Page images
PDF
EPUB

Le général Lafayette, qui avait revêtu son vieil uniforme de garde national, se rendit à l'Hôtel-de-Ville pour y établir le siége de son pouvoir. Il était entouré d'un état-major improvisé, où se remarquaient de nombreux élèves de l'école Polytechnique. Sa marche fut une marche triomphale. Le peuple lui faisait escorte, le saluant des cris de Vive la patrie! Vive la liberté! Vive Lafayette! et lui ouvrant un passage à travers les barricades. Il fut reçu à l'Hôtel de Ville par le général Dubourg qui, sans se laisser complétement déposséder de la puissance, consentit du moins de bonne grâce à la partager et à prendre le second rang. Bientôt après, vers quatre heures, la commission municipale, conduite par un grand nombre d'hommes considérables de l'opinion libérale, et accompagnée d'une foule immense, vint, de son côté, se constituer solennellement dans le palais de l'édilité parisienne'. Elle s'était attaché M. Odilon Barrot en qualité de secrétaire général. Elle prescrivit d'urgence les mesures que réclamait la désorganisation de tous les services publics. Elle assura le mouvement du trésor et des finances, dont la direction fut confiée à M. le baron Louis. M. de Laborde fut préposé à la préfecture de la Seine; M. Bavoux à la préfecture de police. M. Chardel reçut la direction des postes; et le soir, les courriers, arrêtés depuis deux jours, partirent dans toutes les directions, portant aux départements la nouvelle des événements de Paris. Ils étaient devancés par le télégraphe, dont le service avait également été rétabli. Les mairies furent reconstituées. On appela aux fonctions de maires et d'adjoints provisoires les scrutateurs des colléges électoraux dans les dernières élections. On pourvut à la conservation des

1 Voyez la note H à la fin du volume.

musées, des bibliothèques, des établissements publics. On distribua des bons de vivres aux combattants dénués de ressources, et de généreux citoyens s'empressèrent de mettre à cet effet des sommes considérables à la disposition de l'administration. On obvia à toute interruption de l'approvisionnement de Paris. Non content de réorganiser la garde nationale, qui se trouva sur pied comme par enchantement, on publia un ordre à tous les militaires de la garde royale et de la ligne de se rendre au camp provisoire établi à Vaugirard, leur promettant qu'ils y seraient traités en frères et y recevraient la ration et le logement.

Ainsi l'ordre commençait à renaître par l'accord général des citoyens. Grâce au zèle de la Commission et de ses agents, grâce surtout à l'admirable modération du peuple, le soir même de ce jour qui avait vu s'accomplir de si terribles événements, la sécurité de tous était complète. Il n'y avait plus de gouvernement, mais déjà l'on sentait partout la présence et la main d'une autorité tutélaire.

CHAPITRE VI

CHUTE DU MINISTÈRE POLIGNAC.

29 JUILLET.-Sécurité de Charles X.-M. le duc de Mortemart arrive à SaintCloud.- MM. de Sémonville et d'Argout y arrivent de leur côté. -Vives instances de M. de Sémonville pour obtenir le renvoi des ministres et le retrait des Ordonnances:- Le Roi paraît céder.- Le Dauphin est nommé commandant de l'armée en remplacement du duc de Raguse. - Deliberation du Conseil des ministres.-M. de Guernon-Ranville s'oppose énergiquement à toute concession.- M. de Vitrolles à Saint-Cloud.— Ses négociations avec les députés libéraux.-Propositions qu'il est chargé de faire au Roi.-Le Roi appelle M. de Mortemart à composer un cabinet.-Refus de M. de Mortemart vaincus par les instances du roi.-MM. de Vitrolles, de Semonville et d'Argout vont annoncer à l'Hôtel de Ville que le Roi a renvoyé son ministère.Accueil qu'ils reçoivent de la Commission municipale.— M. d'Argout se rend seul à la réunion des Députés; il n'a pas plus de succès.-Première idée d'un changement de dynastie - MM. d'Argout et de Vitrolles retournent à SaintCloud. - Obstacles opposés par le Roi et par le Dauphin au départ de M. de Mortemart pour Paris. - Charles X donne enfin les signatures nécessaires à la constitution de son nouveau ministère.-M. de Mortemart part pour Paris; détours qu'il est obligé de faire.-Il apprend de M. Bérard que les députés se sont séparés, et que la cause de Charles X est perdue.

Les événements du 28 juillet n'avaient ni ébranlé les résolutions, ni altéré la sécurité de Charles X. Entretenu, par les notes de M. de Polignac ou par les rapports complaisants de quelques hommes de Cour, dans la pensée qu'il ne s'agissait que d'une émeute, le Roi n'accordait aucun crédit à ceux qui essayaient de lui ouvrir les yeux. Il était peu ému des lettres alarmantes du général en chef de son armée, dont il croyait les inquiétudes inspirées par

un bon sentiment, mais peu justifiées. Rien n'avait été changé dans les usages intérieurs du château. Et le soir, dans ce palais de Saint-Cloud, d'où l'on entendait les grondements du canon tonnant dans les rues de sa capitale, le Roi était assis à une table de whist, le Dauphin était absorbé dans les combinaisons d'une partie d'échecs. Peut-être cependant y aurait-il injustice à attribuer à une insouciance ou cruelle ou inintelligente la frivolité de ces distractions en un pareil moment. Peut-être Charles X et son fils avaient-ils surtout en vue, en montrant une si parfaite tranquillité d'esprit, de soutenir le courage de leurs amis. Peut-être se disaient-ils que la sérénité des chefs fait la constance de ceux qui obéissent, et qu'il n'est pas plus permis auprince de paraître troublé dans les grandes crises, qu'au capitaine de pâlir quand il voit son vaisseau poussé par la vague contre le roc où il va se briser.

Dans la soirée du 28, M. le duc de Mortemart était arrivé à Saint-Cloud. M. de Mortemart, ambassadeur du Roi près de l'empereur de Russie, était alors en congé, atteint d'une fièvre opiniâtre. Il se rendait aux eaux, lorsque la nouvelle de ce qui se passait à Paris le détermina à venir reprendre son service près du Roi, comme capitaine colonel des cent Suisses 1. En traversant Versailles, il avait été poursuivi par la population soulevée; une pierre avait blessé un officier placé près de lui dans sa voiture.

Quelque pressé qu'il fut d'entretenir le Roi, M. de Mortemart ne put parvenir jusqu'à lui que le 29 dans la matinée. Il lui peignit la situation telle qu'il l'avait jugée. Il lui raconta ce qu'il avait vu et entendu, et le supplia de prendre des moyens prompts et décisifs pour raffermir

1 On désignait sous ce nom la compagnie des gardes-du-corps à pied, bien qu'elle fût entièrement composée de Français.

« PreviousContinue »