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LE commerce n'est plus une profession obscure destinée à satisfaire l'ambition et la cupidité de quelques hommes actifs et entreprenans; il fait partie des ressources nationales : et l'étude de ses élemens comme de ses moyens de prospérité entre dans la science de l'administration des états et de la politique moderne. Cette importance explique l'intérêt qu'inspirent depuis un siècle les ouvrages consacrés à en simplifier les connaissances comme à en inspirer le goût et en étendre la sphère.

Tout a contribué à cette révolution dans la marche des idées et des intérêts des peuples. Les découvertes géographiques, les progrès de l'in

dustrie, les rivalités des nations européennes, de nouveaux besoins sont venus soutenir et fortifier ce penchant aux relations commerciales qui forment aujourd'hui un lien général entre toutes les parties du globe.

Une philosophie sévère pourrait peut-être trouver une fàcheuse compensation des bienfaits du commerce dans les guerres qui en ont été la suite; dans cet amour du gain qui a enchaîné des peuplades entières aux vues mercantiles de quelques compagnies privilégiées, enfin dans ce trafic des esclaves dont avec tant de peine et de difficulté nous voyons aujourd'hui commencer l'abolition.

Sans doute tout n'est pas pur dans le principe moteur du commerce; des motifs peu dignes de notre estime souillent quelquefois des entreprises marquées au coin des plus habiles combinaisons; mais un grand résultat n'échappera pas aux yeux du philosophe judicieux le commerce est enfant de la liberté, et par cela même intéressé à défendre sa mère et à en proclamer les droits partout où il porte son influence active. Le commerce a rompu le charme attaché au despotisme de la propriété; on a cessé de confondre le droit du propriétaire avec celui de maître des hommes, depuis qu'une carrière aussi vaste que celle du commerce a été ouverte au génie de l'indépendance et du travail. En vain de dangereuses méprises reportent dans les institutions politiques modernes ce système du droit exclusif des pro

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priétaires au partage de l'autorité législative ; une force puissante, celle de la raison, appuyée des services rendus à la patrie par tous les genres d'industrie et par les prodiges du commerce, ramènera à la jouissance de tous des prérogatives dont, par une exception injuste, on a fait le droit du nombre favorisé.

Tel est donc un des bienfaits du commerce, qu'en égalisant autant qu'il est en lui les moyens de bonheur et d'aisance parmi les hommes, il influe encore sur leur existence politique en portant les mêmes principes de justice et d'égalité de partage dans la participation aux droits que réclame le mérite du travail et des services rendus à la société.

que

Et en effet, est-il un sujet de l'état plus intéressé l'homme industrieux, que l'agent du commerce, au repos et à la stabilité des états? Plus son existence est artificielle, et plus elle tient au repos public et au maintien sévère des lois. Où trouver des partisans plus zélés de l'ordre que ceux dont l'existence est tout entière dans le maintien de la tranquillité au-dedans et de la paix au-dehors? Le propriétaire terrier, confiant dans la nature de sa fortune, dans les ressources de ses domaines, craint peu les orages politiques; il ne semble tenir au souverain que par l'orgueil de son titre, par le caractère de la seigneurie de fait attachée à la possession territoriale. Le négociant, l'armateur, l'homme industrieux, y sont liés par

l'intérêt de leur fortune et le besoin de soutenir leur famille et les charges de l'état.

On l'a dit : l'histoire de la propriété serait celle de la tyrannie, à commencer par les patriciens de l'ancienne Rome jusqu'aux exemples qu'elle a offerts dans nos temps modernes. Etait-ce donc après de semblables leçons qu'on pouvait s'attendre à voir un tel système prédominer dans la législation du dix-neuvième siècle ? Et le commerce, l'industrie, ces instrumens de toutes les richesses, ces moyens de toutes les jouissances dont l'influence a agrandi le domaine de l'homme, pouvaient-ils s'attendre à l'exhérédation dont ils ont été frappés ? Le temps apprendra jusqu'à quel point la sagesse s'est égarée, et comment on a pu asseoir l'ordre sur une des bases dont la chute a entraîné de si violentes secousses.

Ces considérations ne sont point étrangères à l'objet qu'on se propose ici; elles serviront d'explication à quelques doctrines que l'enchaînement des faits nous conduira à établir dans la suite. Il était juste de signaler d'avance à nos lecteurs qu'en donnant notre assentiment aux institutions politiques ou aux lois qui régissent quelques contrées de l'Europe, nous étions loin d'adopter le principe qui a concentré la prérogative civile, et les droits politiques, entre les mains de ceux pour qui les périls de l'etat, la servitude ou l'essor des talens, la prospérité publique ou la ruine des fortunes ne sont que des accidens se

condaires qui ne font qu'accroître leur suprématie territoriale ou fortifier leur orgueil. Ce contresens dans la législation moderne intéressait trop le commerce pour ne pas le signaler au début d'un ouvrage comme le nôtre, lorsque nous n'avons pas seulement pour objet de faire connaître ce qu'il est aujourd'hui, mais encore ses rapports avec la civilisation, et de montrer l'influence des gouvernemens sur les relations commerciales, et particulièrement celles que l'Europe entretient avec les deux Indes.

La tâche que nous nous sommes imposée ici se présente à nous avec une telle étendue, que nous sommes effrayés, nous l'avouons, de l'avoir entreprise. Les colonies, le commerce, les intérêts divers qui en résultent, les voies à suivre pour en tirer tout l'avantage possible, après les changemens qu'ont éprouvés les deux mondes ; la nécessité de guider le commerçant à travers un dédale d'institutions renversées ou reprises, éparses dans le Nouveau et l'Ancien-Monde, ouvrent une carrière immense que complique encore la variété des opinions sur les droits et les prétentions des nations entre elles, sur ceux des peuples et des rois, des diverses classes de propriétaires ou de salariés de la société. L'histoire du commerce et la statistique de sa situation se composent aujourd'hui de tant d'élémens divers, que ce n'est qu'à l'aide de leur rapprochement qu'on peut en reculer les limites ou en étendre les connaissances.

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