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soulevé la France entière, après le renversement du trône et l'exil de la dynastie, les Ordonnances de juillet et la violation de la Charte n'étaient, aux yeux de M. de Polignac, qu'une question d'opinion politique, et ne constituaient pas un délit! M. de Polignac était bien coupable; mais un coupable si obstinément convaincu de son innocence n'est-il pas autant à plaindre qu'à blâmer?

Le Gouvernement lui-même ne se sentait pas capable de protéger M. de Polignac contre la colère des paysans de la Normandie ou du peuple de Paris. C'était donc chose périlleuse de le faire venir de Saint-Lô à Vincennes. On le fit partir la nuit, déguisé, avec un passeport portant qu'il était chargé, par la municipalité de Saint-Lô, d'un message pour le Gouvernement. Il fit un détour afin d'éviter la traversée de Paris, et parvint ainsi à Vincennes sans accident.

Quand Charles X eut quitté le port de Cherbourg, les commissaires en rédigèrent un procès-verbal qui fut envoyé au Gouvernement. Tous les officiers supérieurs et tous les militaires qui avaient accompagné le Roi quittèrent la cocarde blanche. Les gardes du corps furent ramenés sur Saint-Lô, où devait s'opérer leur licenciement, prononcé par une ordonnance du Roi du 17 août. Mais avant de dissoudre ce corps, qui s'était si noblement conduit dans ces tristes circonstances, les commissaires lui adressèrent un ordre du jour, où il était rendu hautement justice au sentiment de réserve et de convenance avec lequel il avait rempli ce devoir d'honneur et de fidélité.

Charles X et sa famille étaient en Angleterre, les gardes du corps n'existaient plus; la garde royale avait brisé ses cadres pour se fondre dans le reste de

l'armée; la dernière cocarde blanche avait disparu du sol de la France; et dans cette contrée que venait de traverser le convoi funèbre d'une dynastie deux fois séculaire, il n'en restait plus, suivant l'expression du Moniteur, « d'autre trace que le souvenir du profond silence qui avait régné sur toute la route, et par lequel la population avait manifesté ses sentiments'. >>

1 Moniteur universel, 46 août 4830.

CHAPITRE XI

OUVERTURE DE LA SESSION DES CHAMBRES.

Accession spontanée et unanime des départements à la révolution de Juillet.Evenements de Lyon, de Nantes, de Bordeaux.- Dans tout le reste de la France, la révolution s'opère sans combats et sans excès. Le lieutenant general du royaume ouvre la session des Chambres legislatives. Il se prononce solennellement pour le maintien de la Charte de 1814 avec les modifications necessaires, et pour le respect des traités.-La majorite de la Chambre des deputes decide, de son côté, qu'il sera procedé conformément à la Charte. -M. Berard prépare une proposition tendant à appeler le duc d'Orléans à la Couronne, et à modifier la Charte suivant l'esprit de la révolution.- Demarches faites près des membres du Corps diplomatique pour assurer l'adhesion des puissances européennes an changement de règne.- Caractère de la monarchie de 1830: le duc d'Orléans n'a pas été appele au trône quoique Bourbon, mais parce que Bourbon.-La Chambre des députés reçoit l'acte d'abdication, et en ordonne le dépôt aux archives.-Le duc d'Orleans charge MM. le duc de Broglie et Guizot de modifier l'esprit de la proposition de M. Berard et de la compléter.-La proposition est déposee.-La Chambre se declare en permanence pour attendre le rapport de sa commission.- Proposition de M. Eusèbe Salverte pour la mise en accusation des ministres signataires des Ordonnances.-Arrivee du duc de Chartres à Faris.-Irritation des republicains.-Leurs projets contre la pairie. Ils rédigent une adresse pour declarer à la Chambre des députés qu'ils ne lui reconnaissent pas le droit de faire une constitution, et chargent une commission d'aller la lire à la barre; la fermeté des députés fait avorter cette demonstration.-Rapport de M. Dupin aîné sur la proposition de M. Berard.

Le moment est venu de jeter un regard sur la France, de suivre d'un rapide coup d'œil ce mouvement qui, en quelques jours, en quelques heures, se répandit de la capitale à toutes les extrémités du royaume. L'accession franche, spontanée, unanime de la France a seule, en

effet, de l'insurrection de Paris fait une révolution nationale.

Le gouvernement de l'Hôtel de Ville resta étranger à ce qui se passa hors des murs de Paris. Il ne fit rien pour entraîner la province. Il n'envoya pas un agent, pas un commissaire. Il ne destitua pas un préfet. Il ne révoqua pas un fonctionnaire. Il n'adressa aucun appel, aucun avis aux populations départementales. Il n'y eut d'aupropagande que celle qui fut faite par les journaux, ou par les drapeaux tricolores arborés sur les malles-postes et sur les diligences. Chaque département, chaque ville, chaque bourgade fit, pour ainsi dire, dans son sein sa petite révolution; et, en moins d'une semaine, il ne restait plus, de Dunkerque à Perpignan, de Brest à Strasbourg, un hameau qui ne se fût mis à l'unisson de la capitale.

M. de Polignac disait donc parfaitement vrai, lorsqu'il écrivit : « L'événement a prouvé que l'insurrection fut presque partout instantanée... Certes, je défie le génie le plus infernal de pouvoir, en un jour, fomenter et soulever une pareille tempête 1. » De ce fait que la résistance s'est produite partout presque à la même heure, dans la même forme, avec la même énergie, et que l'abandon du Gouvernement a été universel, d'autres auraient conclu que les mesures qui avaient déterminé une telle explosion de l'opinion étaient ou bien coupables, ou au moins bien mal inspirées. M. de Polignac n'y a vu, comme Charles X, que la preuve d'une conspiration. Une conspiration qui embrassait tout le royaume! qui avait pour complices la majorité des citoyens, et qui avait attendu, pour éclater, que le Gouvernement lui en donnât lui-même le signal!

1 Études politiques, etc.

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