Page images
PDF
EPUB

îles britanniques et l'Europe, et enfanta ce système appelé continental, source de tant de guerres et du changement qui nous occupe ici. Il entre dans l'histoire des colonies de le connaître : il fait partie de celle du commerce et de notre plan. Reprenons les choses à leur principe.

I

Par le traité d'Amiens, 1 entre les républiques française, batave, l'Espagne d'une part, et l'Angleterre de l'autre, les îles de la Trinité et Ceylan, la première appartenant précédemment à l'Espagne, et la seconde aux Hollandais, furent cédées à la Grande-Bretagne. L'île de Malte devait être rendue à l'Ordre reconstitué, et rester indépendante. La France ne perdait rien de ses colonies, au moyen de sa rentrée stipulée dans celles dont les Anglais s'étaient emparés. De plus, elle conservait les provinces connues depuis sous le nom collectif de Belgique, toutes les parties de l'Allemagne situées sur la rive gauche du Rhin, enfin Avignon, la Savoie, Genève et le comté de Nice. Elle retenait en outre hors de son territoire l'état de Parme, et toutes les possessions continentales du roi de Sardaigne, réfugié à Cagliari. Elle érigeait le grand - duché de Toscane en royaume d'Étrurie, et en faisait don au duc de Parme, qui ne dépendait d'aucune autre puissance. Elle régissait la république italienne, formée de la Lombardie autrichienne, d'une partie de l'état de Venise, des états de Modène, et des

1 25 mars 1802.

trois légations de Ferrare, de Bologne et de la Romagne. Elle devenait en quelque sorte maîtresse de l'Helvétie et de la république ligurienne, et dominait en Hollande par l'ascendant de sa puissance et son voisinage. Enfin, dans le NouveauMonde, elle réunissait la partie espagnole de Saint-Domingue, et conservait la Louisiane, excellente possession, qui pouvait offrir un jour le moyen d'établir d'utiles colonies.

Telle était la situation brillante de la république française, à qui tant de gloire et de puissance promettaient d'autres destinées que celles qui ont terminé sa courte existence. Le traité d'Amiens en faisait la première puissance sur le continent, et peut-être un jour sur mer. Ce n'était point là ce qu'il fallait aux Anglais, et à ceux pour qui cette prospérité était un continuel sujet de haine et de sinistres projets.

Le traité ne fut point exécuté de la part de l'Angleterre. Napoléon, qui gouvernait despotiquement la France, n'avait pas mis non plus de son côté une scrupuleuse fidélité à suivre l'esprit qui l'avait dicté, c'est-à-dire à mettre des bornes fixes et positives à l'agrandissement de la France, et à donner des garanties contre l'esprit de conquêtes qui le poussait.

La reprise des hostilités eut lieu au mois de mai 1803. L'Angleterre commença dès ce moment à mettre à exécution son système de déclarer bloqués, non-seulement des ports, mais

des rivières et des côtes entières. La France, s'étant emparée de l'électorat d'Hanovre, l'Elbe et ses côtes furent déclarés en état de blocus par l'Angleterre, c'est à dire qu'aucun bâtiment neutre ne pourrait s'y introduire sans être exposé à se voir pris et déclaré de bonne prise. Il en fut de même quelques jours après du Weser et de l'Ems. Le blocus fut étendu ensuite à la Seine et aux côtes de Normandie. Gênes et la Spezia furent soumis à la même mesure. Enfin, dans le courant de 1804 et 1805, toute l'étendue des côtes occupées par la France et ses alliés fut déclarée bloquée, et ainsi interdite à la navigation des puissances restées neutres, c'est-à-dire des Américains, des Danois, des Suédois, des Ottomans. Ils furent contraints ou de ne pas naviguer, ou de porter leurs chargemens, même entièrement neutres, en Angleterre.

D'après ce système ainsi étendu, il est évident que l'Angleterre devenait l'entrepôt des marchandises et des denrées du globe; que les denrées coloniales qui pouvaient être portées dans les parties de l'Europe occupées par la France ou vouées à - ses intérêts politiques avaient été en Angleterre, ou avaient payé à cette puissance des droits de fret, des commissions, des droits d'entrepôt, etc.

La France, soumise à la domination absolue d'un homme que la gloire militaire environnait à la vérité, mais qui ne souffrait aucune représentation, adopta des mesures de représailles. Elle différa

[ocr errors]
[ocr errors]

cependant d'en faire usage tant qu'elle eut quelque espérance de négocier la paix avec l'Angleterre. Mais, après le départ de lord Lauderdale, en octobre 1806, la bataille d'Iéna, et la conquête de la partie allemande de la monarchie prussienne, Napoléon jeta les bases de son système continental dans son décret de Berlin 1. Il y déclara les îles britanniques en état de blocus. Les motifs de cette mesure y sont énoncés avec la brièveté et l'expression du plus vif ressentiment contre cette puissance. « L'Angleterre, dit le despotique empereur, n'admet point le droit des gens universellement suivi par les peuples policés. Elle répute ennemi tout individu appartenant à l'état ennemi, et fait en conséquence prisonniers de guerre nonseulement les équipages des vaisseaux armés en guerre, mais encore les équipages des vaisseaux de commerce et des navires marchands, et même les facteurs du commerce et les négocians qui voyagent pour les affaires de leur négoce. Elle étend aux bâtimens et marchandises du commerce, et aux propriétés des particuliers le droit de conquête, qui ne peut s'appliquer qu'à ce qui appartient à l'état ennemi. Elle étend aux villes et ports de commerce non fortifiés, aux hâvres et aux embouchures des rivières le droit de blocus, qui, d'après la raison et l'usage de tous les peuples policés, n'est applicable qu'aux places fortes. Elle déclare bloquées des places devant

! 21 novembre 180€.

lesquelles elle n'a pas même un seul bâtiment de guerre, quoiqu'une place ne soit bloquée que quand elle est tellement investie, qu'on ne puisse tenter de s'en approcher sans un danger imminent. Elle déclare même en état de blocus des lieux que toutes ses forces réunies seraient incapables de bloquer, des côtes entières, et tout un empire. Cet abus monstrueux du droit de blocus n'a d'autre but que d'empêcher les communications entre les peuples, et d'élever le commerce et l'industrie de l'Angleterre sur les ruines de l'industrie et du commerce du continent. Tel étant le but évident de l'Angleterre, quiconque fait sur le continent le commerce des marchandises anglaises favorise par là ses desseins et s'en rend le complice. Comme il est de droit naturel d'opposer à l'ennemi les armes dont il se sert, et de le combattre de la même manière qu'il combat, lorsqu'il méconnaît toutes les idées de justice et tous les sentimens libéraux parmi les hommes, nous avons résolu d'appliquer à l'Angleterre les usages qu'elle a consacrés dans sa législation maritime, et les dispositions du présent décret seront constamment considérées comme principe fondamental de l'empire, jusqu'à ce que l'Angleterre ait reconnu que le droit de la guerre est un, et le même sur terre que sur mer; qu'il ne peut s'étendre ni aux pro priétés privées, quelles qu'elles soient, ni à la personne des individus étrangers au métier des ar

« PreviousContinue »