pour venir vers le mien m'annoncer le fiancé que Pra-En me destine. »

« J'ai, dit la jeune fille à son retour, retrouvé le prince en larmes, cherchant dans l'herbe une bague précieuse entre toutes pour lui, don de sa mère, exauçant tous les souhaits. Il m'a prié de revenir l'aider à la trouver. »

La princesse pensait en l'entendant :

«Si c'était un audacieux, il eut simplement attendu l'effet d'une ruse grossière. Je vois, au contraire, la volonté du ciel dans ce qui, là, arrive, et crois devoir aider à son accomplissement. Je sens d'ailleurs mon être tout entier sous une impression non encore éprouvée. »

« Va vers le jeune prince et lui dis ces seuls mots :

«Ne cherchez plus, Seigneur, la bague que vous perdites. Vous l'aurez retrouvée quand le puissant roi, maître de ce pays, vous aura accordé la main de sa fille, la princesse Keo-Fa. Faites donc le nécessaire, et taisez à tous ma rencontre et mes paroles. >>

Le roi, quoi qu'elle fût en âge de choisir un époux, ne pouvait se résoudre à accorder la main de sa jeune fille à aucun des prétendants sans nombre qui s'étaient présentés. Pour les décourager, il leur posait des questions impossibles à résoudre, ou bien leur demandait l'accomplissement d'actions point ordinaires. Aussi bien, la princesse n'avait montré penchant pour nul d'entre eux.

Lorsque Rothisen parut devant la cour et eut exprimé au roi le but de sa démarche, le regard animé d'une absolue confiance, séduisant par les charmes que le courage, la volonté, le cœur mettaient sur son mâle visage et en toute sa personne, chacun, parmi les grands, parmi les princes, se dit :

« Voilà enfin celui que nous souhaitons. »

Et le roi pensa: «Je n'ai pas encore vu un pareil jeune homme. Sûrement, il plaira de suite à mon enfant. Ne le lui laissons donc pas voir dès à présent et soumettons-le à une épreuve qui éloigne encore la séparation que tout mon cœur redoute. >>

Alors, il demanda qu'on apportat un grand panier de riz, et dit à Rothisen :

« Tous ces grains sont marqués d'un signe que tu peux voir. Ils sont comptés. En ta présence, ils vont être jetés par les jardins, par les champs, par les bois d'alentour. Si, sans qu'il en manque un, tu les rapportes ici demain, je reconnaitrai que ta demande vaut qu'elle soit examinée. »

Et ainsi il fut fait.

« PreviousContinue »